Politique de la ville - Bientôt des "marches exploratoires" dans tous les quartiers prioritaires ?
Patrick Kanner demandera aux préfets d'"organiser, directement ou si possible par le biais d'associations, dans tous les quartiers prioritaires de la politique de la ville sans exception, des marches exploratoires". Elles s'inscriront dans le cadre du volet sur l'égalité hommes/femmes des contrats de ville. Le ministre de la Ville s'y est engagé le 20 septembre, lors de la remise du "rapport d'expérimentation nationale de marches exploratoires 2.0", par Chantal Uytterhaegen, présidente de l'association France Médiation (*).
L'expérimentation avait été lancée en 2014, dans le cadre du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes. Douze villes avaient été retenues : Amiens, Avignon, Arcueil, Bastia, Bordeaux, Creil, Lille, Mons-en-Baroeul, Montreuil, Paris 20, Rennes et Saint-Etienne. Près de 150 femmes ont participé à ces expérimentations qui se sont déroulées sur l'année 2015.
Des diagnostics de l'environnement urbain réalisés par des groupes d'habitantes
Le commissariat général à l'égalité des territoires conseillait déjà, il y a deux ans, d'inscrire les marches exploratoires dans les contrats de ville, dans le cadre cette fois de la participation des habitants à l'amélioration de leur cadre de vie (voir notre article ci-contre du 8 décembre 2014). Et la délégation interministérielle à la ville (DIV) avait lancé en son temps une expérimentation visant à "formaliser une méthode qui puisse ensuite être diffusée pour l'élaboration des futurs contrats locaux de sécurité ou le volet prévention des futurs contrats urbains de cohésion sociale (voir par exemple notre article ci-contre du 11 février 2009).
Le concept est plus ancien encore, puisqu'il est né à la fin des années 80 au Canada. L'association France Médiation, qui fédère 70 structures de médiation sociale, en donne la définition contemporaine suivante : "Les marches exploratoires de femmes sont des diagnostics de l'environnement urbain réalisés par des groupes d'habitantes, en lien avec les instances locales impliquées dans la vie et l'aménagement du quartier : ville, bailleurs sociaux, préfectures, directions départementales de la cohésion sociale, CAF, associations etc. Elles visent à accompagner les femmes à devenir de véritables actrices de la citoyenneté locale et à se réapproprier l'espace public, mais aussi à créer une nouvelle forme d'échange entre le citoyen et le politique".
Pour autant, "les marches exploratoires ne sont ni des cahiers de doléances, ni des diagnostics en marchant. Il s'agit d'une démarche collective de réflexion et de dialogue, construite à partir de l'expertise d'usage des habitantes. Leur objectif est à la fois de renforcer le pouvoir d'agir des femmes, d'apporter des changements concrets et concertés dans la ville et de créer une dynamique durable de concertation".
"Une fille qui marche en jupe à 13 ans, c'est une pute"
La porte d'entrée se fait le plus souvent sur des éléments concrets, liés à l'aménagement urbain ou aux incivilités : défaut d'éclairage, lieux dégradés ou anxiogènes, jets sauvages de déchets, circulation, nuisances... Et c'est l'occasion d'aborder "des sujets sociétaux de fond qui sont au cœur de ce qui fait la Ville : la politique économique, le lien social, le partage des espaces, la mixité, le dialogue entre les populations d'âge, d'origine, de religion ou de sexe différents", insiste le rapport. "Il faut prendre ses distances, ne pas provoquer. Je sors toujours avec mes enfants donc il n'y a pas de problème". "Une fille qui marche en jupe à 13 ans, c'est une pute. C'est la réputation. C'est plus violent qu'une agression physique." Voilà ce que peut lâcher les habitantes au cours des marches.
A noter que "toutes les femmes interrogées mettent en œuvre des stratégies de contournement de certains espaces. Le sentiment d'insécurité peut naître du manque d'éclairage, du manque de mixité, de la présence de trafic...
Parmi les clés de réussite données par France Médiation, on notera l'idée d'"organiser la mobilisation au plus près des activités quotidiennes des habitant(e)s" (en recrutant par exemple aux sorties d'école et de supermarchés), celle de "bien identifier les relais locaux (équipes de médiation sociale, centres sociaux... sachant que le bouche à oreille marche mieux que les affiches et les mails), de bien choisir les horaires de mobilisation (2 à 3 heures maximum par jour, en semaine le matin ou après 18h et le samedi matin), choisir un lieu convivial dédié au projet (sans oublier le café et les petits gâteaux), de proposer une animation pour les enfants durant les réunions...
Valérie Liquet
(*) Etaient également présentes : Laurence Rossignol, ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, et Hélène Geoffroy, secrétaire d'Etat chargée de la ville.
Repères et conseils pratico-pratiques sur les marches exploratoires
Durée du projet : de 9 à 12 mois, entre le début de la formation et la marche de restitution.
Financements mobilisables : Politique de la ville, FIPD, Droits des femmes, fondations, appels à projet sur le lien social et/ou la démocratie participative.
Nombre de femmes par marche : entre 5 et 15 marcheuses au maximum, pour permettre la création d'un véritable collectif où chaque habitante puisse d'exprimer.
Nombre et durée des marches sur un même parcours : 3 au minimum d'une durée d'1h30 et à différents moments de la journée (matin, fin d'après-midi et soirée)
Nombre d'arrêts pendant les marches : 6
Moyens nécessaires : matériel (appareil photo, matériel de bureau comme de grandes feuilles, des feutres et des post-it, accueils café, téléphones), campagne de communication (affiches, flyer...) ; locaux pour l'organisation des réunions d'information, les rendez-vous avant les marches, l'élaboration du rapport, la restitution des marches ; humains (un animateur des marches, 20 jours de travail pour une marche).
Profil des habitantes impliquées : 30-35 ans et femmes retraitées, majoritairement sans emploi et usagères des structures sociales, habitant depuis plus de 10 ans dans le quartier, leurs motivations : le souci des autres (les enfants, les personnes âgées, les personnes handicapées), le souhait d'améliorer la vie du quartier, la dimension collective du projet (rencontrer d'autres habitantes, faire quelque chose ensemble), la possibilité de prendre la parole, l'expérience quotidienne du quartier et le sentiment d'appartenance à la ville.
(Extrait du Rapport d'expérimentation nationale de marches exploratoires 2.0, Quand les femmes changent la ville, France Médiation)