BTP : un redémarrage progressif, en mode dégradé
La reprise des chantiers du bâtiment est d’ores et déjà effective, mais en mode aussi partiel que dégradé. Philippe Mahé, ancien préfet de Meurthe-et-Moselle, et ex-DGS des villes et communautés urbaines de Nantes et de Toulouse, a été désigné par le gouvernement pour fluidifier cette reprise.
"Là où il y avait trois personnes au travail, il n’y en a plus qu’une", résume Marc Villand. Pour le président d’Interconstruction, également président de la Fédération des promoteurs immobiliers d’Île-de-France, 50% des chantiers du BTP ont redémarré en Île-de-France. Mais en mode dégradé. Des chiffres peut-être légèrement surestimés. 80% des chantiers sont toujours à l’arrêt en France et 90% des salariés demeurant aujourd’hui en chômage partiel, selon la Fédération française du bâtiment.
Aussi, le gouvernement a confié le 23 avril au préfet Philippe Mahé une mission en vue de faciliter la reprise des chantiers. Cet administrateur territorial, qui fut notamment en charge de la réforme territoriale et de l’aménagement du territoire au cabinet de Manuel Valls à Matignon, et DGS de la communauté urbaine de Nantes ou de la ville et de la communauté urbaine de Toulouse, devra formuler très rapidement des propositions dans les domaines identifiés comme autant de pierres d’achoppement et détaillées dans sa lettre de mission, cosignée par non moins de six ministères : Logement, Travail, Transition écologique et solidaire, Emploi, Économie, Cohésion des territoires (lire ci-dessous).
Coût de la moindre productivité liées aux mesures de sécurité
En effet, on ne relance pas d’un claquement de doigts des usines à ciel ouvert qui sont le produit d’une chaîne, à la fois d’approvisionnement en matériaux et de services aux compagnons. Par ailleurs, la reprise des chantiers est soumise, comme le prévoit le guide de préconisation de sécurité sanitaire de l’Organisme de prévention professionnelle du BTP (OPPBTP), à la signature d’un protocole entre les différentes parties prenantes d’un chantier, détaillant les mesures de sécurité mises en œuvre, nécessairement adaptées à chaque site. Des discussions qui englobent aussi un volet financier, déterminant la répartition de la prise en charge financière des surcoûts provoqués par la crise sanitaire.
"Nous arrivons généralement assez facilement à tomber d’accord sur le coût des mesures de sécurité, agrandissement des bases-vies, fournitures diverses. Les difficultés sont plus importantes pour évaluer le coût de la moindre productivité provoquée par les mesures de sécurité", indique Jean-Luc Tuffier, président de la Fédération française du bâtiment (FFB) Grand Paris.
Des arrêtés de police peu nombreux
Les constructeurs distinguent également les maîtrises d’ouvrages publics, opérateurs de l’État, collectivités territoriales, des maîtres d’ouvrage privés. Si les choses se passent généralement sans problème avec les premiers, les seconds se divisent en deux catégories, près de la moitié des promoteurs refusant de prendre en charge la totalité des surcoûts demandés, selon la FFB Grand Paris.
Plusieurs signaux sont au vert. Les professionnels de la construction, au premier rang desquels les promoteurs se félicitent de l’adaptation de l’ordonnance du 25 mars (dites "délais"), qui a raccourci, le 15 avril dernier, les délais d’instruction des autorisations d’urbanisme. Les arrêtés de police pris par certains maires contre la reprise des chantiers demeurent très peu nombreux en France. Ils sont essentiellement le fait de communes communistes ou Front de gauche d’Île-de-France, dans le Val-de-Marne notamment (Fontenay-sous-Bois, Gentilly, Arcueil ou Vitry), et ont été immédiatement déférés devant le tribunal administratif par les préfets. Les premières décisions ne devraient plus tarder.
"Accélérer les délais d’instruction"
"Mais pour faire repartir nos chantiers, rien ne serait pire que de voir des freins administratifs inutiles s’ajouter aux difficultés déjà pléthoriques du moment", souligne Jacques Chanut, président de la FFB. La fédération se félicite d’avoir contribué à obtenir la modification de l’ordonnance "délais". "Mais cette évolution demeurerait insuffisante si aucune consigne n’était donnée aux services instructeurs en vue d’accélérer – à la vitesse grand V – les délais d’instruction", fait valoir le président de la FFB. "Tout doit être fait pour faciliter la vie des entreprises qui assurent l’emploi local", poursuit l’entrepreneur. "La suppression des frais de voirie pour occupation de l’espace public, à plus forte raison quand les chantiers sont arrêtés, est un moyen évident d’y contribuer", ajoute-t-il.
Dans un document intitulé "Propositions pour un plan de reprise d’activité et une diminution rapide de chômage partiel", la FFB et la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) demandent au gouvernement un allègement de charges, ainsi que l’installation rapide des conseils municipaux élus dès le premier tour. Dans quelques jours, la Fédération des promoteurs immobilier (FPI), par la voix de sa présidente Alexandra François-Cuxac, présentera à son tour une plateforme de propositions au gouvernement en vue d’accélérer la reprise du secteur. Un doublement des prêts à taux zéro (PTZ) pour les primo-accédants, un élargissement du périmètre bénéficiant d’un taux réduit de TVA à 5,5%, ainsi qu’une prorogation du dispositif fiscal dit "Pinel", figureront parmi ces propositions.
Les points de blocage freinant la reprise des chantiers
Les points de blocage sont les suivants :
- responsabilité de la chaîne d’acteurs dans l’arrêt et le redémarrage des chantiers eu égard aux pénalités, indemnités et responsabilités vis-à-vis des intervenants des chantiers ;
- prise en charge des surcoûts directement liés à la mise en œuvre des mesures sanitaires ; éventuelles difficultés d’ordre juridique (documents d’urbanisme, simplification et accélération des procédures) à la reprise ;
- accompagnement financier aux entreprises fragilisées du secteur et en particulier le tissu de TPE/PME de manière plus transversale ;
- degré de confiance encore insuffisant de certains acteurs de la chaîne, les particuliers notamment, pour permettre une reprise générale et les besoins de communication en ce sens.