Assises de l'Afigese : "La réforme de la fiscalité locale comporte encore beaucoup d'inconnues"
L'Afigese tiendra ses 24es assises du 25 au 27 septembre, au Havre. "L’heure du bilan et des perspectives" : tel sera le thème de la rencontre à laquelle participeront 400 professionnels territoriaux des finances, du contrôle de gestion, de l'évaluation et du management. Dans une interview à Localtis, la présidente de l'association, Françoise Fleurant-Angba, livre un regard critique sur deux sujets qui seront au cœur des assises : la réforme de la fiscalité locale et le dispositif de maîtrise des dépenses locales.
Localtis - Quelle analyse faites-vous du projet de réforme de la fiscalité locale, qui sera présenté ce vendredi, et de ses possibles conséquences pour les collectivités territoriales ?
Françoise Fleurant-Angba - Cette réforme n'est en aucun cas une véritable refonte de la fiscalité locale, porteuse d'un sens politique. Elle ne consiste qu'à redistribuer des ressources existantes pour compenser la suppression de la taxe d'habitation. Le rôle de l'Afigese est d'en relever les angles morts et les écueils. Comme ceux qui guettent les départements : le transfert aux communes de leur produit de taxe foncière va quasiment les priver de tout levier fiscal et les rendre très dépendants de recettes liées à la conjoncture. S'agissant de la mise en œuvre de la réforme dans les communes, nous devrons obtenir des précisions sur la compensation financière et le coefficient correcteur. À ce stade, nous avons beaucoup de questions : par exemple, quelle année de référence servira au calcul de la compensation et qu'en sera-t-il de la prise en compte des rôles supplémentaires ? Nous remarquons aussi que des logements situés en zone tendue pourraient être assujettis à la taxe sur les résidences secondaires (qui bénéficie aux collectivités), ou à la taxe sur les logements vacants (qui est perçue par l'État). On ne sait pas, à ce jour, quel sera le choix des services fiscaux. Nous nous demandons, en outre, si les règles s'appliquant aux taux d'imposition des résidences secondaires vont demeurer, ou si elles vont évoluer. Et quid de l'impact de cette réforme sur les indicateurs de richesse ? Ces questions semblent techniques, mais elles auront un impact réel et immédiat sur les recettes des collectivités et sur l'appréhension que le contribuable pourra en faire. Sur les conséquences de la réforme pour les communes et les intercommunalités, nous publierons une note dans les prochaines semaines. Elle complétera l'analyse que nous avons déjà mise en ligne sur les effets de la réforme pour les départements.
À l'avenir, les collectivités territoriales seront davantage financées par des impôts nationaux dont la base n'est pas territorialisée. Qu'en pensez-vous ?
Un des effets collatéraux de la suppression de la taxe d'habitation est de réduire le levier fiscal des collectivités territoriales. C'est pour nous une source d'inquiétude. Les impôts nationaux qu'il est prévu de réaffecter aux départements et aux intercommunalités n'offrent pas du tout de marges de manœuvre. Il est par ailleurs préoccupant que les recettes fiscales n'évoluent plus comme la croissance du territoire. Il est tout aussi regrettable que le lien entre les administrés et leur collectivité soit affaibli. Lors de la réflexion sur la réforme, l'Afigese était favorable au maintien d'une contribution résidentielle, justement car elle permettrait de conserver un lien fiscal. En outre, avec la suppression de la taxe d'habitation, on peut se demander quel sera l'intérêt pour un territoire de construire des logements et de créer des services publics pour accueillir de nouveaux habitants.
La loi de programmation des finances publiques 2018-2022 fixe un objectif d'évolution des dépenses de fonctionnement à ne pas dépasser. Cette politique a-t-elle des conséquences sur la stratégie financière des collectivités territoriales ?
Les collectivités territoriales ont parfaitement intégré dans leur stratégie le plafonnement des budgets de fonctionnement. Les dernières études sur les finances locales, telles que celle de la Banque postale, montrent que les ratios ont bien été tenus. Les collectivités disposent d'outils de pilotage des dépenses pour pouvoir atteindre leurs objectifs. Nos assises vont d'ailleurs permettre de les développer. Les collectivités semblent bien désormais raisonner en mode "Cahors". Or, ce raisonnement par le seul prisme des dépenses comporte des effets pervers. Les réponses des collectivités à l'enquête que nous avons conduite en début d'année avec France urbaine et l'Assemblée des communautés de France en témoignent. Ainsi, pour que le plafond de dépenses fixé au contrat soit respecté, les directions en charge de la culture, de l'enseignement, ou encore du sport doivent freiner le développement de certains projets, alors même que leurs dépenses sont couvertes par des recettes. De leur côté, ayant pour but d'éviter une reprise financière, les directions financières se concentrent sur le respect de l'objectif d'évolution des dépenses. Cette priorité prend le pas sur la définition d'une ingénierie performante à moyen et long terme ou la mobilisation de financements extérieurs. Par ailleurs, les nouvelles intercommunalités nous ont fait part de leur difficulté d'accomplir l'ensemble de leurs missions sans qu'une sanction financière soit opérée. L'exercice de nouvelles compétences les a conduites à créer de nouveaux postes et les dépenses correspondantes ne peuvent pas toujours être neutralisées au moment où est calculée l'évolution des dépenses d'une année à l'autre. Des collectivités ont aussi pointé un risque de démutualisation quand l'EPCI est soumis à la contractualisation, mais pas les communes qui en sont membres.
À quels enjeux et défis en matière de finances locales les élus désignés en mars prochains seront-ils confrontés ?
Les futurs élus vont devoir dépasser la rationalisation financière qui s'est imposée et consolider la capacité d'adaptation de leurs collectivités. Le but est de pouvoir agir et innover. Dans cette optique, ils auront intérêt à s'appuyer sur l'ensemble des métiers promus par l'Afigese : pilotage et contrôle de gestion, évaluation, finances, management public local. De plus, avec l'entrée en lice du citoyen dans le débat démocratique, une attention particulière devra être consacrée à la transparence financière. J'ajoute que le renforcement du droit à la différenciation qui est envisagé par le gouvernement correspond à une attente forte de notre part. Nos travaux mettent en évidence la nécessité de tenir compte des spécificités locales : c'est à cette condition que nous disposerons de solutions adaptées, acceptées et acceptables.