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Enseignement supérieur et recherche - Université de demain : big is beautiful ?

La loi Fioraso de 2013 voulait restructurer la carte universitaire et scientifique autour d'un nombre limité de sites pour être davantage visible à l'international et améliorer l'offre de formations et des activités de recherche. La politique de site, conduite à marche forcée, se traduit aujourd'hui par 25 regroupements d'établissements, concernant 1,7 million d'étudiants, soit les deux tiers des effectifs de l'enseignement supérieur. "La dynamique de site est partout en œuvre", se félicite Thierry Mandon pour qui "il n'y a pas de salut en dehors de cette adaptation-là".

Article initialement publié le 23 novembre 2016

Trois ans après la loi Fioraso, le secrétariat d'Etat en charge de l'enseignement supérieur et de la recherche organisait, le 9 novembre, un colloque intitulé "Une politique de site pour construire l'université de demain" réunissant une bonne centaine de responsables de regroupements d'établissements dont une majorité de Comues (communautés d'universités et d'établissements).
Que les collectivités locales peu familiarisées avec cet acronyme se rassurent : au sein même du monde de l'enseignement supérieur et de la recherche, la Comue est encore parfois considérée comme un objet "mal identifié" et même comme un "objet mou qui consomme des postes", ainsi que l'a résumé le président du CNRS, Alain Fuchs. Qu'importe, "la dynamique de site est partout en œuvre", s'est félicité Thierry Mandon en ouvrant le colloque. Pour le secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche, il n'y a de toute façon aucun doute : "il n'y a pas de salut en dehors de cette adaptation-là". Aujourd'hui, les deux tiers des étudiants sont concernés et 25 regroupements ont vu le jour (voir notre encadré ci-dessous).

Construire des stratégies internationales avec les collectivités

"Il est plus aisé à l'échelle du site de construire des stratégies internationales avec les collectivités territoriales et avec les entreprises", observe Khaled Bouabdallah, vice-président de la conférence des présidents d'université (CPU) où il préside la commission "Regroupements et Comues", président également de l'Université de Lyon, dans une interview en ligne .
Lamri Adoui, président de Normandie Université, a de son côté senti l'intérêt pour la nouvelle grande région Normandie de disposer désormais d'un "interlocuteur capable de lui parler au nom du regroupement" et de lui présenter les "stratégies multi échelle" que la Comue déploie dans le territoire régional. Sa mission : "utiliser la force de nos étudiants, qui viennent de partout sur le territoire régional - de la métropole rouennaise, mais aussi du fin fond de l'Orne ou de l'Eure -, et qui pour la plupart partent dans l'idée qu'ils feront des études courtes, pour porter la bonne parole de l'attractivité de l'enseignement supérieur". Un discours qui ne pouvait avoir que l'aval des élus normands.

Le SRESRI, une opportunité offerte par la loi Notr

A Régions de France, on ne demande pas mieux que de "travailler en commun", a déclaré Anne Besnier, présidente de la commission Enseignement supérieur et recherche de l'association. Il faut "que les régions connaissent les stratégies des universités et des laboratoires de recherche, et que les universités connaissent les politiques économiques et les politiques en faveur de l'emploi des régions", estime la vice-présidente déléguée à l'enseignement supérieur et à la recherche de la région Centre-Val de Loire. Le SRESRI (schéma régional de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation), introduit par la loi Notr, serait dans ce cadre "une opportunité".
Toutefois "avoir une Comue dans deux régions, c'est compliqué", a-t-elle expliqué au parterre de responsables de regroupements participant au colloque, car : "comment voulez-vous établir une vraie stratégie ?" L'élue du Centre-Val de Loire en sait quelque chose : la Comue Léonard-de-Vinci, qui unissait initialement cinq universités (La Rochelle, Tours, Orléans, Limoges et Poitiers) sur les régions Nouvelle-Aquitaine et Centre-Val de Loire, est en train de voler en éclats : les universités d'Orléans et de Tours veulent quitter la Comue pour se recentrer sur un nouveau regroupement à l'échelle du Centre-Val de Loire, La Rochelle penche pour des établissements de sa nouvelle région La Nouvelle-Aquitaine, quand Limoges et Poitiers envisagent encore de demeurer dans ce qui resterait de la Comue Léonard-de-Vinci.

Politique de site, Idex et concurrence internationale

A la capitale, c'est l'université Paris I-Panthéon-Sorbonne et ses 40.000 étudiants qui sortent de la Comue "HeSam Université" (Hautes écoles Sorbonne Arts et Métiers) qui compte 48.800 étudiants et des partenaires prestigieux comme le Cnam (Conservatoire national des Arts et Métiers), l'Ecole du Louvre, l'Ena, l'Ined (Institut national d'études démographiques), l'Ecole d'architecture Paris-La Villette... Les suppositions vont bon train sur les rattachements futurs car il n'est plus pensable de jouer solo. "On est talonné par la concurrence internationale qui est monstrueuse", rappelle Alain Fuchs, président du CNRS. Et donc par l'obtention du label Idex (Initiative d'excellence), et ses milliards d'euros à la clé. Car cet appel à projets lancé dans le cadre du programme d'investissements d'avenir (PIA, voir notre article du 30 septembre 2014) privilégie les universités métropolitaines de rang mondial présentant un modèle d'intégration fort.
"Comment concilier les objectifs de la loi de 2013 et la politique d'excellence du PIA" : c'était justement la question posée à Jean-Richard Cytermann, chef du service de l'Inspection générale de l'administration de l'Education nationale et de la recherche (IGAENR). Dans son rapport remis le 14 novembre à Thierry Mandon, il avance deux voies possibles : faciliter la fusion (en permettant le recours à la création de grands établissements) ou construire une "université multi-établissements intégrée" dans laquelle chaque membre pourrait conserver sa personnalité morale tout en donnant à la Comue des compétences "pouvant apparaître au jury Idex comme étant des preuves suffisantes d'une intégration réelle".

"On nous a demandé de nous mettre dans le même moule"

Thierry Mandon est prêt à "donner les outils législatifs et réglementaires à ceux qui veulent aller plus loin". Selon le secrétaire d'Etat, il n’est "pas vrai que notre système d’enseignement supérieur peut durablement continuer avec un éclatement caractéristique de ce qu’il est historiquement, avec une coupure tellement difficile à gérer entre universités et grandes écoles".
"Les voies proposées (du rapport Cytermann ) constituent de bonnes pistes, même si elles ne résoudront pas toutes les situations", estime Khaled Bouabdallah pour qui "la loi de 2013 n'a pas abouti". "On aurait dû laisser les communautés faire leurs statuts comme elles le souhaitaient et en fonction des caractéristiques locales, où il y a parfois beaucoup d'universités et peu d'écoles, ou l'inverse". "On nous a demandé de nous mettre dans le même moule, alors que cette organisation ne convenait pas à tout le monde sur tout le territoire", observe Fabienne Blaise, présidente de l'université de Lille 3. "Au départ, j'ai eu l'impression de subir", avait-elle témoigné au colloque du 9 novembre, avant d'ajouter : "je perçois aujourd'hui la Comue comme une étape nécessaire".
Lors d'un autre colloque, organisé en juin 2015 par Villes de France, un autre président d'université, Yves Jean (Poitiers), alertait contre le "risque d'une université française à deux voire trois vitesses", distinguant "celles qui bénéficieront d'un soutien aux investissements 'dits d'avenir' et les autres - qui accueillent tout de même la moitié des étudiants - délaissées par les soutiens publics" (voir notre article du 17 juin 2015). En question, une politique nationale davantage rivée sur les classements internationaux des universités que sur leurs capacités à innerver l'économie locale.

Valérie Liquet, avec AEF

La politique de site en chiffres

La politique de site, c'est aujourd'hui 25 regroupements, dont 20 en Comue (communauté d'universités et établissements, dont le conseil d'administration comprend des représentants des collectivités territoriales) et 5 en association (*). Ces regroupements concernent les deux tiers des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur et la recherche, soit 1,7 million d'étudiants. Ils sont surtout inscrits à l'université (90,6% d'entre eux) mais on trouve aussi, parmi les 200 établissements concernés par les regroupements, des écoles d'ingénieurs, des écoles de commerce, des écoles supérieures artistiques et culturelles, des écoles d'architecture, des écoles normales supérieures...
Le plus petit regroupement en termes d'étudiants est l'université internationale de Paris Sciences et Lettres. Elle accueille 16.500 étudiants, dont aucun n'est inscrit en université (c'est le seul regroupement dans ce cas). Ils sont inscrits dans les 11 établissements membres que compte la Comue parisienne, parmi lesquels l'Ecole normale supérieure de la rue d'Ulm, l'Ecole nationale des chartes, l'école des Mines, la Fémis...
Le plus gros regroupement (159.277 étudiants) est interrégional. Il s'agit de l'université Bretagne-Loire, une Comue qui compte 21 établissements membres. 92% des étudiants sont inscrits à l'université, 6,4% en écoles d'ingénieur (école centrale de Nantes, école des Mines...), 0,2% à l'école normale supérieur de Rennes.
Paris Sciences et Lettres est aussi le regroupement qui compte à la fois le plus fort taux d'étudiants enfants de cadres ou professions intellectuelles supérieures (57,7%) et le plus fort taux d'étudiants étrangers (18,7%). L'université Bretagne Loire compte 34,6% d'étudiants à l'origine sociale favorisée, soit un taux proche de la moyenne (35,9%), et se situe en queue de peloton pour la part des étudiants étrangers (9,3%), avant l'université Lille Nord de France (9,1%), Normandie Université (8,8%) et Picardie Universités (8,5%). Picardie Universités est également le regroupement qui compte le moins d'étudiants enfants de cadres ou de professions intellectuelles supérieures (28,9%). A l'inverse la proportion d'étudiants à l'origine sociale la plus favorisée dépasse 40% dans toutes les Comue franciliennes, à deux exceptions près (Université Paris-Est et Université Paris Lumière).

V. L.

(*) En outre, huit fusions ont été réalisées entre universités (ou entre universités et écoles), et quatre fusions seraient en cours (voir aussi notre article du 21 septembre). Mais les fusions ne font pas partie de la "politique de site", les établissements fusionnés ayant eux-mêmes vocation à rejoindre un site.