De l'Agenda rural à France Ruralités, attention au marchepied
Amené à prendre la suite de l'Agenda rural lancé en 2019, le plan France Ruralités se fait attendre. Elus locaux et parlementaires aspirent à une véritable stratégie nationale pour la ruralité, qui aille au-delà du catalogue de mesures ou de "sparadraps" auquel se résumerait l'Agenda rural, même s'il a permis d'engranger de beaux succès comme les maisons France services ou les VTA. Selon le sénateur Bernard Delcros, "les conditions n'ont jamais été autant réunies qu'aujourd'hui pour réussir ce pari".
Sur le bureau de la Première ministre depuis le mois de janvier, le programme d'action France Ruralités se fait attendre. Le gouvernement semble nécessairement plus occupé à gérer la crise sociale actuelle, due à la réforme des retraites. Tout juste parle-t-on d'une présentation "avant l'été 2023". Le plan devrait être une sorte de saison 2 de l'Agenda rural lancé en 2019, dans une version ramassée, d'après ce qu'a laissé entendre Dominique Faure, ministre déléguée chargée des Collectivités territoriales et de la Ruralité (voir notre article du 10 février 2023). Il devrait être organisé autour de quatre thématiques (santé, mobilités, logement, égalité des chances) et s'accompagner du maintien des zones de revitalisation rurale (ZRR) qui étaient censées s'éteindre fin 2023, dans une version revisitée avec deux niveaux d'aides (les territoires les plus fragiles étant davantage aidés).
Tout ce qu'on peut dire à ce jour, c'est que les acteurs concernés sont un peu sceptiques, d'autant que l'Agenda rural I n'a pas totalement convaincu. "Le principe qu'il y ait un agenda est une avancée", conçoit Bernard Delcros, sénateur Union centriste du Cantal et président de l'Association nationale des nouvelles ruralités : "c'est la première fois qu'un programme a été créé en faveur de la ruralité, avec un ensemble de 181 mesures, mais ce qui manque, c'est une vraie stratégie nationale pour la ruralité, veut-on continuer comme ça avec des mesures ponctuelles ou bâtir la ruralité de demain ?" Le sénateur, fervent militant du maintien des ZRR, avait déjà eu l'occasion de plaider pour une véritable loi de programmation rurale. Du côté de l'Association nationale des pôles territoriaux et des pays (ANPP) on ne se montre pas plus enjoué. Pour son directeur, Michael Restier, les mesures de l'Agenda rural correspondent plus à des "sparadraps", sans vision globale de la politique d'aménagement du territoire.
"C'est plus que nécessaire et largement insuffisant, résume-t-on à l'Association des maires ruraux de France (AMRF), cela devrait être les prémices de la structuration d'une vraie politique menée de manière pérenne". Pierre Morel-A-L'Huissier, député Liot de Lozère, et Mathilde Desjonquères, députée Modem de Loir-et-Cher, qui ont publié ce 6 avril un rapport sur l'accès aux services publics dans les territoires ruraux (voir notre article dans cette même édition), estiment quant à eux que l'Agenda rural est resté trop théorique à ce jour. "Il y avait beaucoup de mesures mais surtout incitatives ou sous forme d'appels à projets", a commenté Pierre Morel-A-L'Huissier, lors d'un point presse, à l'issue de la présentation du rapport.
Les maisons France services plébiscitées
L'heure n'est toutefois pas à la désillusion et certaines mesures, dont les maisons France services, sont plébiscitées. Lancées en 2019, on en compte plus de 2.500 à travers le territoire. Pour Pierre Morel-A-L'Huissier et Mathilde Desjonquères, il s'agit de l'une des mesures gouvernementales les plus efficaces pour le rural. Les deux députés recommandent toutefois d'étendre le bouquet de services, de continuer à professionnaliser leurs agents, et, surtout, d'assurer la pérennité de leur financement.
D'autres mesures, comme le volontariat territorial en administration (VTA), sont jugées efficaces. Les VTA permettent ainsi d'apporter de l'ingénierie dans ces territoires ruraux. Mais globalement les acteurs de terrain regrettent le caractère non pérenne des dispositifs et le manque de visibilité quant aux moyens financiers disponibles à plus long terme. "Si une personne vient travailler pendant six mois dans un de ces territoires et souhaite à terme s'y installer, c'est positif, explique l'AMRF, mais ce que nous souhaitons ce sont des emplois pérennisés". Par ailleurs, ces VTA sont arrivés en même temps que d'autres postes, comme les conseillers numériques, les chefs de projets du programme Petites villes de demain… "C'est arrivé très vite, de manière dispersée, il faut maintenir ces actions en faveur de l'ingénierie dans les territoires, détaille Bernard Delcros, mais il faudra les mettre en cohérence et donner de la visibilité aux élus, en termes de financement notamment. Il faut une période de cinq ans minimum, soit la durée d'un mandat". L'idée de donner accès à des études menées par des bureaux d'études spécialisés semble aussi efficace et bien perçue.
Côté moyens financiers, certains font la comparaison entre les budgets dédiés aux territoires ruraux et ceux octroyés aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. "En 2000 on a créé la politique de la ville, avec des moyens importants par l'intermédiaire de l'Agence nationale de rénovation urbaine (Anru), détaille ainsi l'AMRF, il faut inciter l'Etat à construire quelque chose d'équivalent pour le rural. Il y a eu une inflexion mais dans une proportionnalité très largement insuffisante au regard des besoins du rural".
Pas d'élan pour renverser la table ?
Les acteurs locaux regrettent aussi le manque de retours sur les propositions qu'ils avancent pour France Ruralités, comme on le leur a demandé, notamment au sein des groupes de travail. "Nous avons identifié plusieurs propositions dont un programme Villages d'avenir pour les petites centralités importantes pour leur territoire, signale ainsi Gilles Noël, vice-président de l'AMRF, maire de Varzy (58), mais il est difficile de savoir ce qui se trame et quel budget sera consacré aux nouvelles mesures issues de France Ruralités". Même chose du côté de l'ANPP, qui a travaillé sur plusieurs propositions pour développer les mobilités, répondre au besoin de logement, garantir la sécurité, et améliorer l'offre de soins notamment. Pas d'écho particulier pour le moment du côté du gouvernement qui prépare pourtant la suite.
"On ne voit pas un élan qui viendrait renverser la table, on ne voit toujours pas de changement de paradigme sur le rééquilibrage au profit des territoires ruraux", déplore même l'AMRF, qui estime qu'il y a globalement une absence de culture de la spécificité rurale dans l'administration française, avec une prime toujours présente en faveur des métropoles et des territoires urbains. "On a l'impression que les ministres viennent nous accompagner sur la fin de vie des territoires ruraux", ironise-t-on.
Si la création d'un secrétariat d'Etat à la Ruralité lors du précédent quinquennat avait été vécue comme une victoire en demi-teinte, Pierre Morel-A-L'Huissier, plaide pour un véritable "ministère de la Ruralité qui ait une autonomie fonctionnelle".
Si les critiques sont parfois vives, c'est que les attentes sont fortes et le moment opportun. "Je pense que les conditions n'ont jamais été autant réunies qu'aujourd'hui pour réussir ce pari", estime ainsi Bernard Delcros, en allusion à l'attractivité renouvelée pour ces territoires ruraux en sortie de crise covid, tel que le font ressortir la plupart des études publiées dernièrement (voir notre article du 20 février 2023). "Cela correspond aux attentes de la société et le rural dispose de potentialités importantes pour la transition écologique, on n'a jamais eu tous ces feux au vert."