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Habitat - Annulation de la loi Logement : et maintenant ?

Si elle ne remet pas en cause le principe de la mise à disposition de terrains et le nouveau quota de 25% pour les logements sociaux, l'annulation de la loi Logement par le Conseil constitutionnel va peser sur l'objectif de construction de 500.000 logements par an sur la durée du quinquennat.

C'est une double première que vient de vivre la Ve République à propos du projet de loi relatif à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social. C'est ainsi la première fois qu'un chef du gouvernement annonce lui-même - le 24 octobre au matin sur France Inter - une décision du Conseil constitutionnel, alors que celui-ci ne s'est pas encore réuni. Mais c'est aussi et surtout la première fois, depuis 1958, qu'une loi est intégralement censurée pour des raisons de procédure, autrement dit qu'elle est supposée n'avoir jamais existé.

Une annulation prévisible

L'exercice de prédiction auquel s'est livré Jean-Marc Ayrault, dont il s'est d'ailleurs excusé dans la journée en rappelant son "respect" pour "l'indépendance des juridictions", était sans aucun risque tant le motif d'annulation était évident. L'article 42 de la Constitution, dans sa rédaction issue de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, prévoit en effet que "la discussion des projets et des propositions de loi porte, en séance, sur le texte adopté par la commission saisie en application de l'article 43 [textes dont l'examen est obligatoirement soumis à l'avis d'une commission, ndlr] ou, à défaut, sur le texte dont l'assemblée a été saisie". Les seuls cas de figure où la discussion dans la première assemblée saisie s'engage sur le texte du gouvernement (en dehors de celui du rejet du texte par la commission) concerne les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale.
Lors de l'ouverture des débats sur le projet de loi au Sénat, le 11 septembre dernier, Localtis s'était d'ailleurs étonné que la discussion s'engage sur le texte du gouvernement et que ni le rapport du rapporteur ni l'avis de la commission des affaires économiques ne soient disponibles (voir notre article ci-contre du 11 septembre 2011). Bien que la commission se soit réunie le matin même pour examiner le texte et adopter des premiers amendements, le débat en séance publique s'est en effet ouvert à 15 heures sur le texte du gouvernement, faute - apparemment - de disposer du texte et du rapport de la commission.
Une situation qui n'avait pas non plus échappé à l'opposition, qui a tenté de faire adopter successivement, sans succès, une exception d'irrecevabilité, une question préalable et une motion de renvoi en commission. Les intervenants avaient pourtant tous pointé le non-respect de l'article 42 de la Constitution et annoncé d'emblée l'intention de l'opposition de saisir le Conseil constitutionnel.
Dans sa décision du 24 octobre 2012, celui-ci estime que "nonobstant l'adoption de ce projet par la commission permanente compétente, l'examen du texte en séance publique qui a débuté le 11 septembre au soir [en réalité dès la séance de 15 heures, ndlr] a porté sur le texte du projet de loi dont le Sénat avait été saisi ; que la loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social n'a pas été discutée conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution ; qu'elle a, par suite, été adoptée selon une procédure contraire à la Constitution".

Vitesse et précipitation

Pour le Premier ministre, cette situation et la censure du Conseil constitutionnel sont la conséquence d'un "cafouillage parlementaire" qui ne concerne pas le gouvernement. L'explication semble toutefois un peu courte. La cause principale tient en effet à la brusque accélération du calendrier parlementaire au début du mois de septembre. Confronté à un feu roulant de critiques de son propre camp, de l'opposition et des médias sur l'absence de réformes significatives depuis le changement de majorité, le gouvernement a décidé d'accélérer le rythme à la rentrée. Un décret du président de la République du 4 septembre 2012 a ainsi avancé du 20 au 11 septembre la date d'ouverture de la session extraordinaire du Parlement. Lorsque le chef de l'Etat a signé ce décret, le projet de loi Logement n'était même pas encore passé en Conseil des ministres (il n'a été examiné que le lendemain).
Autre signe d'une précipitation manifeste : le 5 septembre, un second décret présidentiel est venu ajouter à la liste des textes à examiner au cours de cette session extraordinaire le projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer. Dans ces conditions, avec une session commençant à l'improviste dix jours plus tôt que prévu, le risque d'un accroc de procédure ne pouvait être écarté...

Une nouvelle loi publiée en janvier ?

Quel va être le sort du projet de loi ainsi censuré ? Dans son interview sur France Inter avant la décision du conseil, Jean-Marc Ayrault a été catégorique : le texte sera représenté devant le Parlement "dans un mois et demi". L'idée est de repartir de la version adoptée par la commission mixte paritaire (CMP) qui intègre tous les amendements déposés par le gouvernement ou acceptés par lui (voir notre article ci-contre du 5 octobre 2012).
Deux options sont dès lors possibles. La première consisterait à faire reprendre le texte par un ou plusieurs parlementaires et à le transformer ainsi en proposition de loi, évitant de la sorte un nouveau passage en Conseil des ministres. Mais, outre le caractère un peu voyant de la ficelle, le gouvernement apparaîtrait comme "dépossédé" de son texte, ce qui ne ferait qu'ajouter une nouvelle avanie à un parcours législatif déjà chaotique. La seconde option, vers laquelle le gouvernement semble s'orienter, consisterait à conserver le statut de projet de loi. Compte tenu des différences entre le projet de loi initial et la version adoptée par la CMP, il serait alors indispensable de soumettre ce nouveau texte au Conseil des ministres, après avoir recueilli les divers avis préalables comme ceux du Conseil d'Etat. La date envisagée pour le passage en Conseil des ministres semble être le 14 novembre.
Il faudra ensuite trouver un créneau dans un ordre du jour particulièrement chargé, puisque la session d'automne est traditionnellement consacrée à deux textes très lourds : le projet de loi de finances et le PLFSS. La discussion ayant déjà eu lieu, l'idée du gouvernement est de faire examiner le texte en l'état et de demander à sa majorité de ne voter aucun amendement. Avec un texte adopté dans les mêmes termes dans les deux chambres en première lecture - et avec l'urgence déclarée (pas de deuxième lecture) -, le projet de loi pourrait donc être adopté sans nouveau passage en CMP. Mais cela n'empêchera évidemment pas l'opposition de déposer des amendements, qui devront être examinés. Les débats ne devraient donc pas être beaucoup plus courts que pour la première version du texte (trois jours au Sénat et autant à l'Assemblée).

Et le logement dans tout ça ?

Si ce calendrier est respecté (et sous réserve d'une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel portant cette fois-ci sur le fond), la loi pourrait être publiée à l'extrême fin de l'année ou, plus probablement, au début de 2013. Dans un communiqué diffusé juste après la décision du Conseil constitutionnel et faisant allusion aux deux mesures principales du projet de loi, la ministre du Logement affirme que "dès 2013, l'Etat mettra à disposition des collectivités le foncier nécessaire à la production de logements et obligera les collectivités à porter à 25% le taux de logements sociaux par commune". Même si le ministère travaille sans doute déjà aux différents textes d'application, le retard engendré par la censure du projet de loi ne sera cependant pas sans conséquence.
Il obère en effet fortement la réalisation de l'objectif, fixé par le chef de l'Etat, de production de 500.000 logements par an durant son quinquennat. Déjà très ambitieux (ce chiffre n'a jamais été atteint au cours de la décennie précédente, le record se situant à 468.000 logements en 2008), cet objectif va pâtir du retard pris dans la mise en place des premières mesures destinées à favoriser son accomplissement. Les effets risquent notamment d'être sensibles sur la mise à disposition de terrains par l'Etat et ses opérateurs. Un handicap qui s'ajoutera aux effets d'une conjoncture économique très dégradée et à la chute actuelle de tous les indicateurs de la construction.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Conseil constitutionnel, décision n°2012-655 DC, loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social (annulation).

 

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