Claude Grivel, président de l'Unadel : "Une politique publique n'est pas une addition de dispositifs"
A l'occasion de la deuxième édition de la Rentrée du développement local, organisée par l'Union nationale des acteurs du développement local (Unadel), de septembre à novembre 2023, son président Claude Grivel dresse un état des lieux sans concession des programmes de revitalisation actuels et porte un regard sceptique sur l'état de la démocratie locale.
Localtis : Quelle est votre vision du développement local aujourd'hui ?
Claude Grivel : Je veux être résolument optimiste. Nous avons les ressources pour trouver les réponses aux défis qui s'offrent à nous et qui sont considérables. Nous avons besoin des méninges et de l'intelligence de tous. Nous traversons des crises que nous n'avons jamais connues, comme le covid, le réchauffement climatique, et nous montrons en même temps des capacités hors du commun, nous faisons front ensemble. Par exemple, j'étais récemment à une réunion d'élus d'un pôle d'équilibre territorial et rural (PETR) d'un territoire qui ne dispose pas encore d'un projet alimentaire territorial (PAT). C'est le seul du département à ne pas en porter un. Et c'est la société civile, dans le cadre du conseil de développement, qui a interpellé les élus pour qu'ils se saisissent du sujet. Il y a un an, ces gens ne se connaissaient pas. Ils ont réussi à faire émerger cette idée, à avoir un projet commun. L'appartenance à un même territoire a permis cette proximité entre eux. Il faut renforcer cette capacité à travailler ensemble.
Que pensez-vous des programmes de revitalisation gouvernementaux à l'œuvre, pour les villes moyennes, les petites villes et maintenant les villages, ou des outils tels que les contrats de relance et de transition écologique (CRTE) ?
Je pense avant tout qu'une politique publique n'est pas une addition de dispositifs. Depuis assez longtemps on s'est détaché des politiques d'aménagement du territoire et on a cru que la solution était cette addition de dispositifs. On sait tous que c'est faux et souvent on reventile des lignes budgétaires et on ne met pas un sou de plus. Il y a aussi une grande difficulté à avoir une approche globale et systémique des politiques publiques. Dans le même temps, dans le domaine de la santé, de l'éducation, on continue à déstructurer les services, à regrouper les postes. Je mets tous les gouvernements successifs dans le même panier, mis à part quelques périodes porteuses. Par ailleurs, on est toujours dans l'incapacité de réaliser une réelle évaluation de l'impact des mesures prises. Tous les gouvernements tombent dans ce travers : on détricote ce qui a été fait pour des recettes miracles qui n'existent pas en réalité.
Vous avez un regard sévère...
Les contrats de ruralité, de réciprocité, le programme PVD, les CRTE… Ce sont des dispositifs intéressants qui apportent un peu d'oxygène et des moyens, avec une réintroduction de l'ingénierie qu'on avait tendance à supprimer, mais ce sont souvent des outils descendants. On ne laisse pas l'initiative au local, on demande aux élus d'appliquer des politiques décidées ailleurs… Il faut davantage associer la population et les acteurs locaux, et arrêter de penser qu'il suffit de décider de Paris une politique qui s'appliquerait partout de la même manière ! Dans le cas de PVD par exemple, je crains que les services déconcentrés de l'Etat se transforment en petits chefs vis-à-vis des chefs de projets. Il faut remettre l'humain au cœur des politiques et les acteurs locaux au cœur des décisions, puis mesurer l'impact. Quand on mutualise les moyens, est-ce que c'est un plus ou un moins ?
Pourtant les consultations locales et nationales, via le Conseil national de la refondation notamment, se multiplient...
On démultiplie en effet les procédures de consultation, en utilisant les moyens numériques. Mais finalement on touche très peu de monde, la plupart du temps on touche des personnes qui sont au courant, ou issues de la sphère publique connue. Ce ne sont pas ces questionnaires qui vont permettre aux citoyens de se sentir concernés par les décisions prises. Pour les élus, cela fait beaucoup de réunions. Est-ce que leur travail est de participer à des réunions ou de prendre du temps pour réfléchir, analyser, faciliter le travail des techniciens ? Par ailleurs, il y a de plus en plus une approche comptable, budgétaire des choses avec une course à l'échalote pour être présent dans les dispositifs mis en place par l'Etat. Il y a un espace pour que des organismes comme l'Unadel participent à l'accompagnement des élus et techniciens, pour faire le pas de côté nécessaire, développer des coopérations et mettre en œuvre des politiques qui répondent aux enjeux. Ce n'est pas le sentiment que cela donne à l'heure actuelle, avec un Etat qui est extrêmement centralisé.
Vous attendez une nouvelle étape de la décentralisation, comme annoncée depuis un moment ?
Apparemment, d'après la lettre rédigée par le président de la République à l'issue des rencontres de Saint-Denis, la question de la décentralisation a été évoquée (voir notre article du 7 septembre, ndlr). Mais la musique que l'on entend de la part d'Emmanuel Macron, c'est qu'il y a trop d'élus. Il parle du millefeuille territorial. Ce sont des faux sujets. On a la chance d'avoir un modèle de démocratie locale très riche avec des citoyens qui s'engagent bénévolement. C'est incroyable ces forces vives ! Or, on les désespère… Tout comme les maires qui démissionnent. Plutôt que de confronter les idées, et trouver ou construire ensemble du compromis, on veut mettre tout le monde en rang sur la même position. C'est un courant majoritaire. On a un vrai risque de basculement, de remise en cause de notre modèle de démocratie locale car il n'y a plus personne pour le faire fonctionner.
De votre côté, vous organisez la Rentrée du développement local. En quoi consiste-t-elle ?
Dès les premiers mois de la crise sanitaire, nous avons très vite utilisé les outils numériques pour créer du lien avec les acteurs locaux qui étaient très isolés, à travers les "Jeudis du confinement", puis les "Jeudis du déconfinement", tous les 15 jours, et enfin les "Jeudis du développement local", organisés chaque mois depuis trois ans. Depuis deux ans, nous avons créé la rentrée du développement local, en proposant à chacun d'inscrire un événement porté par son réseau. Il s'agit de faire connaître le principe du développement local, de parler d'une seule voix, et de faire valoir la capacité de créer des alliances. De septembre à novembre, des événements ont lieu partout en France. Le mouvement s'élargit. Nous sommes 23 organisations à participer à la rentrée à l'heure actuelle, dont 6 ou 7 sont nouvellement intégrées.