L'Etat et les collectivités signent une feuille de route sur les meublés de tourisme, Airbnb s'engage
Sept associations d'élus locaux et trente villes françaises ont signé avec la ministre en charge du logement Emmanuelle Wargon une "feuille de route commune sur les meublés de tourisme", avec plusieurs actions prévues : expérimentation de l'interface de partage des données, guide réglementaire à l'intention des collectivités, élaboration d'"engagements mutuels" des plateformes et loueurs (et locataires), maîtrise de "la transformation de certains biens en meublés de tourisme permanents"... Airbnb a immédiatement annoncé de nouveaux engagements.
Après le volet réglementaire – particulièrement copieux (voir nos articles ci-dessous) –, le dossier des meublés de tourisme et des plateformes d'intermédiation locative serait-il en train de passer à une phase plus ouverte à la concertation ? Le 5 février, Emmanuelle Wargon a en effet annoncé la signature d'une "feuille de route commune sur les meublés de tourisme" avec sept associations d'élus locaux (*) et trente villes, agglomérations ou métropoles (*). La signature de cette feuille de route est l'aboutissement d'une concertation engagée à l'automne dernier par la ministre déléguée en charge du logement. Le document est désormais proposé à la signature des plateformes de location de meublés de tourisme.
Une reconnaissance du rôle des plateformes
La feuille de route rappelle que les meublés de tourisme "existent en France depuis longtemps, mais ce secteur a connu un essor considérable, ainsi qu'un changement d'ampleur et de nature, à partir de 2013, à la suite de l'arrivée sur le marché de grandes plateformes multinationales en ligne" (comprendre Airbnb). Contrairement à d'autres prises de position plus hostiles aux plateformes, elle reconnaît que les locations meublées, concentrées dans les zones touristiques, "contribuent au développement du potentiel économique du territoire" et qu'elles "jouent également un rôle identique dans des territoires moins pourvus en offre touristique, complétant ainsi utilement le paysage des possibilités de location".
On notera d'ailleurs l'absence, parmi les collectivités signataires, des villes les plus hostiles aux meublés de tourisme et aux plateformes, comme Paris et Cannes (même si les maires LR des 5e et 9e arrondissements de la capitale ont apporté leur signature). Pour autant, "dans certaines zones, les meublés de tourisme peuvent aussi générer des tensions" : effet de substitution sur l'offre de logements, nuisances de voisinage...
Expérimentation d'une interface de partage des données
La feuille de route propose donc "plusieurs actions concrètes". La première consiste à mettre en œuvre l'expérimentation de l'interface de partage des données (API) sur les meublés de tourisme, dans la perspective de sa généralisation et de sa pérennisation. Cette interface apporterait aux communes une information centralisée, leur permettant ainsi un meilleur suivi et contrôle (notamment sur la limite annuelle de location de 120 jours par an, via les plateformes). Cette interface "API meublés" est développée par l'Etat depuis 2019, dans le prolongement de la loi Elan. Une expérimentation devrait être lancée sur quelques villes-pilotes en 2021, en vue d'une généralisation en 2022.
Autre action prévue : l'élaboration d'un guide de la règlementation en vigueur à l'intention des collectivités, doublé de "fiches communicantes" à l'intention des investisseurs et des particuliers. Sur le sujet des nuisances sonores et des troubles de voisinage provoqués par certaines locations meublées (fêtes intempestives, non-respect des règles sanitaires, voire locations à des fins de prostitution), le communiqué d'Emmanuelle Wargon rappelle que cette question est "identifiée comme un chantier prioritaire par toutes les parties". La feuille de route propose donc d'élaborer des "engagements mutuels" de bonne conduite à respecter par les plateformes, les loueurs et les locataires, et de repérer et sanctionner les loueurs et les locataires qui les enfreignent. Ceci pourrait aller jusqu'à une "liste noire", partagée entre les plateformes et les collectivités.
Maîtriser la transformation de certains biens en meublés de tourisme permanents
Enfin, la feuille de route prévoit de "maîtriser la transformation de certains biens en meublés de tourisme permanents". Elle rappelle que l'article 55 de la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (dite loi Engagement et proximité) prévoit que "sur le territoire des communes ayant mis en œuvre la procédure d'enregistrement [...], une délibération du conseil municipal peut soumettre à autorisation la location d'un local à usage commercial en tant que meublé de tourisme". La publication prochaine du troisième décret d'application de cet article "va permettre l'engagement d'une réflexion sur l'évaluation de ce phénomène et la coordination des outils de contrôle pour identifier les situations".
Il s'agit désormais de développer des outils permettant d'assurer le respect des obligations correspondantes et d'identifier les annonces illégales, comme celles concernant des résidences étudiantes, des logements sociaux ou des logements vétustes. Ceci pourrait être l'une des missions du "groupe de travail permanent sur les meublés de tourisme", dont la feuille de route prévoit la création et qui associera l'Etat et les collectivités territoriales, ainsi que des experts du sujet.
Airbnb propose une charte d'engagement proche de la feuille de route
Dans un communiqué du 7 février, Airbnb – le leader du marché – annonce "à la demande du gouvernement [...], une série de nouveaux engagements pour placer un tourisme durable au cœur de la relance économique en France". Dès le 8 février, cette annonce s'est traduite par la publication d'un document intitulé "Les engagements d'Airbnb pour un tourisme responsable". Ce livret ne reprend pas formellement l'ensemble des actions prévues par la feuille de route, mais s'inscrit clairement dans le même esprit.
Après avoir rappelé les actions déjà entreprises (généralisation de la collecte automatique de la taxe de séjour, blocage automatique des nuitées à 120 jours...), Airbnb s'engage à "favoriser l'application de la règlementation" et à "travailler en partenariat avec les municipalités afin de veiller à ce que l'ensemble des annonces de logements entiers loués en courte durée sur Airbnb soient enregistrées auprès des autorités locales". Dès le deuxième trimestre 2021, Airbnb bloquera la réservation de séjours de courte durée pour toute annonce de meublé de tourisme dépourvue de numéro d'enregistrement à Paris, Lyon et Bordeaux (mais la location restera possible pour les moyennes et longues durées). La mesure sera étendue à Lille, Marseille, Nantes, Nice, Strasbourg et Toulouse au second semestre, avant d'être généralisée. En matière d'information, les communes pourront accéder au "portail des villes" rassemblant toutes les informations. Airbnb s'engage par ailleurs à "soutenir le gouvernement dans l'élaboration d'une interface de partage de données (API) destinée aux villes".
Contrôle renforcé sur les troubles de voisinage et lutte contre les sous-locations illégales
Sur les troubles de voisinage, Airbnb annonce la poursuite de sa politique de contrôle (plus de 30.000 réservations bloquées en 2020 et 900 annonces supprimées ou suspendues). La plateforme prévoit de maintenir l'interdiction des fêtes en 2021 et de lancer un "nouvel outil à destination des habitants et des villes pour leur permettre de signaler à Airbnb d'éventuelles nuisances de voisinage". La plateforme assure également vouloir collaborer avec les villes pour lutter contre les annonces illégales de sous-location dans les logements sociaux, les résidences étudiantes ou encore les logements insalubres.
De façon plus large, Airbnb affirme aussi vouloir "permettre à chacun de bénéficier des retombées économiques du tourisme (soutien aux villages de montagne, encouragement au développement du tourisme rural...) et souhaite "nourrir un dialogue de long terme avec les villes sur la reprise du tourisme". Sur ce dernier point, la plateforme annonce la création d'un forum de discussion avec les responsables des villes, destiné à réunir "les équipes municipales et les responsables du tourisme et de l'attractivité, afin de poursuivre le dialogue et de développer de nouvelles initiatives en faveur de la relance de l'activité touristique dans les territoires".
Seul bémol : dans une approche très américaine, le livret se termine par une page de "Déclarations prospectives", expliquant notamment que des écarts entre les engagements et la réalité des faits sont possibles en fonction de l'aggravation ou de la prolongation de la crise sanitaire, de "notre capacité à attirer de nouveaux hôtes et voyageurs et à les retenir", ou encore de "déclins ou perturbations supplémentaires ou continues dans les secteurs du voyage et de l'hospitalité ou de ralentissements économiques et autres facteurs".
(*) Association des maires de France (AMF), AdCF / Intercommunalités de France, France Urbaine, Régions de France, Association nationale des élus de la montagne (Anem), Association nationale des élus du littoral (Anel), Association nationale des élus des territoires touristiques (Anett).
(*) Annecy et son agglomération, Arles, Bordeaux, La Baule, Clermont-Auvergne Métropole, La Rochelle et son agglomération, Marseille et la métropole d'Aix-Marseille-Provence, Martigues, Nice, métropole du Grand Paris, Reims et sa communauté urbaine, Rennes et Rennes Métropole, Rueil-Malmaison, Saint-Malo, Sète et son agglomération, Strasbourg et l'euro-métropole de Strasbourg, Toulon, Toulouse et Toulouse Métropole, Versailles et son agglomération, ainsi que les mairies du 5e et 9e arrondissements de Paris.