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Protection de l'enfance - ASE et allocations familiales : bras de fer entre le gouvernement et les sénateurs

Comme Localtis le prévoyait après le passage du texte en commission des affaires sociales (voir notre article ci-contre du 21 mars 2013), le Sénat a adopté, le 27 mars, la proposition de loi "relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge". Ce votre n'a rien d'une surprise tant ce texte, déposé en juillet 2012 par deux sénateurs UMP du Maine-et-Loire - Christophe Béchu, également président du conseil général, et Catherine Deroche -, avait été favorablement accueilli en commission, même si les groupes socialiste, écologiste et CRC s'étaient finalement contentés de s'abstenir. Il correspond en effet à une attente forte des départements, qui transcende les groupes politiques et se trouve encore renforcée par les difficultés financières actuelles de ces collectivités.
La surprise est venue de la position du gouvernement - en l'occurrence la ministre déléguée chargée de la famille, Dominique Bertinotti -, qui s'est opposée vigoureusement au texte, suscitant une réaction non moins vigoureuse de sa propre majorité. Le bras de fer s'est conclu au bénéfice des sénateurs, puisqu'en dépit de l'avis négatif du gouvernement, le texte a été adopté à la quasi-unanimité (330 voix contre 16), seuls les sénateurs du groupe EELV (écologistes) et quatre sénateurs socialistes (sur 128) votant contre.

Stigmatisation ou équité ?

Dans une intervention dont la diplomatie n'était pas le trait le plus saillant, Dominique Bertinotti a affirmé que "cette proposition de loi n'apporte de réponse satisfaisante ni aux enfants, ni aux parents, ni aux départements" et s'est demandée "où est l'humanisme quand on enfonce encore un peu plus les familles ?". Elle a indiqué que ce texte se situe "à contre-courant de tous les efforts entrepris par le gouvernement", sachant que "lors de la conférence sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, le Premier ministre a pris des engagements forts, aucune famille ne doit être stigmatisée". La ministre a également jugé le texte inutile, dans la mesure où la possibilité de verser les allocations familiales au département existe déjà dans le Code de l'action sociale et des familles, même si elle est en réalité très peu mise en oeuvre par les juges des enfants (sur ce point et sur le contenu du texte, voir notre article du 21 mars 2013).
Si la droite a vivement réagi à ces propos, les sénateurs socialistes se sont également montrés critiques. Ronan Kerdraon (PS) a ainsi dit sa "fierté" de "mettre au coeur des politiques le sens de l'équité", tandis qu'Alain Richard a affirmé craindre "que la position du gouvernement ait été inspirée par la préoccupation d'éviter les critiques médiatiques de certaines associations. Le travail du législateur ne se résume pas à un pépin médiatique".
Il faisait ici référence à la réaction de plusieurs associations, dont ATD Quart Monde, le Secours catholique, l'Unaf et les Apprentis d'Auteuil... mais aussi, on le notera, l'Association nationale des assistants de service social (Anas) et le Syndicat national des médecins de PMI. Dans un communiqué commun du 25 mars, celles-ci affirment que "la mesure irait à l'encontre de l'objectif de favoriser le retour de l'enfant dans sa famille lorsque la situation le permet, mis en avant dans la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance." Elles rappellent que "l'article L.228-1 du Code de l'action sociale et des familles maintient aux parents l'obligation d'entretien et d'éducation de leurs enfants même confiés aux services de l'aide sociale à l'enfance" et que "seuls 20% des enfants confiés à l'ASE le sont pour cause de mauvais traitements."
Du côté du PC, le sénateur Christian Favier a affirmé que "ce texte ne stigmatise personne" et qu'il "donnera aux départements les moyens d'accueillir les enfants dans de bonnes conditions". Le fait que Dominique Bertinotti a affirmé, juste avant le scrutin public sur le texte, qu'elle n'a "pas voulu être agressive : j'ai dit mes convictions avec ma spontanéité et peut-être la fougue d'une novice", n'a manifestement pas suffi à convaincre les sénateurs de gauche.

Les départements unanimes

Au final, l'attitude de la ministre a d'autant plus surpris les sénateurs que - comme l'ont rappelé plusieurs d'entre eux -, le chef de l'Etat s'était montré ouvert à cette proposition de loi lorsqu'il avait reçu, en octobre dernier, une délégation de l'Assemblée des départements de France (voir notre article ci-contre du 22 octobre 2012). Le sort de la proposition de loi - et notamment son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale - devrait donc dépendre désormais d'un arbitrage présidentiel. En notant au passage que la députée UMP Valérie Pécresse a annoncé qu'elle venait de déposer à l'Assemblée une proposition de loi sur le même sujet.
On retiendra cependant de ce débat surprenant l'adoption d'un amendement d'Yves Daudigny (PS) instaurant un délai de trois mois à compter de la mesure de placement - une sorte de période d'observation - avant un éventuel versement des prestations entre les mains du département.
Claudy Lebreton, le président de l'Assemblée des départements de France, se félicite, dans un communiqué du 28 mars, de l'adoption de cette proposition de loi et affirme qu'"il est maintenant à souhaiter que l'Assemblée nationale vote à son tour cette proposition de loi, approuvée à l'unanimité par le bureau de l'ADF". Répondant indirectement à Dominique Bertinotti, Claudy Lebreton explique qu'"il ne s'agit évidemment pas, pour les départements, de stigmatiser des familles vulnérables, mais plutôt de revenir à davantage d'équité, en permettant aux départements d'assumer au mieux leurs responsabilités en matière sociale et de solidarité".
Même son de cloche du côté des présidents des conseils généraux de la droite, du centre et des indépendants (DCI) au sein de l'ADF, qui se félicite du "consensus des départements, dégagé au sein l'ADF puis au Sénat" autour d'un texte qui "reconnaît pleinement le conseil général comme chef de file de la protection de l'enfance, renforce la cohérence d'ensemble de l'aide sociale à l'enfance et corrige les injustices nées de l'application du dispositif, vis-à-vis des conseils généraux, des travailleurs sociaux, des familles concernées et du contribuable départemental."
Les associations, elles, se disent "stupéfaites" face à cette "confiscation". Dans un nouveau communiqué, diffusé ce 28 mars, elles se demandent par exemple comment les parents concernés pourront "continuer à payer un loyer permettant de garder une chambre pour les enfants" et accueillir "correctement leurs enfants s'ils les reçoivent le week-end". Elles espèrent que les députés "rétabliront l'étude des situations au cas par cas par les travailleurs sociaux et que le juge pourra continuer à maintenir le versement de la totalité des allocations familiales aux familles s'il l'estime nécessaire."

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : proposition de loi relative au versement des allocations familiales et de l'allocation de rentrée scolaire au service d'aide à l'enfance lorsque l'enfant a été confié à ce service par décision du juge (adoptée en première lecture par le Sénat le 27 mars 2013).