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Aménagement du territoire : face à la révolution en cours, il est urgent de changer un modèle fiscal à bout de souffle

Les conférences des Scot, instituées par la loi Climat et Résilience afin de territorialiser les objectifs du zéro artificialisation nette (ZAN), ont jusqu’au 22 octobre pour remettre leurs copies. Stella Gass, directrice de la Fédération nationale des Scot, fait le point sur cet exercice. Elle attire surtout l’attention des élus locaux sur la nécessité de changer de modèle d’aménagement du territoire, et de bâtir dès maintenant des stratégies territoriales à même de répondre aux objectifs fixés. Et plaide pour renverser un modèle fiscal à bout de souffle.

Localtis - À quelques jours de la date fatidique – le 22 octobre – pour les conférences des Scot, quel regard portez-vous sur cet exercice ?

Stella Gass - Cet exercice a été à bien des égards positif. D’abord, il a permis – enfin ! – de placer les élus locaux au cœur du dispositif. C’était indispensable. Il faut comprendre que nous sommes à un moment de l’histoire où rien ne pourra se faire sans partir des territoires. Ce qui ne signifie pas, bien au contraire, qu’il ne faille pas à un moment donné vérifier que les différentes stratégies territoriales permettent bien d’atteindre les objectifs fixés nationalement – c’est tout l’intérêt de la planification. Mais il faut pour cela miser au préalable sur le sens des responsabilités des territoires. Leur faire confiance.

Ces conférences ont réciproquement eu la vertu de mettre la question du ZAN au cœur des politiques publiques locales. Je relèverais encore qu’élus et techniciens, en dépit de la période, n’ont pas ménagé leurs efforts. Ils se sont réunis de l’ordre de 6 à 8 fois en moyenne, ce qui n’est pas rien compte tenu des délais impartis. Je trouve enfin que les discussions entre élus du bloc local ont été globalement intelligentes, notamment en essayant d’apaiser les tensions rural/urbain qui pouvaient se faire jour. En conclusion, je dirais que ces conférences ont au moins permis de bien identifier les différentes problématiques.

Lors de son audition à l’Assemblée le 13 septembre dernier, le ministre Christophe Béchu alertait sur le fait qu’"on ne s’orientait pas vers un consensus" dans ces conférences et que certaines régions menaçaient d’appliquer "le 50% aveugle" – entendre une déclinaison purement arithmétique des objectifs du zéro artificialisation nette (voir notre article du 15 septembre). Qu’en pensez-vous ?

Il m’est difficile de me prononcer à ce stade, n’ayant pas encore vu la copie finale des régions. Si M. le ministre veut signifier que les négociations au sein de ces conférences ont été particulièrement compliquées, c’est indéniable. Mais comment pouvait-il en être autrement compte tenu d’une part de l’ampleur des défis – parfois contradictoires – que l’on somme les élus locaux de relever, et d’autre part des conditions dans lesquelles ce travail a dû être conduit ? Rappelons que ces conférences – qui n’ont été décidées qu’en toute fin de parcours législatif, en commission mixte paritaire – ont d’abord dû être réunies dans un temps très court. Ensuite, qu’aucun outil n’a été apporté aux élus, que l’on a laissé seuls face à l’exercice. Ils ont dû faire avec les moyens du bord. Il faut souligner ici l’absence de données fiables mises à leur disposition. Avec la loi et ses décrets, tous les motifs d’artificialisation doivent désormais être comptabilisés. Or, beaucoup d’éléments ne sont pas recensés dans les données nationales, comme les bâtiments agricoles, une grande partie des énergies renouvelables ou encore les infrastructures non cadastrées, dont – au passage – un grand nombre relève de l’État lui-même (LGV, autoroutes…). Difficile de tracer un chemin quand on ne connaît pas le point de départ ! J’ajouterais que l’État s’est bien gardé de conduire un effort de pédagogie sur le ZAN auprès des élus locaux, sujet éminemment sensible. Ce sont les élus de ces conférences qui ont, souvent à leur corps défendant, assuré le service après-vente d’un texte sur lequel ils n’ont eu aucune prise, et dont les objectifs ont été fixés, rappelons-le, sans aucune étude d’impact.

Pour autant, je n’ai aucune raison de penser à ce stade que les régions ne tiendront pas compte des travaux conduits. Les discussions vont se poursuivre au-delà du 22 octobre et si le portage politique de l’aménagement du territoire n’est pas LA priorité des élus régionaux, je n’ai pas le sentiment qu’ils s’en désintéressent. Dans tous les cas, le "50% aveugle" ne pourra à mon sens pas dépasser le stade de la menace. La loi dispose bien un objectif de territorialisation du ZAN, ce qui ne peut conduire à appliquer le même ratio partout, sauf à démontrer que tous les territoires sont placés exactement dans la même situation. Pour autant, le plus dur reste à venir.

Que voulez-vous dire ?

Les projets politiques des Sraddet vont être arrêtés en mars 2023, ce qui ne manquera pas de tendre la situation. En l’état des textes, la prise en compte des projets d’intérêt national ou régional se fait à l’échelle régionale. Pour certaines régions, comme les Hauts-de-France, l’effort devient colossal : 35% de son enveloppe est absorbée par les grands projets – le canal Seine-Nord notamment. L’effort de réduction de l’artificialisation ces dix prochaines années devra donc être pour elle non de 50%, mais de 85% ! D’autres régions sont confrontées à des défis du même type, comme la Nouvelle-Aquitaine, qui voit 10% de son enveloppe absorbée par les grands projets, avec la ligne TGV Bordeaux-Toulouse notamment. Région attractive, elle doit en outre faire face dans le même temps à l’érosion du trait de côte ! – comme les Pays de la Loire. Sans compter que sa taille renforce l’hétérogénéité des situations ; le redécoupage des régions a clairement compliqué la donne.
Mais c’est surtout avec la déclinaison dans les PLU que surgiront les véritables difficultés. 180 de nos Scot sont déjà dans une trajectoire de réduction de 50% de l’artificialisation. Les reclassements en zones agricoles et naturelles, dans les PLU/PLUi de 2027, vont être très importants, ce qui ne manquera pas de susciter des crispations. Je doute en l’espèce que le fait que le préfet pourra reprendre la main puisse apporter quelque chose.

À vous entendre, c’est donc mission impossible ?

Une chose est certaine : on ne pourra pas atteindre les objectifs fixés en reproduisant les logiques existantes. Les élus sont aujourd’hui confrontés à une multitude d’enjeux souvent contradictoires – tirer le frein sur l’artificialisation des sols, accélérer l’adaptation au changement climatique, favoriser la réindustrialisation et la production de logements, alors que nous allons gagner deux millions d’habitants d’ici 2045, etc. – et ce, dans un contexte où, il faut le marteler, aucun territoire n’a perdu de ménages. Un exemple : respecter le plan Vélo et viser la décarbonation des déplacements suppose de consacrer 5% de l’artificialisation aux liaisons douces. Dit comme cela, cela paraît peu, mais cela équivaut peu ou prou à l’artificialisation des zones commerciales périphériques – elles représentent en moyenne 3 à 7%. De même, pour déployer les énergies renouvelables, nous aurons besoin de beaucoup de foncier – 250.000 hectares de panneaux photovoltaïques, avec une pression importante pour les mettre au sol... Il faut donc prendre conscience que c’est bien une révolution de l’aménagement du territoire qui est à l’œuvre. C’est ce qui avait d’ailleurs conduit la Fédération des Scot à proposer dans ses dernières rencontres de nouveaux modèles d’aménagement (voir notre article du 17 juin). Cette révolution ne pourra se faire sans la mise en œuvre de véritables stratégies territoriales, seules à même d’éviter les impasses. Plusieurs horizons sont connus : à moyen terme, le ZAN et le ZEN (zéro émissions nettes). À court terme, la révision des Scot pour 2026 et des PLU/PLUI pour 2027. Les élus doivent comprendre que c’est maintenant que tout se joue. Les travaux du GIEC donnent trois ans pour changer les trajectoires des territoires. Demain, il sera trop tard.

Cette projection à long terme ne demande-t-elle pas du temps et de la stabilité ? Est-elle possible alors que la loi ne cesse de bouleverser les règles du jeu ? Le projet de loi d’accélération des énergies renouvelables, par exemple, ne va-t-il pas remettre en cause certains options à peine arrêtées ?

C’est une difficulté supplémentaire, qui rend la planification plus difficile, mais nullement moins indispensable. Un exemple : le projet de loi que vous évoquez prévoit d’imposer aux propriétaires de parkings de plus de 2.500 m2 l’installation d’ombrières photovoltaïques. Pour respecter cette éventuelle nouvelle obligation, des engagements de 30 ans devront être pris avec des opérateurs, alors que l’on se rendra peut-être bientôt compte que certains de ces parkings devront être utilisés pour répondre aux besoins d’habitat, d’économie dans le cadre de la réduction de la consommation du foncier, voire désartificialisés – ce qui ne sera plus possible… Nous sommes bien conscients que les élus ne vont avoir d’autre choix que de "planifier dans l’incertitude" – ce sera d’ailleurs le thème de nos prochaines rencontres, qui se tiendront les 15 et 16 juin prochains à Nîmes. La situation est assurément inconfortable, mais une vision à long terme et le passage à l’action sont plus que jamais nécessaires.

Pour revenir à votre précédente question, ce sera effectivement mission impossible si nous n’en finissons pas par ailleurs avec un modèle de financement à bout de souffle, alors que la question du financement constitue toujours l’angle mort de ces différentes lois. Un exemple : pour ne pas perdre 4,6 millions de logements avec l’interdiction de louer des biens étiquetés F et G d’ici 2028, un chercheur estime que le besoin de financement est de l’ordre de 450 milliards d’euros. Autre exemple : le fonds Friches a permis de réhabiliter 2.800 hectares pour un coût pour l’État de 650 millions d’euros. Depuis le 21 août dernier et pendant dix ans, on sait qu’il nous faut compenser la perte de 130.000 hectares nouvellement artificialisés – 267.000 hectares l’ayant été les dix années précédentes. Si l’on retient que la moitié – France Stratégie évoque 43% de renouvellement urbain – devra venir de la réhabilitation de bâti existant, cela signifie grosso modo que l’État devra dégager plus de 17,5 milliards d’euros dans les dix ans. Près d’un "fonds vert" tous les ans, et uniquement consacré au fonds Friches ! Et comme on estime que la participation des collectivités dans les projets bénéficiant du fonds Friches est de l’ordre de 2 à 3 fois celle de l’État, cela signifie que ces dernières devraient trouver entre 35 à 50 milliards d’euros… Or, rappelons que le dernier levier financier dont disposent les collectivités locales, c’est le foncier ! Pourra-t-on encore longtemps feindre de croire que notre modèle fiscal répond aux enjeux et aux ambitions de la loi ?

 

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