Patrimoine - Archéologie préventive : une "concurrence exacerbée" et un financement "décevant"
Alors que le climat s'est récemment tendu parmi les archéologues de l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) face à la concurrence des services privés et de ceux des collectivités territoriales (voir nos articles ci-contre du 21 mars 2014 et du 11 février 2015), le ministère de la Culture rend public le contenu du rapport commandé à Martine Faure, députée (PS) de la Gironde, intitulé précisément "Pour une politique publique équilibrée de l'archéologie préventive".
L'essentiel du rapport se consacre à un état des lieux du dispositif actuel, plus de dix ans après les lois du 17 janvier 2001 et du 1er août 2013 qui ont fondé ce dernier, ainsi qu'à une description de ses "dysfonctionnements".
Un recul du chiffre d'affaires de l'Inrap de 17% en 2014
La principale innovation introduite par ces deux textes était l'apparition d'une dimension concurrentielle dans ce qui était jusqu'alors un monopole de l'Inrap. Ce dernier a vu ainsi son poids relatif reculer tout au long de la période. En 2013, il a ainsi réalisé uniquement 50% des fouilles d'archéologie préventive, ce qui représente encore 58% du chiffre d'affaires (contre 25% pour les opérateurs privés et 17% pour les collectivités), compte tenu des chantiers généralement plus importants qui lui sont confiés.
En outre, la situation de l'Inrap ne cesse de se détériorer. Si les chiffres d'ensemble de 2014 ne sont pas encore connus, le rapport indique néanmoins qu'"il semble que la situation de l'Inrap se soit encore dégradée, l'établissement réalisant l'année dernière un chiffre d'affaires de 71,4 millions d'euros contre 85,9 millions d'euros en 2013 sur son activité de fouilles", soit un recul de 17% sur un an. Alors que l'Inrap a connu une progression de son chiffre d'affaires de 60% entre 2009 et 2012, il apparaît que la situation s'est retournée en 2013. Selon le rapport, cette brusque dégradation - qui aurait pourtant pu être anticipée - s'explique par l'arrêt des grands chantiers d'aménagement du territoire (Canal Seine-Nord, LGV Le Mans-Rennes, Tours-Bordeaux, Dijon-Strasbourg...), sur lesquels l'Inrap était seul à avoir l'envergure nécessaire. Mais sur les chantiers courants, les opérateurs privés et ceux des collectivités sont souvent plus concurrentiels.
La concurrence au détriment de la qualité ?
La seconde partie du rapport pointe "les dysfonctionnements du système actuel". L'auteure s'y fait particulièrement sévère, notamment lorsqu'elle pointe "la concurrence exacerbée dans un contexte de fléchissement de l'activité et en l'absence d'outils de régulation suffisamment efficaces". Sans doute la stratégie des acteurs y est-elle pour quelque chose. Le prix moyen facturé des fouilles de l'Inrap a progressé de 20% entre 2009 et 2012, avant une décrue en 2013, quand celui des opérateurs privés a baissé de 38% sur la même période, avant un rebond en 2013 !
Cette concurrence exacerbée a conduit à des dérives de la part de certains opérateurs privés, les prix proposés n'étant tenables qu'au détriment de la qualité. Elle a également eu pour effet de créer "un sentiment de concurrence débridée et d'injustice profonde", en d'autres termes de saper le moral des archéologues de l'Inrap. Tout cela avec des services régionaux d'archéologie - dépendant de l'Etat - qui "n'ont pas les moyens suffisants pour assurer une véritable régulation du dispositif".
La faillite de la redevance d'archéologie préventive
Le bilan est tout aussi sombre du côté du financement de l'archéologie préventive, avec "une grande complexité pour un rendement décevant". La déception vient bien sûr de la redevance d'archéologie préventive (RAP), dont les faiblesses sont déjà bien connues, et du Fonds national d'archéologie préventive (Fnap) qu'elle alimente pour financer les fouilles de l'Inrap et des services d'archéologie des collectivités territoriales.
On rappellera juste que la RAP, créée en 2001, a été réformée successivement en 2003, 2004, 2007, 2011 et 2012... sans véritable résultat. Conséquence : le rendement effectif de la RAP "s'avère chroniquement insuffisant et n'a, de facto, jamais permis de financer la totalité des besoins, identifiés autour de 120 millions d'euros". Pour mémoire, le rendement total de la RAP, après avoir culminé à 88 millions d'euros en 2011, a été de 44 millions en 2013 et de 82 millions en 2014.
Dernier dysfonctionnement majeur pointé par le rapport : l'activité de recherche, secteur dans lequel "une ambition unanimement revendiquée" se heurte à "une réelle confusion dans la répartition des rôles" : périmètre incertain, manque de reconnaissance de l'activité de recherche, difficulté à regrouper les chercheurs
Des propositions qui restent en deçà des enjeux
Face à un constat qu'il est difficile de ne pas qualifier d'accablant, le rapport déçoit quelque peu sur les propositions. Il y a en effet un décalage entre les cinq axes du projet global annoncé et les préconisations avancées. Si on prend, par exemple, la question centrale du financement, le rapport préconise de "garantir un système de financement fiable et efficace". Mais, en pratique, il se contente de proposer une "rebudgétisation" de la RAP, en l'affectant au budget de l'Etat, ce qui - en ces temps de disette budgétaire et donc d'arbitrages - ne semble pas forcément le meilleur moyen de garantir les recettes de l'archéologie préventive (même si le rapport préconise par ailleurs de "sécuriser le financement de l'Inrap en augmentant le montant de la subvention pour charge de service public qui lui est versée").
Même contraste pour ce qui concerne la régulation de la concurrence. Il était certes difficile de revenir sur le principe même de la concurrence. Le rapport reconnaît d'ailleurs que "la présence d'opérateurs privés dans le domaine des fouilles d'archéologie préventive peut être un avantage pour l'archéologie dans son ensemble". Mais, là aussi, il n'est pas sûr que "les soumettre, compte tenu de leur participation à une mission de service public, à un niveau d'exigence élevé, tant sur le plan scientifique et que sur celui de la gestion (politique sociale, publication des comptes notamment)" suffise à modifier le jeu, d'autant que les sociétés sont déjà tenues à la publication de leurs comptes.