Lutte contre l'exclusion - Le HCFEA livre ses propositions pour la stratégie de lutte contre la pauvreté des enfants et des familles
Alors qu'Emmanuel Macron doit présenter, au début du mois de juillet, la stratégie de lutte contre la pauvreté - qui semble s'orienter de plus en plus vers une approche globale plutôt que le seul plan contre la pauvreté des enfants et des jeunes annoncé à l'origine -, le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA) publie son rapport sur le sujet. Resté dans l'approche de départ - et dans le champ de compétence du Haut Conseil -, le document s'intitule "Lutter contre la pauvreté des familles et des enfants : constats et propositions du HCFEA". Composé d'une copieuse note de synthèse et de onze notes thématiques tout aussi denses, le rapport traite successivement du constat sur la pauvreté des enfants et des familles, des politiques publiques mises en œuvre et des préconisations du Haut Conseil.
Un taux de pauvreté chez les enfants nettement supérieur à la moyenne nationale
Très argumenté et étayé - le HCFEA fait désormais partie du "réseau France Stratégie" -, le rapport arrive cependant un peu tard. Les groupes de travail coordonnés par Olivier Noblecourt, le délégué interministériel en charge de la lutte contre la pauvreté, ont en effet rendu leurs conclusions en mars dernier (voir notre article ci-dessous du 16 mars 2018) et plusieurs fuites laissent déjà entrevoir certaines mesures du plan.
Le document offre néanmoins une vision d'ensemble des enjeux en présence. Au-delà des questions de périmètre des compétences, le HCFEA justifie son choix de centrer le rapport sur l'enfance et les familles par deux considérations : l'importance du taux de pauvreté parmi les enfants (19,8% soit 2,8 millions d'enfants pauvres, contre un taux de pauvreté moyen, toutes tranches d'âge confondues, de 14%) et "l'importance des phénomènes de reproduction sociale en la matière". Une considération qui rejoint le récent discours du chef de l'Etat sur le sujet (voir notre article ci-dessous du 13 juin 2018).
Les plus fragiles : les familles nombreuses ou monoparentales
Ce préalable posé, le rapport dresse un constat exhaustif et très pédagogique de la situation, mais celle-ci est déjà largement balisée par d'autres publications récentes. On retiendra néanmoins l'insistance mise à nouveau sur la "forte concentration de la pauvreté sur les familles monoparentales, surtout à partir de deux enfants, et les couples avec au moins quatre enfants". Plus inquiétant encore : les écarts entre ces catégories et l'ensemble des ménages ont tendance à se creuser depuis plusieurs années.
Sur le constat, le paradoxe est que la France présente en Europe "une bonne performance" sur le taux global de pauvreté - avec un taux de chômage certes relativement élevé, mais des emplois mieux répartis entre les ménages -, mais une situation moins favorable pour les enfants. Parmi tous les pays développés de l'UE, la France est ainsi celui où le taux de pauvreté monétaire des enfants a évolué le plus défavorablement, depuis 2007, en comparaison de celui du reste de la population.
Des politiques publiques fortes, mais des résultats pas à la hauteur
Le HCFEA dresse ensuite un panorama critique des différentes politiques publiques en la matière. Il passe ainsi en revue les plans gouvernementaux successifs de lutte contre la pauvreté, la politique de la ville (avec la question de la concentration géographique de la pauvreté sur certains territoires), l'impact des transferts sociaux - importants en volume, mais qui engendrent "une réduction seulement partielle de la pauvreté -, ou encore le cas particulier du RSA, sur lequel le rapport pointe notamment "un désengagement des départements" en matière d'accompagnement et d'insertion.
Au final et tout en reconnaissant l'importance des efforts engagés par les gouvernements successifs, le constat laisse l'impression d'un déséquilibre entre les politiques et les moyens déployés et des résultats qui laissent encore nettement à désirer, voire débouchent sur une stagnation ou un recul dans le cas de la pauvreté des enfants et des familles. Un constat qui recoupe, là aussi, assez largement celui dressé par Emmanuel Macron.
Réaffirmer l'objectif d'éradiquer la grande pauvreté d'ici à 2030
Le HCFEA passe ensuite aux propositions, regroupées en quatre grands domaines. Le premier s'intitule "Agir pour mettre en œuvre les droits fondamentaux", avec pour ambition de "réaffirmer que l'objectif est bien d'éradiquer la grande pauvreté des enfants, des familles et des adultes d'ici à 2030".
Pour cela, le rapport préconise diverses mesures, depuis le changement de regard des institutions jusqu'à la lutte contre l'échec scolaire, en passant par la simplification du recours aux prestations, la garantie de l'accès à un logement stable, la lutte contre "l'insécurité alimentaire" ou encore le renforcement d'une offre adaptée aux personnes éloignées de l'emploi.
Aides financières : trois scénarios à deux milliards d'euros
Le second grand thème consiste à "améliorer les aides financières aux familles pauvres". Un effort que le HCFEA évalue à 8,5 milliards d'euros, si on veut que chaque famille vivant en-dessous du seuil de pauvreté se voit attribuer un montant lui permettant juste d'atteindre ce seuil. Sans aller jusqu'à une telle somme, le rapport propose trois scénarios alternatifs d'un coût de l'ordre de deux milliards d'euros.
Le premier repose sur une hausse des majorations pour enfant du RSA, pour les familles monoparentales ou nombreuses. Le second consisterait en l'instauration d'un bonus pour les parents isolés et d'un bonus par enfant pour la prime d'activité́. Et le troisième verrait la création d'une nouvelle "prestation enfant" ciblée sur les familles pauvres, qui s'ajouterait au système existant mais sans entrer dans la base ressources du RSA.
De l'importance de la cantine dans la lutte contre la pauvreté
La troisième thématique est plus surprenante au regard du champ très large des deux précédentes. Elle s'intitule en effet "Pour un droit à la cantine pour tous les enfants". Le rapport rappelle que la cantine constitue "une institution importante de notre société́" (sept enfants sur dix y déjeunent) et qu'"elle remplit, pour tous les enfants, mais encore plus les enfants de familles pauvres, des fonctions importantes".
Face à "un cumul d'obstacles pour les enfants les plus pauvres", le HCFEA propose un ensemble de mesures, parmi lesquelles un renforcement de la lutte contre les refus d'inscription illégaux à l'école, une lutte accrue contre "les refus discriminatoires d'inscription à la cantine et/ou l'application de tarifs prohibitifs 'non résidents' à des enfants vivant pourtant sur la commune", ou encore une modulation des tarifs pour réduire le taux d'effort des familles pauvres (ce qui est déjà fait dans nombre de communes).
Elargir l'accès aux modes d'accueil de la petite enfance
Enfin, la quatrième thématique consiste à "favoriser l'accès aux modes d'accueil des familles en situation de pauvreté". Le HCFEA juge en effet "insuffisantes" les dispositions mises en place depuis une dizaine d'années, notamment par la branche Famille. Il s'agit donc de "rechercher une plus grande égalité d'accès financière et un rapprochement des restes à charge des familles, quel que soit le mode d'accueil", mais également de rechercher une plus grande égalité d'accès territoriale et de réduire aussi les autres inégalités sociales d'accès à un mode d'accueil liées à la situation familiale ou professionnelle des parents, ou à la situation de l'enfant.
Pour cela, le rapport suggère diverses mesures, comme une plus grande transparence dans les critères d'attribution des places, le développement d'outils et de dispositifs pour encourager l'accueil des familles en situation de pauvreté au sein des modes d'accueil individuel, la formation des professionnels à la prise en charge des familles ayant des besoins spécifiques, ou encore le développement des structures de soutien à la parentalité pour accompagner les familles fragiles vers les modes de garde.