Airbnb s'engage pour le patrimoine, Paris va durcir encore la pression
La course-poursuite entre les grandes plateformes de location touristique meublées – à commencer par Airbnb – et les grandes métropoles touristiques – à commencer par Paris – connaît deux nouveaux épisodes quasi simultanés. D'un côté, Airbnb peaufine son image d'acteur responsable et d'ami des territoires en passant convention avec la Fondation du patrimoine et l'Association des maires ruraux. De l'autre, la ville de Paris annonce un nouveau durcissement de la compensation pour les propriétaires qui souhaitent transformer un logement en location touristique meublée.
Dans un communiqué commun du 4 novembre, Airbnb et la Fondation du patrimoine annoncent que la plateforme va soutenir, "à titre philanthropique", "la cause majeure de la protection du patrimoine en France à travers une importante opération de mécénat au bénéfice de la Fondation". Cet engagement se traduit par une donation immédiate de 5,6 millions d'euros, qui fait d'Airbnb le principal mécène du programme "Patrimoine et tourisme local" de la Fondation. La nouvelle a été annoncée par Nathan Blecharczyk, cofondateur et directeur de la stratégie d'Airbnb, lors du sommet "Destination France", le 4 novembre à l'Elysée, en présence d'Emmanuel Macron (voir notre article du 5 novembre 2021).
Dans un communiqué propre du même jour, Airbnb présente rien moins que son "plan pour revitaliser le tourisme patrimonial et rural". Outre la donation à la Fondation du patrimoine, le dispositif comprend "un plan global pour aider les propriétaires privés à tirer le meilleur parti de la plateforme Airbnb pour financer la rénovation de leurs lieux patrimoniaux via plusieurs mesures : série de campagnes marketing et communication dédiées à la promotion du tourisme patrimonial français auprès de publics nationaux et internationaux, mise à profit des technologies innovantes de la plateforme pour faciliter la recherche et la réservation de séjours dans des demeures et édifices patrimoniaux, développement de stratégies créatives de contenu pour inciter davantage de voyageurs à réserver des logements patrimoniaux et découvrir les richesses des territoires environnants, lancement d'un programme de formation à l'hébergement patrimonial en milieu rural en partenariat avec l'Association des maires ruraux de France (AMRF), afin d'informer les propriétaires sur les possibilités de soutenir financièrement leurs projets de rénovation en développant l'hébergement sur Airbnb.
L'objectif affiché est de "contribuer à la préservation des joyaux historiques des campagnes françaises tout en créant de nouvelles opportunités économiques pour les habitants, commerces et entreprises des territoires ruraux de France qui ne bénéficient pas habituellement du tourisme". Cette action s'inscrit dans le prolongement de l'accord de partenariat signé entre Airbnb et l'AMRF en avril dernier, avec en particulier le lancement du programme "Rural Bootcamp" (littéralement "camp d'entraînement rural") et du fonds "Campagne d'avenir" (voir notre article du 16 avril 2021)
Vers des "secteurs de compensation très renforcée"
Le son de cloche est très différent du côté de mairie de Paris. Réagissant à une information révélée par le quotidien Le Parisien, Ian Brossat, adjoint (PCF) à la maire de Paris en charge du logement, a confirmé que la ville se préparait à annoncer plusieurs nouvelles mesures restrictives à l'encontre des plateformes. Il a ensuite présenté ces mesures, le 8 novembre, dans une interview sur BFMTV. Il est notamment prévu d'instaurer des "secteurs de compensation très renforcée", couvrant les zones les plus touristiques de la capitale. Jusqu'à présent, le dispositif des "secteurs de compensation renforcée" (qui existe également dans d'autres métropoles comme Strasbourg) prévoit que le propriétaire demandant le changement de destination d'un logement d'habitation situé sur un tel secteur, par exemple en logement destiné à la location touristique meublée, doit compenser l'opération par la transformation en habitation de locaux ayant un autre usage (par exemple des locaux commerciaux ou de bureau). Jusqu'à présent, la compensation à Paris était de 2m2 de logement à créer pour un 1m2 de logement faisant l'objet d'un changement de destination. D'après Ian Brossat, "grâce à ce règlement, entre 2012 et 2020, 47.000 m2 de logement ont été créés en compensation". La ville entend donc désormais créer des "secteurs de compensation très renforcés" dans les hauts lieux touristiques comme la Tour Eiffel, les Champs-Élysées, le Marais, Montmartre ou le Quartier latin. Dans ces zones, le ratio de compensation passerait à 3m2 pour 1m2. Bien que la mesure vise toutes les plateformes, Ian Brossat indique qu'elle a pour objet de "dissuader les propriétaires de transformer des logements en Airbnb dans ces quartiers".
Logement ou tourisme ?
D'autre mesures sont également lancées – comme l'installation d'un observatoire de la location meublée touristique à Paris – ou annoncées à l'image de l'instauration d'une autorisation préalable à la transformation de commerces en rez-de-chaussée en meublés touristiques, afin de "protéger le petit commerce et l'âme de nos quartiers". Une mesure autorisée par un décret du 11 juin dernier (voir notre article du 14 juin 2021). Cette disposition fera l'objet d'un nouveau règlement, présenté au conseil de Paris de décembre. Dans le même esprit, la mairie étudie aussi l'extension de sa règlementation anti-plateformes aux bureaux, de même que l'instauration de quotas par zones, par le biais du futur PLU en cours d'élaboration. En avril dernier, la ville avait déjà fait part de son souhait d'"expérimenter, en lien avec l'État, un système de quota ou d'interdiction par rue ou par quartier dans les zones tendues de Paris", ce qui pourrait toutefois poser un problème de légalité.
Si la politique à l'encontre des plateformes de location meublées est menée de façon continue depuis de longs mois par l'adjoint en charge du logement, il est plus surprenant de constater l'absence de réactions du côté des responsables du tourisme parisien. La capitale a pourtant connu une seconde saison touristique catastrophique, au point que Paris vient de demander à l'État la mise en œuvre d'un plan d'aide spécifique (voir notre article du 21 septembre 2021). Sans oublier la question récurrente de la capacité d'accueil lors de très grands événements comme les JO de 2024.