Bâti ancien et transition écologique : le Sénat lance un cri d’alarme

Dans un rapport présenté ce 4 juillet, la mission d’information sénatoriale sur "le patrimoine et la transition écologique" alerte sur les risques que la législation thermique fait peser sur le bâti ancien. Elle appelle à adapter le diagnostic de performance énergétique aux spécificités du bâti ancien, et dans l’urgence à revenir à la méthode de calcul sur facture. Autre recommandation formulée : encourager les collectivités à mieux identifier et préserver ce bâti dans leurs documents d’urbanisme.

C’est un "cri d’alarme" en faveur du bâti ancien (datant d’avant 1948, et non protégé) qu’ont lancé ce 4 juillet les sénateurs Laurent Lafon (Val-de-Marne, UC) et Sabine Drexler (Haut-Rhin, app. LR), en présentant le rapport de la mission d’information qu’ils ont conduite sur le "patrimoine et la transition écologique". 

Du fait d’une législation thermique jugée inadaptée (lire notre article du 2 juin) – diagnostic de performance énergétique simplificateur ignorant les vertus de ces constructions, solutions de rénovation préconisées très largement inappropriées, voire nocives… –, maisons en colombage alsaciennes ou solognotes, malouinières bretonnes, burons cantalous, mas provençaux… seraient gravement menacés. Les élus pointent le risque de vacance de logements devenus "indécents", aggravant la crise du logement (le bâti ancien représenterait un peu plus de 10 millions de logements, soit 30% du parc !) et la désertification des centres anciens, le risque d’effacement progressif de ce patrimoine, entraînant la banalisation du patrimoine architectural français, le risque d’accélération de la disparition des savoir-faire traditionnels ou encore le risque de gaspillage d’argent public, en soutenant des rénovations génératrices de désordres. "La disparition de ce patrimoine serait un désastre d’un point de vue culturel, touristique, économique, mais aussi écologique", avertissent les élus. 

Adapter et former

Un cri d’alarme, mais une voix qui ne se lézarde pas. Pour conjurer le sort, les sénateurs formulent dix recommandations qui devraient selon eux permettre de concilier rénovation thermique – "un enjeu que l’on n’entend pas remettre en cause" – et préservation de ce patrimoine.

En premier lieu, adapter les prescriptions aux spécificités de ce bâti. D’une part, en adoptant idéalement un diagnostic de performance énergétique spécifique, dont l’élaboration est espérée d’ici 2025, date d’entrée en vigueur des premières interdictions de logements "non décents" (ceux classés en G – voir notre article du 9 mars). Dans l’intervalle, les sénateurs conjurent de revenir pour ce bâti à la méthode de calcul sur facture. D’autre part, en se gardant de rénovations inappropriées et irréversibles, qui portent atteinte à l’esthétique (isolation par l’extérieur de maisons en colombage par exemple), voire à la pérennité du bâti ancien. En révisant les normes applicables, mais aussi en formant les différents intervenants aux spécificités de ce bâti, et notamment à l’utilisation des matériaux bio-sourcés : les diagnostiqueurs, les accompagnateurs Rénov’, les bureaux d’étude, les artisans…, mais aussi les futurs architectes. "80% des logements de 2050 sont déjà construits", souligne au passage Sabine Drexler, en indiquant que "la formation est le point qui est le plus revenu lors des auditions". En amont, les sénateurs préconisent de soutenir la recherche fondamentale et appliquée sur ce bâti ancien. Et en aval, "l’accompagnement du développement de filières de production de matériaux de construction locales […] doit également faire figure de priorité". 

Identifier et protéger

Les collectivités sont invitées à prendre leur part, en identifiant et préservant ce patrimoine dans leurs documents d’urbanisme. "Beaucoup de maires ignorent que le plan local d’urbanisme peut avoir un volet patrimonial ou ne s’en saisissent pas", déplore Sabine Drexler. Pour inverser la tendance, la mission propose de conditionner l’octroi de certaines subventions départementales, régionales ou nationales à l’élaboration d’un tel PLU patrimonial, ou de bonifier le taux de ces subventions en présence d’un tel outil. "C’est ce que s’apprête à faire la collectivité européenne d’Alsace dans le cadre de sa politique de sauvegarde de la maison alsacienne", se félicite l’élue du Haut-Rhin. Pour éviter la lourdeur de la révision d’un PLU, les sénateurs mettent également en avant la possibilité offerte aux communes ou aux EPCI de délimiter des périmètres, après avis de l’architecte des bâtiments de France, dans lesquels ils pourront s’opposer à une demande d’isolation par l’extérieur ou à l’implantation de panneaux photovoltaïques.

Les aides aux propriétaires devraient elles aussi être conditionnées à la prise en compte des caractéristiques du bâti ancien, en valorisant en outre l’utilisation de matériaux bio-sourcés. Les sénateurs proposent encore l’extension du label Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique respectueux de ce bâti, mais seulement dans les communes de moins de 50.000 habitants. Devraient également être révisés les dispositifs Denormandie et Malraux.

Pour sensibiliser les collectivités, et les propriétaires, à l’enjeu, ils proposent encore la nomination de référents dans les Drac et le renforcement de la collaboration avec les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement.

Coordonner

Les sénateurs demandent par ailleurs à ce que le ministre de la Culture soit pleinement associé à la mise en œuvre des différentes recommandations formulées. "L’interministériel n’a pas fonctionné, et a même dysfonctionné sur ce sujet", regrette Laurent Lafon. Ils appellent plus largement à ce que la préservation du patrimoine ne soit pas sacrifiée sur l’autel des politiques énergétiques et climatiques, préconisant notamment "l’organisation d’états généraux du patrimoine durable" afin de faciliter la concertation entre les différentes parties prenantes. "Bien sûr, il faut aller vite. Mais il faut aussi faire attention aux conséquences", insiste l’élu. Christophe Béchu semble sur la même longueur d’ondes. "Il faut une transition, mais adaptée à la réalité du patrimoine. C’est une nécessité non seulement de mémoire, mais aussi de cohésion", déclarait le ministre de la Transition écologique en séance publique au Sénat, le 22 juin dernier, en réponse à une question de… Sabine Drexler. "Une réponse porteuse d’espoir", veut croire la sénatrice. Le ministre y indiquait avoir entendu, avec sa collègue de la culture, "le cri d’alarme d’une dizaine d’associations patrimoniales qui ont relayé une partie des propositions formulées par votre commission. Je souligne ici à quel point nous prenons ce sujet au sérieux", assurait-il. Non sans avoir pris le soin de saluer "l’action des collectivités qui ont pris à bras-le-corps la question du petit patrimoine".