Services publics dans les territoires ruraux : le sentiment d'abandon reste fort

Grâce à l'Agenda rural, "la prise en compte des territoires ruraux s'est améliorée" mais "les résultats tardent à se faire sentir et le sentiment d'abandon sur le terrain continue de croître", constatent deux députés dans un rapport présenté le 6 avril. Un bilan qui a valeur d'avertissement au moment où le gouvernement s'apprête à donner une suite à cet Agenda avec le programme France Ruralités.

Quelques semaines après le lancement de l'Agenda rural à Eppe-Sauvage (Nord), brandi comme porte de sortie à la crise des gilets jaunes, deux députés avaient adressé au comité d'évaluation et de contrôle (CEC) de l'Assemblée, fin 2019, un rapport cinglant sur les effets de la Révision générale des politiques publiques (RGPP) sur l'accès aux services publics dans les territoires ruraux.

Plus de trois ans après, les députés Mathilde Desjonquères (Modem, Loir-et-Cher) et Pierre Morel-A-L'Huissier (Liot, Lozère) refont un point de la situation. Et notamment sur la mise en œuvre des 23 préconisations qui avaient alors été formulées pour transformer l'essai de l'Agenda rural, allant de la santé à la couverture numérique, en passant par les transports. "Beaucoup a été initié, mais les résultats tardent à se faire sentir et le sentiment d'abandon sur le terrain continue de croître", constatent-ils dans leur rapport présenté au CEC, jeudi 6 avril. "On note toujours et encore de l'anxiété, avec cette notion de recul des services publics et un sentiment d'absence d'action des pouvoirs publics", a commenté jeudi Pierre Morel-A-L'Huissier.

Pourtant, seules quatre de ces 23 propositions "n'ont à ce jour pas fait l'objet d'un début de mise en œuvre", a précisé Mathilde Desjonquères.

21,9 millions d'habitants

La première réussite est sans doute la bataille des représentations puisque avec la nouvelle définition de l'Insee, la ruralité n'est plus définie "en creux". Elle représente aujourd'hui 88% des communes et 33% de la population, avec 21,9 millions d'habitants, ce qui fait de la France le deuxième pays d'Europe le plus rural après la Pologne, a expliqué Pierre Morel-A-L'Huissier.

Autre succès à mettre à l'actif de cet agenda : la création des quelque 2.600 espaces France services (dont 140 bus). "L'objectif est atteint", a déclaré Mathilde Desjonquères, alors que de nouvelles labellisations sont en cours.  Les rapporteurs apportent cependant quelques points de vigilance : si certaines maisons élargissent le bouquet de services au-delà des neuf opérateurs historiques, attention à conserver une "offre lisible et opérationnelle", a avancé la députée, précisant que les agents d'accueil doivent déjà aujourd'hui être familiarisés avec 200 procédures, contre 80 pour les anciennes maisons de services au public. Mais surtout des questions sur le financement de ces maisons dont le coût de fonctionnement se monte à 110.000 euros, avec une subvention de l'Etat de 30.000 euros. Si l'Etat a récemment annoncé un coup de pouce de 12,5 millions d'euros (soit environ 5.000 euros par maison), il faut "réfléchir à un système pérenne" (voir notre article du 13 mars 2023).

Concernant la couverture numérique, là encore, la situation s'est "nettement améliorée". "Mi-2022, 98% du territoire était couvert par au moins un opérateur en 4G tandis que 77% des locaux étaient raccordables à la fibre", a indiqué Mathilde Desjonquères. Pour autant, le déploiement de la fibre reste "nettement supérieur dans les zones denses". Alors que de nombreux départements dépendent encore entièrement du réseau cuivre, la députée a rappelé le couperet qui va tomber en 2030 avec la fin de l'entretien du réseau. Ce qui suscite "d'énormes inquiétudes".

63% des bassins de vie ruraux manquent de médecins généralistes

Pierre Morel-A-L'Huissier a pour sa part souligné la "série de difficultés" qu'entraîne le tout numérique pour les usagers, y compris les jeunes. "13 millions de personnes en difficulté n'ont pas accès au numérique", a-t-il précisé.

Enfin, et c'est peut-être le principal point noir de ce rapport, l'accès aux soins reste très dégradé. L'accès à un service d'urgence en moins de vingt minutes fait partie de ces mesures qui n'ont pas "fait l'objet d'un début d'application". Six millions de Français se trouvent à plus de trente minutes. Par ailleurs, "63% des bassins de vie ruraux manquent de médecins généralistes", a dénoncé le député de la Lozère, précisant que dans son département il faut compter six mois d'attente pour un spécialiste. Résultat : "Beaucoup de personnes ne se soignent plus." Voilà qui plaide pour une véritable stratégie pour la ruralité, comme le réclament de nombreux élus et parlementaires (voir notre article de ce jour), au moment où le gouvernement s'apprête à dévoiler son plan France Ruralités.

Les douze propositions des députés

- pérenniser les dispositifs fiscaux et sociaux en faveur des zones rurales ;
- clarifier la nébuleuse de dotations et financements existants en liant mieux ces investissements et l’ingénierie pour aboutir à des projets cohérents ;
- élargir le bouquet d’offre des maisons France services ;
- faire en sorte que chaque préfecture et sous-préfecture accueille une maison France services et déployer les sous-préfets mobiles ;
- créer des guichets citoyens, pour répondre aux actes essentiels de la vie ;
- faire de la différenciation un automatisme dans le déploiement d’une politique publique ;
- mettre en place une aide financière pour le "dernier commerce rural", qui joue systématiquement un rôle de service public ;
- l’accès à la santé comme priorité ;
- favoriser l’implantation de grandes écoles et de structures d'accueil de la petite enfance ;
- accompagner le développement du télétravail en créant des télécentres et des tiers-lieux ;
- faire de la culture et de la richesse patrimoniale rurale un vecteur touristique majeur ;
- les transports comme impératif public.

 

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