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Protection de l'enfance - Admission des pupilles de l'Etat : attention à l'information des tiers

En annulant un arrêt de la cour d'appel de Versailles, un arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 2013 donne tort au président du conseil général des Hauts-de-Seine dans une affaire concernant l'admission d'un enfant comme pupille de l'Etat. La position de la Cour de cassation n'est pas vraiment une surprise, dans la mesure où elle tire les conséquences d'une décision du 27 juillet 2012 du Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Saisi à l'époque de l'affaire que vient de traiter la Cours de cassation, celui-ci a en effet déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa de l'article L.224-8 du Code de l'action sociale et des familles (voir notre article ci-contre du 30 juillet 2012).
L'affaire est particulièrement complexe. L'alinéa censuré prévoyait en effet que "l'admission en qualité de pupille de l'Etat peut faire l'objet d'un recours, formé dans le délai de trente jours suivant la date de l'arrêté du président du conseil général devant le tribunal de grande instance, par les parents, en l'absence d'une déclaration judiciaire d'abandon ou d'un retrait total de l'autorité parentale, par les alliés de l'enfant ou toute personne justifiant d'un lien avec lui, notamment pour avoir assuré sa garde, de droit ou de fait, et qui demandent à en assumer la charge". Le Conseil constitutionnel n'a évidemment pas censuré le principe d'un recours sur la décision du président du conseil général, mais la rédaction de l'alinéa qui - en ne prévoyant pas la publication ou la notification de l'arrêté aux personnes ayant qualité pour agir - ne permet pas l'exercice effectif du recours. L'affaire se complique dans la mesure où il ne s'agit pas là d'un oubli, mais de la volonté délibérée du législateur, qui "a estimé qu'il serait contraire à l'intérêt de l'enfant de publier l'arrêté de son admission en qualité de pupille de l'Etat".
Saisie du recours contre l'arrêt de la cour d'appel de Versailles - lui-même objet de la QPC -, la Cour de cassation ne pouvait pas juger autrement. Elle casse donc l'arrêt de la cour d'appel de Versailles qui avait déclaré irrecevable le recours de Mme X. (en l'occurrence la grand-mère de l'enfant) en considérant que le président du conseil général avait régulièrement admis l'enfant en qualité de pupille de l'Etat et que le délai de trente jours courant à compter de cette décision, le recours exercé par Mme X. était tardif. La Cour considère en effet que "si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même". Or, "en statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme X. n'avait pas été informée, en temps utile, de l'arrêté et de la faculté de le contester, la cour d'appel a violé, par refus d'application, le texte susvisé".
La décision QPC du Conseil constitutionnel et l'arrêt de la Cour de cassation placent les départements dans une situation délicate. Le Conseil constitutionnel a en effet expressément indiqué qu'il ne remettait pas en cause la volonté du législateur de ne pas publier l'arrêté du président du conseil général prononçant l'admission d'un enfant comme pupille de l'Etat. Mais - comme la Cour de cassation - il exige que la procédure garantisse une mise en œuvre effective du droit de recours des parties tierces. En attendant une nouvelle rédaction de l'article L.224-8 du CASF - le Conseil a donné au législateur jusqu'au 1er janvier 2014 pour "définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours" - les départements vont donc devoir naviguer à vue entre deux écueils.

Jean-Noël Escudié / PCA

Référence : Cour de cassation, première chambre civile, arrêt n°385 du 9 avril 2013.