Le gouvernement au défi d'une véritable stratégie pour la ruralité
La Première ministre se déplace dans la Vienne ce jeudi 15 juin pour présenter la stratégie "France Ruralités" concoctée depuis de longs mois. Ce "nouveau contrat politique avec le monde rural" reposera sur quatre axes : une revalorisation à 100 millions d'euros de la dotation "biodiversité", un nouveau programme d'ingénierie baptisé "Villages d'avenir", un plan d'action sur "l'amélioration du quotidien" (logement, santé, mobilité, commerce...) et la réforme des ZRR.
La voilà enfin. Préparée depuis de longs mois par la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Dominique Faure, la stratégie France Ruralités sera dévoilée par la Première ministre, Élisabeth Borne, ce jeudi 15 juin, lors d'un déplacement dans la Vienne. Elle intervient à un "tournant", avec "deux sentiments contradictoires très puissants", explique Matignon : un sentiment de "relégation, d'abandon, d'être laissé pour compte" alors que, dans le même temps, plusieurs indicateurs montrent qu'il y a un "renouveau rural". Il s'agit de donner les moyens aux zones rurales de saisir ces opportunités nouvelles.
Censé prendre la suite de l'Agenda rural - ce catalogue de 181 mesures élaboré en 2019 pour répondre à la crise des gilets jaunes -, le plan avait été annoncé par Dominique Faure, ex-maire de Saint-Orens-de-Gameville (Haute-Garonne), lors du congrès des maires ruraux à Eymet (Dordogne) fin septembre. Son contenu a été jalousement gardé ces dernières semaines pour en laisser la primeur à la cheffe du gouvernement, même si quelques informations avaient filtré au gré des déplacements de la ministre et des congrès d'élus (voir notre article du 2 juin).
Quatre axes
Présenté par Matignon comme un "nouveau contrat politique avec le monde rural", il repose sur quatre axes. Élisabeth Borne doit ainsi annoncer les contours de la réforme des zones de revitalisation rurale, rendue urgente par l'expiration du dispositif à la fin de l'année. Si le maillage retenu (intercommunal et communal) n'est pas encore fixé, le gouvernement veut s'assurer qu'"aucune commune ne sera laissée au bord du chemin". Le dispositif devrait retenir un double zonage, avec un niveau d'intervention plus généreux pour les communes en déprise, sorte de "ZRR+", comme le préconisait la mission parlementaire dans son rapport commandé par Jean Castex en janvier 2022.
Par ailleurs, un nouveau programme d'ingénierie va être lancé pour les petites communes rurales, baptisé "Villages d'avenir", comme l'avait proposé Michel Fournier, président de l'Association des maires ruraux de France (AMRF). Pendant, pour les territoires ruraux, d'Action cœur de ville et de Petites Villes de demain qualifiés de "vrais succès", ce programme prévoit le déploiement de 100 chefs de projets recrutés par l'État au niveau des sous-préfecture. Chacun d'eux devrait travailler autour de "grappes" de villages, pour un total de 500 communes. Mais l'exécutif fait appel aux régions et départements pour "co-labelliser" avec eux les communes et intervenir en complémentarité.
Troisième axe : la transition écologique et le financement des aménités rurales. Élisabeth Borne devrait annoncer une revalorisation importante de la dotation "biodiversité". Celle-ci passerait de 42 à 100 millions d'euros, comme le préconisait le Parlement rural, demandant d'atteindre ce "seuil symbolique".
Un plan d'"amélioration du quotidien"
Enfin, le dernier axe repose sur un plan d'action interministériel pour "l'amélioration du quotidien", des mesures "très concrètes" autour du logement (et de la lutte contre la vacance), de la santé, du commerce et de la mobilité... En termes financiers, le plan d'action prévoit la création d'un fonds pour la mobilité doté de 90 millions d'euros sur trois ans, d'une prime de sortie de vacance pour les logements (12,5 millions d'euros), une enveloppe de 2,5 millions d'euros pour l'opération programmée d'amélioration de l'habitat (Opah) - revitalisation rurale et un budget de 15 millions d'euros pour accompagner les opérations de revitalisation de territoire (ORT). Côté commerce, le programme de reconquête du commerce rural lancé en février 2023, doté de 12 millions d'euros pour l'année 2023, sera pérennisé. Les 76 premiers lauréats seront annoncés lors du déplacement de la Première ministre.
Pour attirer les soignants dans les déserts médicaux, Élisabeth Borne a confirmé, dimanche, que le nombre de maisons pluridisciplinaires de santé serait porté de 2.300 à 4.000 d'ici la fin du quinquennat. Une enveloppe de 45 millions d'euros sera mobilisée. Elle s'oppose en revanche à une régulation, comme l'ont encore demandé les maires de petites villes lors de leurs assises à Millau, avançant l'idée d'un "Dalo Santé", sorte de droit à avoir un médecin à moins de trente minutes. Le plan prévoit la création de 100 "médicobus" pour apporter des soins dans les endroits les moins bien pourvus.
Entre renouveau et sentiment d'abandon
Créé en 2019, pour s'assurer entre autres de la bonne exécution de l'Agenda rural, le Parlement rural français a été force de propositions pour ce nouveau plan. Il a récemment rappelé ses exigences dans une résolution (voir notre article du 9 juin). "Il faut que les ruraux sentent que l'État a enfin un projet pour la ruralité, qu'il apporte les solutions et services à la population qui souhaite vivre et s'installer la campagne. Aucun des grands défis – la biodiversité, la transition énergétique et écologique, la souveraineté alimentaire, la cohésion sociale – ne pourront être relevés dans la ruralité", déclare à Localtis son président, le sénateur du Cantal Bernard Delcros (Union centriste).
À cet égard, l'image de la ruralité est bel et bien en train de changer. 59% du grand public et 75% des ruraux considèrent en effet que le monde rural connaît un renouveau, selon un sondage Ifop publié mercredi pour l'association Familles rurales. "Jouissant d’une attractivité croissante liée à la recherche de qualité de vie, l’image négative et parfois décliniste des territoires ruraux semble enfin avoir laissé place à celle de territoires d’avenir", souligne l'association dans un communiqué. "Néanmoins, les zones rurales demeurent plus que jamais confrontées au recul des services publics ce qui alimente un sentiment d’abandon", prévient-elle, confirmant ainsi un récent rapport parlementaire (voir notre article du 6 avril). Malgré le déploiement des maisons France services, "60% des ruraux font état d’une dégradation de l’accès aux services publics ces dernières années et 66% aux services de santé". Et l'inflation touche plus durement les habitants de ces territoires, du fait de l'explosion des factures énergétiques et d'essence. "Il est temps pour les pouvoirs publics d’agir fortement et de déployer une véritable politique structurelle pour accompagner les zones rurales et leurs habitants", souligne Guylaine Brohan, présidente de la fédération nationale Familles rurales, citée dans le communiqué.
Pour Bernard Delcros, il y a bien eu "quelques avancées ces dernières années", grâce à l'Agenda rural ou à des mesures comme la déconcentration des services de la DGfip, la création de nouvelles brigades de gendarmerie, l'accord obligatoire des maires avant fermetures d'écoles… Mais "toutes ces mesures ont été prises de manière dispersée sans qu'elles s'inscrivent dans une véritable stratégie globale". Ce besoin de stratégie, c'est aussi ce que l'inspection générale de l'environnement et du développement durable (Igedd) avait mis en avant dans son rapport d'évaluation de l'Agenda rural (voir notre article du 13 avril). Et c'est ce que la Première ministre devra chercher à insuffler, elle qui a moins la fibre rurale que son prédécesseur.