Bilan de l'Agenda rural : un catalogue de mesures en mal de stratégie, estime l'IGEDD
En attendant le futur plan France Ruralités annoncé "avant l'été", l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD) a passé au crible les 181 mesures de l'Agenda rural, dans un bilan qui sera officiellement remis à Dominique Faure le 20 avril 2023. Conclusion : utile mais peut mieux faire, avec notamment la nécessité d'élaborer une stratégie nationale d'ensemble.
Attendu depuis plusieurs mois, le plan France Ruralités devrait être présenté "avant l'été", comme l' a indiqué la Première ministre lors de la réunion avec les associations des élus locaux, le 12 avril 2023 à Matignon (voir notre article du 12 avril 2023).
D'après le cabinet de Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité, ce plan annoncé s'organisera en trois niveaux : des mesures pour aider les territoires ruraux, la refonte des zones de revitalisation rurale (ZRR) - qui après beaucoup de questionnements seront pérennisées - et un volet dédié à l'ingénierie pour les villages les plus fragiles. Il fera suite à l'Agenda rural lancé en 2019, dont un premier bilan a été publié fin mars 2023, qui sera remis officiellement à Dominique Faure le 20 avril.
Le rapport, réalisé par l'Inspection générale de l'environnement et du développement durable (IGEDD), fait le point sur les 181 mesures qui constituaient cet agenda promu par l'Association des maires ruraux de France au moment de la crise des gilets jaunes, avec un premier constat d'ensemble, partagé par les acteurs locaux (voir notre article du 6 avril 2023) : il est perçu comme pas ou peu lisible et il est associé à un catalogue. Pourtant chacun s'accorde pour dire qu'il est utile et demande sa pérennisation.
De nombreuses mesures sont connues et jugées positivement mais elles "sont rarement reliées à l'Agenda rural en tant que tel, ce dernier étant mal identifié, peu visible", et "force est de constater que le sentiment d'abandon n'a pas décru alors même que de nombreux territoires ruraux ont vu ces dernières années leur attractivité s'affirmer vis-à-vis de populations urbaines en mal d'espace et de nature", souligne le rapport, sur la même ligne que les députés (voir notre article du 6 avril 2023).
Nommer un délégué interministériel aux ruralités
Le rapport considère notamment qu'il manque un axe transversal, permettant de prendre en compte la ruralité dans les politiques publiques. Il propose dans ce cadre la nomination d'un délégué interministériel aux ruralités, assurant l'animation et la coordination des administrations et établissements publics nationaux, du réseau des référents ministériels et des sous-préfets ruralités, concourant aux politiques intéressant les territoires ruraux. Une manière de veiller à l'harmonisation et au suivi des actions menées et à leur évaluation, par ministère et par territoire. Car dans ce domaine, le compte n'y est pas. "Il n'existe aucun suivi / évaluation précis de l'ensemble des 181 mesures et de leur impact en termes de réduction des handicaps des territoires ruraux", insiste le rapport, précisant que certaines mesures ont été impulsées par des politiques sectorielles prenant en compte l'enjeu de la ruralité.
Côté bilan, l'inspection indique toutefois que seules 13 des 181 mesures n'étaient toujours pas engagées en octobre 2022, dont près de la moitié correspond à l'objectif "Renforcer l'attractivité des territoires ruraux". Elle relève des domaines dans lesquels les choses ont avancé : l'aménagement numérique du territoire, la jeunesse et l'égalité des chances (campus connectés, cordées de la réussite, volontaires territoriaux en administration, etc.), l'appui aux collectivités locales (Petites villes de demain, Avenir montagne, projets alimentaires territoriaux), l'accessibilité aux services publics (maisons France services, mobilité…). Il reste en revanche du travail à faire dans des domaines comme la santé.
Pour plus d'efficacité, la mission propose de recentrer la nouvelle version de l'agenda sur quatre à cinq grands axes fixés par l'Etat en partenariat avec les associations nationales d'élus, avec une déclinaison dans les territoires "à la main des acteurs locaux, en fonction des spécificités et des enjeux propres à chaque territoire". Elle propose de lui donner comme colonne vertébrale la transition écologique (valorisation des aménités rurales, introduction de nouvelles thématiques autour de l'eau, de la biodiversité, des énergies renouvelables…). La transition écologique deviendrait ainsi le "fil rouge" de toutes les mesures et tous les dispositifs de manière transversale dans la logique de planification écologique décidée par le gouvernement. L'IGEDD demande un suivi des mesures engagées avec un rapport d'avancement présenté chaque année.
"La recomposition de l'ingénierie territoriale a laissé les territoires ruraux de côté"
Concernant l'ingénierie territoriale, le rapport estime que sa recomposition "a laissé les territoires ruraux de côté", ceux-ci ne disposant pas "de ressources suffisantes pour faire face à leurs besoins ou pour être tout simplement en mesure de répondre et de pouvoir bénéficier des appels à projets et à manifestation d'intérêt (AMI), de plus en plus complexes et nombreux". Il propose de faire le bilan des ressources d'ingénierie locale, d'améliorer la coordination de l'offre d'ingénierie et de renforcer les moyens de l'Etat dédiés au développement territorial. Le plan France Ruralités pourrait tenir compte de ces manques identifiés, à travers un volet spécifique sur l'ingénierie pour les territoires ruraux les plus en difficulté. Mais les arbitrages financiers ne sont pas encore connus.
Sur les moyens financiers, le rapport estime aussi qu'il faut simplifier le calcul des dotations, et notamment de la dotation globale de fonctionnement (DGF), en s'appuyant sur la notion de densité des territoires, avec une approche agrégée pour l'ensemble du bloc communal sur chaque territoire couvert par un EPCI à fiscalité propre. L'intercommunalité deviendrait "le lieu privilégié d'une ingénierie pérenne de premier niveau".
"La ruralité n'avait pas été traitée par l'Etat depuis plusieurs décennies de façon globale à partir d'un outil dédié, conclut le rapport, sa perfectibilité ne remet pas en cause son utilité". Reste à voir si le futur plan France Ruralités saura corriger les défauts de ce premier Agenda rural. Interrogé à l'issue de la rencontre à Matignon, mercredi, le président de l'AMRF, Michel Fournier, a pu constater "une volonté affichée d'avancer et d'aller vite". Lui plaide pour "une vraie politique d'aménagement du territoire qui se décline de façon claire par rapport à la reconnaissance de l'espace". L'une des revendications de l'association est la reconnaissance des aménités (les bienfaits des territoires ruraux) dans le calcul des dotations. Idée à laquelle Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, se serait montré attentif.