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Aménagement numérique - Yves Rome : "Mieux vaut démarrer dans les zones les plus mal desservies..."

Le plan très haut débit nouvelle formule étant publié, une nouvelle page va s'écrire avec le déploiement de la fibre. Comment les collectivités vont-elles basculer dans cette phase de réalisation, alors que l'investissement reste élevé et la commercialisation incertaine ? Le sénateur Yves Rome, président du conseil général de l'Oise et président de l'Avicca, porte un regard optimiste sur la suite des choses. Co-auteur d'un rapport sur la couverture numérique du territoire et initiateur d'un RIP devant couvrir 100% de l'Oise en FTTH, il assure que les collectivités ont désormais plus de visibilité.

Localtis : que faut-il retenir de la feuille de route publiée il y a quelques semaines ?
Yves Rome : Il y aurait beaucoup de choses positives à en dire. Je retiens, pour ma part, le taux moyen de financement de 50% pour les zones peu denses, alors qu'il plafonnait à 30% dans la précédente version. La péréquation donnera même droit pour les territoires les plus défavorisés à des taux d'accompagnement supérieurs. Le changement apporte de la visibilité, il rassure les collectivités territoriales et conforte largement les projets.

Pourtant, le président de l'Arcep, Jean Ludovic Silicani, auditionné la semaine dernière par les sénateurs, considère que le volume d'aides prévu par le gouvernement est sous-dimensionné. Il situerait même à 400 millions d'euros le besoin de financement annuel. Qu'en pensez-vous?
Bien malin qui peut dire aujourd'hui ce que coûtera le plan très haut débit à l'horizon de dix ans. Il y a l'investissement, qui se situerait plutôt entre 25 et 30 milliards et, ne l'oublions pas, des recettes d'exploitation. Ces réseaux seront loués, et ils vont générer un flux d'affaires à inclure aussi dans la balance des comptes. Or, aucun des économistes auditionnés dans le cadre de notre rapport ne s'est risqué à formuler une estimation sur ce point. L'important reste l'assurance d'une couverture à 50% des besoins de financement des collectivités territoriales. En vitesse de croisière, il sera toujours temps de revoir l'équation initiale. D'ailleurs, sur une période longue, une remise à plat s'imposera forcément. D'où l'intérêt d'un observatoire capable de réaliser régulièrement un point sur l'avancement des déploiements, comme l'a annoncé la ministre Fleur Pellerin.
L'essentiel est que la machine redémarre. Le facteur temps est, en effet, une variable exigeante. Et il s'en passe beaucoup, entre le moment où s’exprime le besoin, où se construit la réponse, et le début de mise en oeuvre. Sur les 266 millions du FSN (Fonds national pour la société numérique) attribués entre la fin 2011 et le début 2012, pas un euro n'a encore été décaissé. Il y a bien une dynamique à créer et c'est ce que nous allons amorcer maintenant.

L'inquiétude sur le financement n'est pas tout à fait dissipée car le risque existe bien.
Oui. Mais n'oublions pas les autres moyens de financement, en particulier celui de l'emprunt, provenant de la collecte du livret A et des projects bonds de la Banque européenne d'investissement. Ils seront très utiles. Les collectivités attendent des subventions, c'est normal dans le contexte. Mais, de mon point de vue, elles auront davantage besoin de facilités d'emprunt pour cet investissement au long cours.

L'emprunt devra un jour être remboursé, ce qui n'est pas le cas de la subvention…
Dans mon département, nous travaillons sur la question du bon usage de l'emprunt, car les subventions ne couvriront qu'une partie des besoins. L'échelon intercommunal, dans l'Oise, va financer 370 euros par prise sur les 1.200 représentant notre coût moyen. Je réfléchis à la manière dont le syndicat mixte récemment créé pourrait porter la totalité de l'investissement par l'emprunt. Il se retournerait vers ses autres partenaires uniquement pour le remboursement des annuités. Et si nous obtenons que celles-ci soient à remboursement différé, nous aurons le temps d'engranger des recettes. Cela facilitera l'atteinte des objectifs fixés, tout en limitant la mobilisation de l'échelon local.

Ce montage nous ramène invariablement à la question des recettes. Or les opérateurs ne manifestent guère leurs intentions d'intervenir sur les RIP.
Ca ne se fera pas sans travail de notre part. D'abord, tous les schémas des projets départementaux ou régionaux devraient s'appuyer sur une réflexion puissante sur le devenir de la commercialisation, qu'une négociation avec les principaux fournisseurs d'accès permettrait de valider. Cette précaution a déjà conduit certains départements à raisonner par plaques, susceptibles d'éveiller l'intérêt des fournisseurs d'accès internet sans attendre que le réseau soit entièrement construit. Ensuite, stratégiquement, mieux vaut démarrer dans les zones les plus mal desservies, là où existe la plus forte appétence. Dans l'Oise, nous travaillons en priorité sur les territoires où le débit est inférieur à 2 Mbps. Je n'aurai pas de souci, car les habitants basculeront immédiatement sur la fibre et le cuivre s'éteindra de lui même. Au fil du temps, les opérateurs seront obligés d'investir surtout s'ils ont le sentiment de risquer la perte de dizaines de milliers d'abonnés.

Pourtant, l'extinction du cuivre est aussi une exigence sans cesse rappelée par les élus, donc incertaine.
Un bon coup de pouce sera sans doute nécessaire pour amorcer plus franchement l'extinction. La ministre vient d'ailleurs d'annoncer qu'elle prélèverait quelques centimes d'euro sur le cuivre pour financer le reliquat des aides publiques. C'est déjà un signe. De plus, des chercheurs et certains opérateurs estiment qu'il y a survalorisation du prix de la location du cuivre, censée assurer le renouvellement du réseau. Ce que conteste l'Arcep. Sans me prononcer sur le fond, l'idée du financement d'une partie des infrastructures nouvelles par l'usage du fil de cuivre fait peu à peu son chemin. France Télécom-Orange, sur la base d'une reconnaissance de la survalorisation du cuivre ou sur une valorisation que les législateurs pourraient décider, pourrait par exemple mobiliser cette plus-value dans un "pot commun" pour amorcer la migration du cuivre et lancer des actions de co-investissement dans les RIP. J'y serais personnellement plutôt favorable.

Les petits départements ruraux cumulent les difficultés, comment les aider à ne pas décrocher?
La future agence nationale aura beaucoup à intervenir sur le terrain en ingénierie de projets, mais je crains que ce ne soit pas suffisant. L'Etat ne sera pas vraiment en mesure de recréer un outil d'intervention déconcentré d'autant qu'il n'appuiera pas sur la pédale des créations d'emplois publics dans les prochaines années. L'agence s'appuyera sans doute sur des expertises reconnues comme celles de l'Avicca qui peut mobiliser le savoir-faire de ses membres les plus avancés. Mais la réussite dépendra aussi d'une convergence d'actions. Notre association prévoit de réaliser des guides d'accompagnement et d'élargir son portefeuille de bonnes pratiques. Au-delà, il sera possible de jouer sur l'organisation d'une maille de projets plus large, supra départementale, en opérant des regroupements qui, ainsi, bénéficieront d'un surcroit d'aides.

Comment voyez-vous la suite?
Nous allons désormais travailler dans de meilleures conditions. Les opérateurs nous le confirment aussi, car plus que l'argent, assurent-ils, c'était la confiance qui manquait. Le cadre de l'action est fixé et, pour peu qu'il ne change pas tous les six mois, nous avancerons dans la bonne direction. Donner ce signal était prioritaire. Le gouvernement a fait le choix de conserver la logique de la concurrence par les infrastructures. L'option n'était pas la meilleure, certes, mais elle évitait une perte de temps précieuse et le risque de casser notre modèle de développement. Aujourd'hui je suis optimiste. Dans le contexte de dépression actuel, le président de la République s'est rendu personnellement en Auvergne, au cœur de la France, pour annoncer le nouveau plan d'action. C'est un signal très positif et une garantie que les engagements pris seront respectés.