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Lutte contre la pauvreté - Aides sociales, prestations, transferts sociaux... l'Onpes remet les pendules à l'heure

Alors qu'un débat national s'est engagé sur les "aides sociales" - en attendant les annonces du chef de l'Etat, au début du mois de juillet sur la stratégie de lutte contre la pauvreté -, l'Onpes (Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale) a jugé bon d'intervenir face à des annonces et contre-annonces utilisant, volontairement ou non, un certain nombre de notions de façon erronée, voire à contre-sens. Dans un communiqué de trois pages - finalement bref au regard des enjeux -, Jérôme Vignon, le président de l'Onpes, et Jean-Luc Outin, le responsable du groupe de travail "Indicateurs", font œuvre de pédagogie et remettent les choses au point.

Minima sociaux versus aides sociales

"Témoin depuis près de deux décennies du rôle joué par les prestations sociales dans la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale se doit de livrer quelques éléments factuels". L'Onpes explique ainsi que "par 'aides sociales' il faut sans doute comprendre qu'il s'agit des transferts sociaux destinés spécifiquement aux personnes et familles les plus pauvres, donc sous conditions de ressources". Problème : l'utilisation du terme d'aides "affadit alors leur portée, car ces dépenses sont en général rendues obligatoires par des lois qui reconnaissent aux personnes concernées des droits élémentaires".
L'Onpes préfère donc parler de minima sociaux. La dépense totale en la matière, assurée par l'Etat et les départements, représente alors 25,6 milliards d'euros (chiffre 2015), soit 1,2% du PIB pour 4,15 millions de bénéficiaires. Cette dépense progresse d'environ 4,3% par an depuis 2009 en euros constants, une "croissance non négligeable", principalement sous l'effet de l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'ordre de 2,9% par an et de la revalorisation de certains minima sociaux.
Les minima sociaux ne sont cependant pas les seuls transferts destinés aux plus pauvres. En effet, "il faut y ajouter les allocations familiales et les aides au logement allouées sous conditions de ressources, les aides sociales non obligatoires dispensées par les collectivités locales et les secours distribués par le monde associatif (dont les financements proviennent pour une large part de sources publiques)". L'Onpes les évalue à un montant de proche de 4,6% du PIB, soit 14% des dépenses de protection sociale obligatoire. Précision importante : "Il n'est pas a priori choquant que les personnes pauvres reçoivent une part de l'effort de redistribution national comparable à leur poids dans la population [allusion au taux de pauvreté de 14%, à 60% du revenu médian, ndlr]. En toute rigueur, cela pourrait être davantage".

Une efficacité certaine contre la pauvreté monétaire

Ces préalables établis, l'Onpes pose la question clé : ces aides sociales sont-elles efficaces ? La réponse est duale. Elle est "clairement positive" en ce qui concerne la capacité à réduire la pauvreté monétaire. Sans ces transferts, le taux de pauvreté serait en effet de 21% et non pas de 14%. L'impact positif de ces transferts est plus net encore si on considère leur impact sur l'intensité de la pauvreté.
L'Onpes rappelle d'ailleurs que "le Comité européen de protection sociale, qui siège auprès du Conseil des ministres des affaires sociales, note dans son dernier rapport annuel de 2017 qu'en France, l'impact des transferts sociaux pour la réduction de la pauvreté des personnes en âge de travailler est significativement supérieur à ce qu'il est en moyenne dans l'ensemble de l'Union européenne (43% contre 33%) ; corrélativement, l'intensité de la pauvreté y est très sensiblement plus faible qu'en Europe en moyenne (15,7 % contre 24,8 %)".

Mais des faiblesses du côté des politiques de l'emploi

L'Onpes semble en revanche plus dubitatif sur l'activation des dépenses sociales et, plus précisément, sur le concept d'"inclusion active", adopté par l'UE en 2007. Selon ce concept, il faut en effet réunir trois conditions complémentaires pour "obtenir des résultats tangibles en matière de réduction de la pauvreté et de l'exclusion sociale".
La première est d'assurer un revenu minimum adéquat pour garantir à tous des "ressources suffisantes". Sur ce point, les études de la Drees et de l'Onpes montrent qu'"une personne d'âge actif et valide sans aucune ressource est titulaire de droits à hauteur de 709 euros par mois". Un montant nettement inférieur au seuil de pauvreté, mais néanmoins suffisant "pour que la lutte pour la survie quotidienne n'absorbe pas toute l'énergie au détriment de la recherche d'un travail ou d'une activité".
Seconde condition : une politique active de l'emploi, "combinant une offre diversifiée d'emplois et un accompagnement actif vers le travail". Pour l'Onpes, "c'est sur ce point que la stratégie française d'inclusion active affiche les faiblesses relatives les plus évidentes". C'est aussi ce point que mettait en évidence Emmanuel Macron dans son discours de Montpellier (voir notre article ci-dessous du 13 juin 2016) et qu'on devrait retrouver dans les orientations de la stratégie de lutte contre la pauvreté.
Enfin, la troisième condition concerne "un accès effectif aux services de base essentiels à la dignité et à l'autonomie des personnes : santé, éducation et logement". Sur ce point, l'Onpes considère qu'"à s'en tenir aux travaux du Comité européen de protection sociale, les comparaisons dans ce domaine sont plutôt en faveur de la France. En niveau absolu, les indicateurs d'espérance de vie en bonne santé, d'accessibilité effective aux soins de santé jugés nécessaires et même de charge excessive du coût du logement sont, en France, sensiblement plus favorables que dans la moyenne de l'UE". Avec un bémol toutefois : des signaux d'alerte sur le coût du logement, qui a "sensiblement augmenté" entre 2008 et 2015.

Priorité à "l'inclusivité du marché du travail"

Dès lors, face à "un marché du travail trop exclusif", la conclusion de l'Onpes s'impose : les transferts sociaux, "pour efficaces qu'ils soient aux fins de contenir la grande pauvreté, ne peuvent suffire à empêcher l'approfondissement de la pauvreté, ni les phénomènes d'irréversibilité qui creusent actuellement les inégalités entre les groupes sociaux au détriment des plus exposés à l'exclusion sociale durable : jeunes faiblement ou pas du tout diplômés, familles monoparentales enfermées dans la nécessité de se consacrer exclusivement aux enfants, adultes isolés en situation d'emplois partiels contraints et coupés des liens sociaux au point de ne pas être en mesure de faire valoir leurs droits".
Dans ces conditions, "c'est sur le volet de l'inclusivité du marché du travail qu'il reste le plus à faire, sans pour autant relâcher les efforts consentis par ailleurs. [...] Sur ce point, un large accord existe qui permet de fonder beaucoup d'espoirs sur une future stratégie qui serait consacrée à lutter contre les causes, sans pour autant affaiblir le filet indispensable de la solidarité collective". Une conclusion qui ne serait probablement pas pour déplaire au chef de l'Etat dans la perspective de sa future stratégie de lutte contre la pauvreté...