Maîtrise des dépenses locales : la pression est retombée, contrat rempli pour nombre de collectivités
Les 321 collectivités contraintes de contenir l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement dressent actuellement avec l'État le bilan de l'exécution de la première année de ce dispositif. Un travail de dentellière qui, globalement, se déroule dans une ambiance sereine. La plupart des collectivités se sont qualifiées, parfois haut la main. Une réussite que certaines n'auraient pu obtenir sans la neutralisation, permise par la loi, de certaines dépenses, mais aussi sans l'usage de techniques budgétaires.
La communauté d'agglomération du Grand Besançon a su contenir, l'an dernier, l'évolution de ses dépenses de fonctionnement (126 millions d'euros) en dessous de la limite de +1,2% fixée par le contrat qu'elle a signé avec le préfet le 25 juin 2018. Le bilan n'est pas encore officiel, mais sa préparation est déjà bien avancée. Lors d'une réunion commune qui s'est tenue le 19 mars dernier, le secrétaire général de la préfecture, le directeur départemental des finances publiques et le premier vice-président du Grand Besançon en charge des finances n'ont pas eu "de vraies divergences" sur la comparaison du niveau des dépenses réelles de fonctionnement de l'exercice 2018 avec celles qui ont été réalisées en 2017. C'est l'avis de l'élu bisontin, Gabriel Baulieu. L'État a acté l'entrée en vigueur, au cours des deux années, de nouvelles compétences (notamment la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations le 1er janvier 2018) et du transfert de plusieurs compétences communales, notamment la responsabilité du plan local d'urbanisme, à partir du 29 mars 2017. L'État a tenu compte en particulier du fait que le Grand Besançon a exercé cette compétence durant toute l'année 2018, contre seulement neuf mois au cours de l'année précédente.
Sur le dossier, l'ambiance s'est détendue
À partir de février et mars derniers, les responsables des 321 collectivités territoriales et groupements que la loi oblige à respecter un plafond d'augmentation des dépenses de fonctionnement de leur budget principal fixé en moyenne à 1,2% par an en valeur ont ainsi engagé des discussions avec l'État. Le but : évaluer l'évolution de ces dépenses entre 2017 et 2018. En prenant soin, comme le prévoit la loi et la circulaire d'application, de déterminer les changements de périmètre géographique ou budgétaire, les transferts de charges, les mutualisations, ou encore "la survenance d'éléments exceptionnels". L'absence de "retraitement" de ces données serait en effet de nature à fausser la comparaison d'un exercice budgétaire à l'autre. Tant les 228 collectivités et groupements à fiscalité propre ayant signé un contrat avec l'État, que les 93 ayant refusé de s'engager dans ce dispositif - mais ayant dû quand même se plier au respect d'une trajectoire de dépenses définie par le préfet - effectuent ce bilan.
Au printemps 2018, les élus locaux redoutaient cette étape à venir, en particulier s'agissant de possibles conflits avec l'État sur ces retraitements des dépenses. France urbaine, qui promeut les grandes villes et leurs agglomérations, avait d'ailleurs réclamé - sans être entendue - que la chambre régionale des comptes puisse, sur demande de la collectivité, se constituer en arbitre. Depuis, l'atmosphère s'est détendue et la comparaison des deux derniers exercices budgétaires se déroule dans une relative sérénité, constate-t-on aussi bien à l'Assemblée des départements de France (ADF), qu'à France urbaine.
Guide méthodologique
Il faut dire que l'exécutif a répondu à plusieurs des attentes formulées par les élus locaux, qu'il s'agisse par exemple de la neutralisation dans les budgets des régions des variations des versements liés à la gestion des fonds structurels européens, ou, comme il s'y était engagé, de l'exclusion des frais engagés par les départements pour la prise en charge des mineurs non accompagnés (lorsque l'évolution de ces dépenses excède le plafond d'évolution des dépenses fixé par l'État). En outre, la loi a ouvert la possibilité de neutraliser les dépenses liées à des événements exceptionnels, sans apporter plus de précisions. Un flou très opportun pour certaines collectivités ayant dû débourser des sommes imprévues en raison des manifestations des "gilets jaunes".
Pour passer au peigne fin les dépenses locales de 2018, les collectivités et l'État recourent au compte de gestion - que le trésorier doit établir avant le 1er juin - ainsi qu'au compte administratif (préparé par l'exécutif local, il devra être voté par l'assemblée locale avant le 30 juin). Ils s'appuient aussi sur un guide (à télécharger ci-dessous) que la direction générale des collectivités locales (DGCL) a préparé à partir de l'été 2018, en concertation avec les associations nationales d'élus locaux. Sans valeur juridique, l'ouvrage détaille la méthode pour réaliser les retraitements des dépenses réelles de fonctionnement. Ce support au contenu sans ambiguïtés a indéniablement facilité les discussions locales.
Beaucoup de collectivités se qualifient sans peine (pour 2018)
Si la pression a baissé, c'est aussi parce qu'au final, une grande partie des départements, des villes et des intercommunalités ne devraient pas avoir dépassé en 2018 la limite fixée pour l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement, selon les informations de l'ADF, de France urbaine et de Villes de France (l'association qui fédère les villes de 15.000 à 100.000 habitants et leurs agglomérations). Aussi bien l'État que les élus locaux n'ont d'ailleurs pas intérêt à ce qu'il en soit autrement, note-t-on à France urbaine. "Puisqu'il a fallu vendre le dispositif à la Commission européenne, il existe, en tout cas cette année, une convergence d'intérêts entre nos deux parties. Il s'agit de montrer qu'il a été efficace", souligne Franck Claeys, directeur économie et finances locales de l'association.
Mais certaines collectivités et intercommunalités ont su provoquer la chance. C'est le cas de l'agglomération de Besançon. La renégociation en 2018 de la délégation de service public (DSP) en matière de transports aurait pu entraîner une sortie de route de la deuxième intercommunalité de Bourgogne-Franche-Comté. En 2011, elle avait très bien négocié la DSP, le délégataire enregistrant une perte annuelle supérieure à 3 millions d'euros par an. Avec l'arrivée en 2018 de Kéolis, l'intercommunalité a dû accepter de dépenser 2,2 millions d'euros de plus par an pour son réseau de transports. Problème : relever d'un tel montant la subvention de fonctionnement allouée au budget annexe dédié aux transports aurait pour effet d'augmenter de 2,8% les charges de fonctionnement du budget principal. La communauté d'agglomération plaide en faveur d'une neutralisation de cette dépense supplémentaire, qui n'est en aucun cas le reflet d'une "mauvaise gestion". Pour l'instant, l'État n'apporte pas de réponse.
Des dommages collatéraux sur les politiques cofinancées ?
Alors, pour rester dans les clous, les élus ont opté pour une alternative : ne pas toucher à la subvention d'équilibre, mais recourir à un emprunt pour financer les investissements dans les transports. Une opération qu'ils ne pourront pas renouveler de nombreuses fois. Le risque de devoir à terme s'acquitter d'une "reprise financière" menace donc l'intercommunalité. Si dans l'ensemble, l'État ne fait pas preuve d'un excès de rigueur dans la mise au point du bilan de l'évolution des dépenses, il n'a pas pour autant une attitude clémente, estime Gabriel Baulieu.
D'autres structures locales n'ont pu forcer le destin et seront par conséquent ponctionnées à partir du second semestre 2019 sur leurs recettes fiscales. Certaines d'entre elles enregistrent une croissance rapide de leur population, comme le constatent Villes de France et France urbaine. L'État a pu le prendre en compte en majorant de 0,15% le taux plafond assigné aux collectivités concernées. Mais ce geste serait parfois très insuffisant. Exemple : pour une ville, cette souplesse représente "une autorisation de dépenses supplémentaires de 105.000 euros, alors que l'accueil de populations nouvelles a conduit la collectivité à dépenser dans les faits 822.000 euros de plus en 2018. En perspective du réexamen parlementaire - probablement à l'automne prochain – de la loi de programmation des finances publiques, les associations d'élus locaux plaideront pour que l'on desserre l'étau dans lequel se trouve ce type de collectivités. L'exclusion des subventions de l'État ou de l'Union européenne de la base de calcul des dépenses de fonctionnement des collectivités locales sera un autre cheval de bataille. Si les collectivités n'obtenaient pas cette faculté, elles pourraient être "découragées" de poursuivre certaines actions cofinancées, par exemple en matière de coopération décentralisée, ce que relevait d'ailleurs la Cour des comptes en septembre dernier.