Une Maas sur mesure pour préserver les intérêts des territoires
Le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) a posé un cadre pour les offres de mobilité en tant que service (Maas en anglais) avec un volet data et un volet partage de la valeur. Les acteurs du transport public ont obtenu de garder la main avec un dispositif qui se veut ouvert, mais pas à n'importe quel prix.
Le concept de Maas est né en Finlande où un opérateur privé, Whim, en accord avec la ville d'Helsinki, a conçu un forfait global permettant aux usagers d'accéder à l'ensemble des transports disponibles, publics comme privés. Un concept qui a fait des émules en France avec plusieurs projets Maas comme le "compte mobilité" conçu par Transdev à Mulhouse , le lancement en grande pompe de "l'Assistant SNCF" le 19 juin ou encore l'application TAC mobilités déployée par Ratpdev à Annemasse. Des offres en phase avec les attente des usagers qui sont aussi une réponse à des Uber accusés de capter la valeur sans servir l'intérêt général. C'est dans ce contexte qu'est intervenu le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM)qui consacre deux articles à la Maas, le premier sur l'ouverture des données indispensables à la Maas et le second sur les conditions d'accès des acteurs privés aux offres billettique des acteurs publics.
Des données ouvertes exhaustives sur la mobilité
Le volet "données" du projet de LOM est le plus consensuel, l'article 9 ne faisant que préciser des obligations préexistantes (loi Lemaire et Macron) et la réglementation européenne UE 2017/1926. Le texte prévoit ainsi l'ouverture des données de mobilité publiques et privées afin de généraliser les calculateurs d'itinéraires "porte à porte" multimodaux. Il détaille désormais précisément les domaines concernés : transports publics (arrêts, lignes, perturbations, tarifs…), données de circulation (avec historique), stationnement en voirie et en ouvrage, véhicules en libre services (trottinettes, scooters, automobiles...), services de covoiturage, données sur les points de recharge du véhicule électrique… Si les autorités organisatrices de la mobilité (AOM) ont l'obligation de proposer un calculateur, toutes les données sont regroupées sur un point d'accès national (PAN) pour que l'ensemble des acteurs de la mobilité, anciens ou nouveaux, puissent les intégrer facilement. "Sans attendre la LOM, ce point d'accès national a été mis en place avec transport.data.gouv.fr. Nous couvrons d'ores et déjà la moitié de la France avec 150 autorités parties prenantes et 7 régions " a détaillé Béatrice Mercier, de beta.gouv, à l'occasion d'une table ronde à Arras le 4 juillet. Au cœur de la mission de cette "start-up" d'État : aider les producteurs à publier des données standardisées, condition indispensable à leur réutilisation. Si la publication des données statiques est bien engagée, le gros chantier concerne désormais la tarification, les données temps réel et le stationnement où la marge de progression est très importante. Les données de flux exigent notamment des infrastructures ad'hoc pour les diffuser et, à cet égard, le projet de LOM introduit la possibilité de tarifer le service à partir d'un seuil de requêtes défini par décret. Pour que ces obligations d'ouverture soient effectivement respectées, notamment par les acteurs privés, le texte crée aussi un gendarme de la data sur les mobilités. Une mission confiée à l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer), entité qui demande cependant des moyens adaptés pour remplir une tâche assez éloignée de son périmètre d'origine, centré sur les infrastructures.
Les AOM gardent la maîtrise des tarifs
L'article 11 du projet de LOM ouvre ensuite la voie à une Maas aboutie, c’est-à-dire intégrant la billettique, et notamment celle des opérateurs publics. Cet article a fait l'objet d'âpres discussions au Parlement du fait de ses enjeux économiques. "Lorsque nous avons vu la première mouture de l'article, très libéral dans sa vision, nous avons été très inquiets car il pouvait déstabiliser totalement l'économie des transports publics. Pour nous faire entendre, nous avons en été aidés par un événement : la décision de Citymapper – un calculateur d'itinéraire britannique – de proposer un forfait mobilité multimodal inférieur à celui de Transport for London" a relaté Marie-Claude Dupuis, vice-présidente de l’Union des Transports Publics et ferroviaires (UTP) à l'occasion d'une conférence consacrée à cet article le 11 juillet. Du coup l'article a été considérablement étoffé et prévoit sept grandes obligations (voir ci-dessous) pour qu'un acteur privé puisse commercialiser des offres de transports publics. Parmi les principales, l'obligation de respecter toutes les règles tarifaires fixées par les collectivités, d'intégrer les abonnements et de proposer l'ensemble des offres à l'échelle d'un "bassin de mobilité" pour éviter les zones blanches. Des garde-fous censés éviter qu'un acteur préempte un segment de marché et élimine tous ses concurrents. Dans le viseur ? Les plateformes comme Uber, Google Maps ou Citymapper qui ne travaillent qu'avec certains partenaires. "Avec cet article nous estimons avoir trouvé un équilibre entre innovation, ouverture à de nouveaux acteurs et préservation de l'intérêt général" a estimé Jean Baptiste Djebbari, député qui a mené la concertation sur cet article. Outre les AOM, les opérateurs de transports, les constructeurs automobiles et les nombreuses start-up de la mobilité, les banques pourraient être intéressées à lancer des offres Maas. Quant aux grandes plateformes, si officiellement le jeu est ouvert – n'importe qui pourra commercialiser des transports publics à partir du moment où le cahier des charges est respecté - le texte semble plutôt chercher à les décourager. Or ils captent aujourd'hui des millions d'utilisateurs. Ce qui pourrait les faire changer ? Une législation inspirée de la LOM à l'échelle européenne à laquelle les promoteurs de la Maas à la française veulent croire.
Les sept points clés de l'article 11
- Une obligation de commercialiser l'offre de tous les opérateurs de transport et mobilité
- Un référencement de tous les opérateurs par mode de transport (pas d'exclusivité)
- Une obligation de respecter les grilles tarifaires définies par les AOM
- Une norme unique pour la billettique
- Des offres Maas fournies à une maille géographique minimale pour ne pas avoir de zones blanches
- Une Maas qui concerne le voyageur occasionnel comme les abonnés
- Le respect d'un cahier des charges défini par décret