Enfance - Archives et accès aux origines : le secret de la naissance n'est pas sans failles
En application de la loi du 15 juillet 2008 relative aux archives publiques et de ses cinq décrets d'application, le ministère de la Culture (direction des Archives de France) a publié, en juillet, plusieurs circulaires consacrées aux règles de dérogation aux délais de communicabilité des archives publiques (voir notre article ci-contre du 5 août 2010). Ces circulaires traitent ainsi respectivement des règles générales de dérogation, mais aussi de cas particuliers comme le sort à réserver aux archives des expertises médico-légales ou la notion d'"intéressé" dans les affaires portées devant les juridictions.
L'une de ces circulaires, en date du 27 juillet 2010, intéresse très directement le secteur social et, plus particulièrement, les départements. Elle traite en effet, dans le cadre de l'accès aux origines, des règles de communicabilité des dossiers de pupille pour lesquels le secret de l'identité du parent biologique a été explicitement opposé. Le terme "traiter" est d'ailleurs quelque peu abusif, dans la mesure où la circulaire règle une question pour en soulever une autre.
En pratique, la direction des Archives de France avait interrogé le Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (Cnaop) "sur le point de savoir si les dispositions de l'article L.147-6 du Code de l'action sociale et des familles, qui permettent notamment aux parents de naissance de ne pas lever le secret de leur identité, y compris après leur décès, dérogent aux règles de communication des archives publiques telles qu'elles résultent du Code du patrimoine en rendant les informations relatives à ce secret contenues dans le dossier d'une personne adoptée ou pupille de l'Etat définitivement incommunicables". Pour répondre à cette question, le Cnaop a réuni un groupe de travail rassemblant des représentants des ministères de la Justice, de la Santé et de la Culture, ainsi que de la Commission d'accès aux documents administratifs (Cada). Le groupe de travail a considéré que la loi du 22 janvier 2002 relative à l'accès aux origines personnelles des personnes adoptées et pupilles de l'Etat est "une loi spéciale qui déroge aux lois générales" et qu'il n'y a donc pas contradiction avec les dispositions du Code du patrimoine issues de la loi 15 juillet 2008 relative aux archives publiques. Conclusion : dans sa séance du 31 mars 2010, le Cnaop a confirmé qu'"en l'état de la législation, l'identité d'un parent de naissance qui a demandé que celle-ci soit préservée de son vivant aussi bien qu'après son décès est donc effectivement incommunicable".
Mais le travail accompli par le groupe a aussi été l'occasion de mettre le doigt sur une faille béante - au moins théorique - dans la préservation du secret. En effet, en l'état actuel du Code du patrimoine, certaines informations de nature privée telles que celles figurant sur les registres d'état civil ou issues d'actes notariés sont communicables à l'expiration des délais prévus par ce code soit, notamment pour les actes de naissance et les minutes notariales, 75 ans à compter de la date de l'acte. Certes, compte tenu du caractère "spécial" de la loi de 2002 - qui l'emporte sur les dispositions du Code du patrimoine - ces pièces sont supposées rester incommunicables à l'issue du délai de 75 ans et, bien sûr, ne pouvoir faire l'objet d'aucune dérogation avant ce délai. Mais, en pratique, cette incommunicabilité est assez illusoire. En effet, même si l'acte de naissance est annulé du fait de la demande de secret, il "est conservé dans le registre et ne peut être occulté ou enlevé. Les règles très strictes de la tenue de l'état civil interdisent d'occulter matériellement des données contenues dans les actes et notamment l'identité des parents, ou de retirer de tels actes des registres". Dans ces conditions, il est donc théoriquement possible de les retrouver en consultant les registres d'état civil. Cette situation concerne notamment le cas où des parents de naissance auraient demandé le secret de leur identité lors de la remise de leur enfant aux services sociaux (puis la préservation de ce secret après leur mort), alors que la filiation était établie.
Face à cette faille, le Cnaop - toujours dans sa séance du 31 mars - a donc décidé de mettre sur pied un nouveau groupe de travail - auquel les Archives de France seront associées - "pour réfléchir aux modifications qu'il pourrait être souhaitable d'apporter aux dispositions de la loi du 22 janvier 2002".
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : circulaire DGP/SIAF/AACR/2010/011 du 27 juillet 2010, accès aux origines personnelles : communicabilité des dossiers de pupille pour lesquels le secret de l'identité du parent biologique a été explicitement opposé.