La France "n'est pas prête à faire face" aux effets du changement climatique, prévient le Haut Conseil pour le climat

La baisse des émissions de gaz à effet de serre s'est poursuivie en 2022, mais à un rythme qui demeure insuffisant pour atteindre les objectifs climatiques de 2030 constate le Haut Conseil pour la climat dans on rapport annuel 2023 publié ce 28 juin au soir. La France n'est pas non plus "prête à faire face" à ses effets, estime l'organisme qui appelle à une stratégie économique d'ampleur pour accélérer la décarbonation. Dans ses recommandations sectorielles, le HCC préconise notamment de massifier la rénovation des bâtiments et d'accompagner ménages et professionnels dans la transition vers des modes de transports alternatifs aux véhicules thermiques.

Les émissions de gaz à effet de serre de la France ne baissent pas suffisamment pour atteindre les objectifs climatiques de 2030 et le pays n'est pas non plus "prêt à faire face" à ses effets, selon le Haut Conseil pour le climat (HCC) qui a publié dans la soirée de ce 28 juin son rapport annuel 2023.

2022, année "emblématique du changement climatique"

L'année 2022, "emblématique de l‘intensification des effets du changement climatique", en offre la démonstration, souligne l'autorité indépendante dans ce document de 200 pages qui évalue la stratégie climatique du pays. La chaleur record et la sécheresse exceptionnelle de l'an dernier ont "entraîné des impacts graves en France (...) excédant la capacité de prévention et de gestion des crises actuelles", estime le HCC. En 2022, "on n'a pas été capable de gérer (...) on a été dépassé", a résumé à l'AFP sa présidente, la climatologue Corine Le Quéré, à la tête du HCC depuis sa création en 2019 par Emmanuel Macron. Outre un record de température (+2,9°C par rapport à 1900-1930), l'année a été marquée par un déficit de précipitations de 25% par rapport à 1991-2020, et constitue désormais "un point de référence" des vulnérabilités françaises.

"Baisses de rendement de 10% à 30%" dans l'agriculture, production hydroélectrique "20% inférieure à la moyenne 2015-2019", tensions sur l'eau potable, surmortalité liée à la chaleur... Le HCC analyse un par un les impacts économiques et sociaux, sans oublier les effets de la sécheresse sur la biodiversité : "quasi-absence de reproductions" de certains amphibiens, "reproduction faible ou anormale" des oiseaux d'eaux.

8.000 communes ont demandé une reconnaissance en "catastrophes naturelles" à cause du retrait-gonflement des sols argileux asséchés, qui provoquent des fissures dans les bâtiments. Le coût du phénomène pour les assurances, "évalué à 2,9 milliards d'euros, est à la limite du soutenable selon la Caisse centrale de réassurance", note le HCC. "Des années 2022, on en aura de plus en plus, elles vont s'intensifier (...) et il faut avoir une réponse vraiment urgente", alerte Corine Le Quéré.

L'Europe se réchauffant deux fois plus vite que l'ensemble de la planète, le gouvernement vient d'entamer l'ébauche d'une stratégie d'adaptation à un climat 4°C plus chaud d'ici la fin du siècle que par rapport au 19e siècle, avant les émissions massives de gaz à effet de serre de l'activité humaine.

Le rapport expose aussi les limites de la lutte contre les incendies, obligée l'an dernier de faire appel à des renforts étrangers. Les feux de forêt (72.000 ha brûlés) et le réchauffement du climat continuent de plus de détériorer les performances de ces puits de carbone, indispensables pour espérer tenir l'objectif de neutralité carbone en 2050.

Besoin d'une stratégie bas carbone plus ambitieuse

Avec 2,7% de recul en 2022, la baisse des émissions nationales se poursuit, mais à "un rythme insuffisant pour atteindre les objectifs", répète le HCC, d'autant qu'elle résulte "en partie de facteurs conjoncturels (notamment un hiver doux réduisant les besoins en chauffage)". "Le gouvernement ne peut plus se défausser et doit réagir avec des mesures enfin structurantes", ont réagi les ONG qui poursuivent l'Etat dans "l'Affaire du Siècle". L'exécutif de son côté relève une baisse d'émissions plus rapide que chez les voisins. La France s'est engagée à les réduire de 40% d'ici 2030 par rapport à 1990 et dans cette optique fixe ses plafonds d'émissions dans sa Stratégie nationale bas carbone (SNBC). La 3e SNBC, imminente, doit être renforcée pour tenir compte de nouveaux objectifs européens (-55%). Pour y parvenir, "la baisse doit pratiquement doubler en moyenne jusqu'en 2030", rappelle Corine Le Quéré.

Mais après l'échec du premier, "le deuxième budget carbone est en voie d'être dépassé sur la période 2019-2022 du fait de la faible absorption par les puits de carbone", prévient le HCC. Leur capacité de stockage "est plus de deux fois inférieure à celle attendue par la SNBC 2", notamment du fait d'une mortalité accrue des arbres.

Le HCC réclame une "politique économique d'ampleur" nécessitant des financements publics et privés "de l'ordre de 30 milliards par an d'ici 2030" pour décarboner l'économie, en priorité le transport, premier émetteur (32%) devant l'industrie. "Cela veut dire que toutes les niches fiscales finançant les énergies fossiles doivent être supprimées, avec un calendrier", résume la présidente du HCC, dont le rapport estime à 43 milliards d'euros les dépenses défavorables au climat en 2023.

Effort de massification de la rénovation des bâtiments

Dans ses recommandations sectorielles, le HCC préconise de massifier la rénovation des bâtiments afin de réduire les émissions de CO2 de la construction. Le secteur du bâtiment, qui représente 16% des émissions françaises, derrière les transports (32%), l'agriculture (19%) et l'industrie (18%), est l'un de ceux qui a le plus réduit ses émissions de gaz à effet de serre l'an passé (-14,7%) par rapport à 2021, pour atteindre 64 millions de tonnes d'équivalent CO2, indique le rapport du HCC. Mais cette baisse de 11,1 Mt de CO2eq (l'équivalent dioxyde de carbone) s'explique principalement "par la douceur des températures hivernales et par les mesures de sobriété", note le rapport. Elle est portée surtout par les bâtiments résidentiels (-7,2 Mt CO2eq) qui ont eu un moindre besoin de chauffage, et non par des mesures structurelles pérennes.

Pour les logements, le HCC juge que l'accompagnement des ménages se structure et estime que l'interdiction de location des logements les plus énergivores "représente une avancée importante". Cependant, "les ressources financières et humaines allouées à la rénovation globale restent insuffisantes, et l'approche actuelle achoppe sur l'absence d'exigences de résultats sur la qualité des travaux de rénovation", note-t-il.

Le rapport juge que les politiques mises en oeuvre "ne permettent pas d'enclencher un nombre suffisant de rénovations complètes performantes" pour économiser l'énergie, et demande une "rénovation des logements les plus énergivores", en se dotant de "moyens de contrôle". Pour rappel, au 1er janvier 2022, le nombre de "passoires thermiques" (étiquetées F et G) parmi les résidences principales était estimé par l'Observatoire national de la rénovation énergétique à 5,2 millions de logements.

Pour atteindre l'objectif d'éradication de ces logements peu ou mal isolés au 1er janvier 2028, ce nombre "devrait diminuer de 900.000 logements par an en moyenne". Or, le budget 2023 "ambitionne de sortir 15.000 logements du statut de passoire thermique grâce au dispositif MaPrimeRénov' en 2023, et de porter ce nombre à 25.000 en 2025", note le rapport.

"Dans le secteur du bâtiment, on s'attend à voir des rénovations complètes de plusieurs centaines de milliers de bâtiments par année et on a au mieux 66.000 rénovations complètes par année. Sans ce rythme très très élevé, on ne pourra pas être à la neutralité carbone en 2050", a résumé Corine Le Queré en présentant le rapport à la presse. Autre point de "blocage", la formation des professionnels qui ne connaissent pas toutes les techniques d'isolation les plus performantes, a relevé la présidente du HCC.

Le Haut Conseil demande notamment "une feuille de route pluri-annuelle des montants financiers et des critères d'éligibilité" pour les aides financières à la rénovation. Il recommande par ailleurs d'"accroître fortement le potentiel des réseaux de chaleur" en poursuivant leur déploiement avec une part d’énergie renouvelable de 75% permettant d’atteindre les objectifs affichés par la loi de transition écologique pour la croissance verte (TECV) pour 2030.

Forte accélération attendue dans les transports

Le secteur des transports doit aussi "fortement accélérer" sa réduction d'émissions de CO2, selon le rapport annuel du HCC. Les moyens de transport (voitures, camions, avions) constituent le plus gros secteur émetteur de CO2 en France, devant l'industrie, avec 32,3% des émissions nationales. Le secteur "continue son rebond post-Covid", et ses émissions n'ont baissé que de 2,9% par rapport à 2019, à 130,5 millions de tonnes d'équivalent CO2. "Ça ne va pas du tout", a regretté Corine Le Quéré. Pour atteindre les objectifs fixés par la France dans la SNBC, soit la neutralité carbone à l'horizon 2050, il faudra multiplier les efforts par trois sur la période 2023-2030.

Le HCC met lourdement l'accent sur les voitures particulières, qui représentent la moitié des émissions du secteur. Des "paquets de mesures" ont été adoptés par le gouvernement pour faciliter la transition énergétique, "mais les incitations et les moyens financiers qui vont avec sont insuffisants", selon le Haut Conseil.

Certes, l'électrification de l'automobile suit le scénario fixé par la France, les voitures électriques ayant atteint 13% du marché du neuf en 2022. Mais les modèles neufs à essence et diesel, qui représentent encore la majorité des ventes, ont vu leur consommation augmenter (6,1 litres aux 100 kilomètres en moyenne) "du fait de l'augmentation du poids des voitures", notamment à cause de la mode du SUV, souligne le HCC.

Les politiques de soutien à l'acquisition de voitures bas-carbone restent par ailleurs "excluantes" et "aggravent les inégalités, malgré des améliorations récentes". "Les aides et les incitations actuelles n'orientent pas suffisamment la production vers des véhicules petits, plus légers et plus abordables, qui s'inscrivent dans un esprit de transition juste", regrette le HCC.

Dans ce cadre, le renforcement progressif des Zones à faibles émissions (ZFE), qui mettent hors jeu les véhicules les plus âgés, "fait peser un risque d'exclusion sur les ménages les plus modestes". "Les constructeurs se sont recentrés sur le haut de gamme à forte valeur ajoutée, poussant le prix des voitures à la hausse", analyse le HCC. "L'État peut ici jouer un rôle pour inciter les constructeurs à proposer davantage de petits véhicules électriques, plus abordables, en renégociant son soutien global à la filière automobile". Le HCC préconise également de maintenir une offre de voitures à essence Crit'Air 1 abordables, et des aides à l'achat de Crit'Air 1 d'occasion, en complément d'actions sur les alternatives à la voiture (transports en commun, mobilités douces).

L'interdiction des publicités pour les énergies fossiles pourrait également être étendue aux SUV, qui font partie des "biens et services manifestement incompatibles avec la transition". Le malus sur le poids, qui ne touche qu'une minorité de véhicules et exonère les véhicules électriques, pourrait voir son seuil abaissé. Chez les poids lourds (25% des émissions des transports), comme pour les camionnettes, l'électrification des véhicules neufs est en retard, note également le HCC.

Concernant le transport aérien (l'aviation intérieure représente 3,6% des émissions), le HCC préconise d'accélérer le développement de carburants non-fossiles, mais aussi de juguler la croissance du nombre des passagers, en définissant "une feuille de route de maîtrise de la demande applicable dès 2025".

Pour le ferroviaire, le rapport appelle à poursuivre à la fois "l'accélération de la régénération des petites lignes et à viser l’électrification complète tout en assurant la qualité des services", celle du "déploiement des trains d’équilibre sur l’ensemble du territoire et des trains de nuit avec un réseau structurant et de qualité", ainsi que "les travaux permettant de garantir et pérenniser les dispositifs de financements sur une période de 10 ans pour soutenir l’investissement (...) et anticiper les coûts de fonctionnement pour les opérateurs et les collectivités".

 

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