Attractivité de la fonction publique : une crise "structurelle et durable", selon France Stratégie
Départs à la retraite de ses agents, difficultés pour attirer les jeunes… dans les prochaines années, la fonction publique territoriale va connaître des tensions croissantes en matière de recrutement, estime France Stratégie. L'organisme public présentait ce 9 décembre un rapport de plus de 400 pages, dédié au défi de l'attractivité dans la fonction publique. Une question qui ne trouvera de solution que par l'activation de plusieurs leviers, donc pas seulement la rémunération, analyse-t-il.
Les difficultés de recrutement qui "se sont généralisées aux trois versants de la fonction publique" et "à l'ensemble des catégories d'emploi" vont perdurer dans les prochaines années, alerte France Stratégie, estimant cependant que les employeurs publics ont à leur disposition plusieurs leviers pour y faire face.
Mais si l'État et les hôpitaux devraient voir leurs difficultés de recrutement "se maintenir" à leur niveau actuel, les collectivités pourraient enregistrer une aggravation des tensions existantes, prévient l'organisme rattaché au Premier ministre, dans un rapport dédié à la question, qui a été présenté ce 9 décembre à la presse, avant un colloque organisé à Paris. Agents d'entretien, cuisiniers, professions intermédiaires administratives, cadres, techniciens et agents de maîtrise… Certains emplois territoriaux devraient être particulièrement touchés.
Les difficultés sont structurelles. La moyenne d'âge de ses agents étant plus élevée, la fonction publique territoriale devrait voir plus du tiers de ses effectifs la quitter pour la retraite, d'ici 2030.
Concurrence du privé
Ces "départs massifs" poseront d'autant plus de difficultés que l’attractivité des emplois territoriaux "est moindre pour les jeunes débutants que dans les autres versants du secteur public". Ainsi, d'ici 2030, le "flux de jeunes débutants" en emploi dans la fonction publique territoriale concernerait 17% des emplois territoriaux, indique France Stratégie, qui se fonde sur les données de l'emploi de 2019 (contre 27% dans la fonction publique d'État et 30% dans la fonction publique hospitalière).
Dans un contexte de recul du chômage, la concurrence du secteur privé pour le recrutement des débutants est devenue plus vive. 84% de ces derniers étaient employés dans le secteur privé en 2019, soit 3 points de plus qu'en 2007. La fonction publique territoriale demeure toutefois attractive auprès des demandeurs d'emploi (notamment de longue durée). À noter que 40% de ceux qui sont recrutés dans les collectivités exercent la profession d’agents d’entretien - alors que ce métier représente un peu moins de 8% des agents territoriaux en poste.
Au total, l'organisme d'analyse et de recherche anticipe une explosion des besoins de recrutement dans la fonction publique territoriale. "Ce sont dans les collectivités locales que la part des besoins de recrutement devra être (…) la plus importante des secteurs public et privé", écrivent les auteurs du rapport. 39% des postes, soit environ 740.000 emplois, devraient être à pourvoir d'ici 2030, estime-t-il. Dans les hôpitaux et à l'État, les proportions seraient plus faibles (respectivement 31% et 26%).
Évolutions de carrière "linéaires"
Pourtant, la fonction publique dans son ensemble offre des opportunités. Pour les agents des catégories A et B, "la situation demeure plus favorable en matière de progression de carrière à court et moyen terme", observe le rapport. Qui apporte toutefois des nuances : les évolutions de carrière dans la fonction publique "sont linéaires et ne se traduisent que rarement par un changement rapide ou important de statut". En d'autres termes, peu d'agents connaissent des "carrières ascensionnelles fortes".
Moins dynamique que dans le secteur privé, l'évolution des rémunérations dans la fonction publique a contribué ces dernières années à la perte d'attractivité de cette dernière. Sur la période 2011-2019, les salaires nets moyens en équivalents temps plein dans la fonction publique dans son ensemble ont baissé de 0,4% (mais ont augmenté de 2% dans la fonction publique territoriale). Dans le même temps, ils ont progressé de 3,7% dans le privé. Toutefois, "pour les moins diplômés, il peut y avoir un gain à être dans la fonction publique qui maintient globalement un positionnement salarial plus favorable au fil de la carrière que le privé", constate le rapport, qui a comparé les parcours de plusieurs jeunes dans le public et le privé. Il relève que de même, "les femmes s’insérant sur le marché du travail disposent d’un avantage à être dans la fonction publique".
Conciliation des temps, un "argument décisif"
Globalement, "une partie de la perte d’attractivité tient autant à l’évolution des salaires en elle-même qu’à l’architecture du système de rémunération du secteur public, qui peut être perçu comme illisible", estime France Stratégie.
"La question des rémunérations est centrale", mais "chercher à répondre au problème d’attractivité [de la fonction publique] par le seul levier salarial peut se révéler improductif", analyse l'organisme. Les conditions de travail sont un autre "facteur central" de l'attractivité de la fonction publique, selon lui. Il observe en la matière une montée des risques psychosociaux, notamment liés aux tensions avec le public, et du travail sous pression. Résultats : les agents sont plus nombreux à déclarer le sentiment de ne plus "avoir les moyens de bien faire leur travail". Ceux-ci voient de ce fait reculer le sens de leur métier.
Le temps de travail et la "conciliation des temps" constituent, sauf pour certains métiers, "un argument décisif pour l’attractivité" de la fonction publique, poursuivent les auteurs du rapport. Ils notent que les attentes des jeunes recrutés, mais aussi plus généralement des agents en poste, sont croissantes dans ce domaine.
"Stratégie globale"
Si les tensions de recrutement dans la fonction publique sont à prendre très au sérieux, elles ne sont "pas une fatalité", a assuré devant la presse Gautier Maigne, directeur du département Société et Politiques sociales de France Stratégie. Pour y faire face, "il n'y a pas un levier miracle", a-t-il dit, mais il faut "agir de manière simultanée et coordonnée sur les différents leviers : l'image, la reconnaissance, les évolutions de carrière, les rémunérations, la qualification, les conditions d'exercice".
France Stratégie préconise donc la mise en place d'une "stratégie globale d'attractivité", à laquelle les agents doivent être associés. Enfin, "Il faut donner envie. On a besoin d'un discours qui valorise la fonction publique dans son ensemble et sur ses différents métiers", a déclaré l'expert.