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Sécurité - Vidéoprotection : des débats mais toujours aucune étude

En ouvrant la Conférence sur la prévention de la délinquance dans l'espace public urbain, qui s'est tenue les 17 et 18 novembre à Paris, la ministre de l'Intérieur, Michèle Alliot-Marie a fait l'éloge de la "vidéoprotection". Car il s'agit bien de "protéger" les citoyens, a-t-elle insisté, citant les exemples de Strasbourg "où la délinquance a chuté de 13% et de 50% dans les quartiers équipés de caméras" et celui d'Orléans "où la délinquance a chuté de 60% entre 2001 et 2007 en utilisant les caméras et d'encore 10% sur les dix premiers mois de l'année 2008". "Ces données sont chiffrées et incontestables", a martelé la ministre avant de se féliciter de l'avancée du plan national d'équipement lancé l'an dernier avec l'objectif de tripler le nombre de caméras d'ici à 2009. La ministre a également précisé que la Lopsi (loi d'orientation et de programmation sur la sécurité intérieure) en préparation devrait comporter un volet sur la vidéoprotection. Elle sera complétée par un décret visant à faciliter les procédures d'autorisation au sein de préfectures.
Derrière cet engouement, difficile pourtant de dresser un état des lieux de la vidéoprotection en France. En dehors des cas de Strasbourg et d'Orléans, souvent cités en exemple, il n'existe toujours pas d'étude sur l'efficacité du dispositif, ni d'outil de mesure. "Il y a une fascination pour la vidéo, au même titre que le 'neighbourhood watch' il y a quelques années", a reconnu Alain Bauer, le président de la Commission nationale de la vidéosurveillance créée l'an dernier pour harmoniser les décisions des commissions départementales consultées sur tout nouveau projet. "Rien n'est garanti en termes d'efficacité. Il y a un effet incontestable, mais il peut y avoir aussi beaucoup d'effets pervers : déplacement, aggravation, etc.", a souligné le criminologue. Un constat partagé par l'AN2V (Association nationale des villes vidéosurveillées) qui travaille avec le ministère de l'Intérieur à l'élaboration d'un guide méthodologique. "Le seul indicateur qui existe, l'état 4001, n'est pas forcément fiable. De plus, le découpage sur secteur de la police ne correspond pas toujours aux zones d'implantation de caméras", estime Rémy Fargette, chargé de mission à l'AN2V.

Rapport sénatorial

Sans données tangibles, le plan de Michèle Alliot-Marie pourrait prendre du retard, d'autant que la conjoncture est très tendue pour les finances des collectivités. Mieux vaut se poser les bonnes questions car un dispositif de vidéoprotection coûte cher et les crédits du Fonds interministériel de prévention de la délinquance ne financent que certaines dépenses d'investissement (raccordement au réseau de police, études préalables, etc.) et non de fonctionnement. "Il faut un dispositif équilibré entre technologie et contrôle de technologie", a insisté Alain Bauer. Ce qui implique tout d'abord "des territoires clairement définis à la cartographie clairement établie".  Un moyen, selon lui, d'éviter "l'effet plumeau", c'est-à-dire le déplacement de la délinquance d'une zone à une autre.  Autres impératifs : choisir le dispositif le plus adapté avec le risque de "confusion entre opérateurs et fournisseurs qui se font passer pour des conseils", former les agents du centre de supervision, s'intéresser à la conservation de l'image et avoir une réelle capacité d'intervention. Enfin se pose la question du contrôle, ce à quoi certaines communes comme Lyon et bientôt Paris, ont répondu avec la mise en place de "comité d'éthique". C'est à ce prix que peuvent être dépassés les clivages purement idéologiques. A l'instar de Saint-Herblin (Loire-Atlantique), la ville du sénateur-maire PS Charles Gautier.  "Il y a eu un débat il y a huit ans tout à fait passionnel sur l'installation de quinze caméras dans notre agglomération de 450.000 habitants, ces débats sont derrière nous", a raconté l'élu. "Je ne saurai pas chiffrer l'efficacité du dispositif, a-t-il convenu. Tout d'abord parce que l'instrument de mesure n'existe pas et ensuite parce que ce n'est pas un système exclusif, on a un camaïeu de tout ce qui existe : éducateurs de rue, police municipale, concierges, etc." Le sénateur devrait prochainement publier un rapport sur le sujet. Des conclusions attendues avec impatience par les élus locaux.

 

Michel Tendil