Projet de loi d'orientation des mobilités : l’Assemblée peaufine le cadre de régulation du free-floating
Mobilité solidaire, covoiturage, voies réservées, billettique multimodale… l’examen du titre 2 du projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) par l'Assemblée, au cours des séances des 6 et 7 juin, a fait l’objet de nombreux amendements pour certains assez techniques. Au passage, les députés ont donné la touche finale à la régulation du free-floating dont le développement rapide, et parfois anarchique, ne va pas sans poser un certain nombre de difficultés, notamment en termes de sécurité et d’occupation du domaine public.
Ouverture des données - articles 9 et 10
Sur la démarche d’ouverture des données, l'Assemblée a en particulier voté de nombreux ajouts en faveur de la mobilité solidaire. À l’article 10, le texte rend ainsi obligatoire, "d’ici 2023", la collecte, par les collectivités territoriales en charge de la voirie, des données d’accessibilité sur les cheminements à proximité des points d’arrêt prioritaires (gares et points d’arrêts bus et cars). Cette mesure du gouvernement "a fait l’objet d’une concertation avec les collectivités concernées pour bâtir une démarche commune", a souligné en séance la ministre des Transports, Élisabeth Borne.
Afin d’assurer l’efficacité de la disposition prévoyant l’accessibilité aux personnes handicapées de certains points de recharge publics pour véhicules électriques, la rapporteure du titre, Bérangère Couillard, a de son côté inclus dans le champ d’ouverture des données celles sur l’accessibilité de ces places (art. 9). La liste de données comprendra en outre des informations sur les éventuelles restrictions d’accès aux bornes liées au gabarit des véhicules.
Un autre amendement de la rapporteure ouvre l’accès aux données des plateformes de covoiturage aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) pour qu’elles diffusent l’information par le biais de leurs systèmes d’information multimodale.
Toujours à l’initiative de la rapporteure, le texte prévoit les modalités de refus d’effectuer une course sur le registre open data "Le.Taxi". Des clarifications sont en outre apportées - par un article additionnel après l’article 9 porté par le député LREM Jean-Marc Zulesi - à la mission de collecte régulière de données incombant à l’Arafer.
Services locaux de billettique multimodale - article 11
Le texte instaure également une obligation contractuelle d’accessibilité pour les services d’informations et de billettiques multimodales numériques. Sur ce volet mobilité solidaire, la rapporteure a proposé de créer une plateforme unique pour la réservation de l’assistance en gare à l’intention des personnes handicapées et à mobilité réduite ainsi que pour l’organisation de transports de substitution. Il s’agit d’une "avancée très importante" issue d’un groupe de travail auquel ont collaboré la SNCF, Régions de France, l’État et les associations de personnes handicapées, a souligné la ministre, ajoutant que "le décret qui contient des éléments opérationnels est déjà prêt".
Les députés ont par ailleurs souhaité revoir la rédaction de l’alinéa qui impose aux applications de vendre la totalité des modes de transport d’une région. Ainsi, les services numériques multimodaux ne seront tenus de proposer une offre complète de services que pour les catégories de services dont ils assurent la vente.
Un amendement LREM impose au service numérique l’établissement d’un plan de gestion des informations couvertes par le secret des affaires. Un autre prévoit que les plateformes de billettique multimodale ne trient pas les solutions de mobilité qu’en fonction du prix, mais aussi selon d’autres critères. Autre ajout en séance, le texte renvoie au décret le soin de préciser les dispositions que devront respecter les fournisseurs de services numériques multimodaux, notamment en termes de garanties financières ou assurantielles.
Afin de permettre au calculateur d’itinéraire de prendre en considération l’offre de covoiturage, le texte prévoit que les AOM et les fournisseurs de services d’information bénéficient, à leur demande, d’un accès aux services de mise en relation favorisant cette pratique, sous réserve que ces derniers versent une allocation aux conducteurs ayant proposé par cet intermédiaire leur déplacement en covoiturage.
De nombreuses autres précisions techniques ont été apportées aux services d'information multimodale, notamment pour prévoir que les coûts liés à la mise en place d’une interface permettant l’accès au service numérique de vente peuvent être pris en charge par le service multimodal et non par les gestionnaires de services de transport et de stationnement. Le bassin de mobilité devient également l’échelle pertinente pour la couverture géographique des services numériques multimodaux.
Le texte fixe enfin au 1er juillet 2021 la date d’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 1115-9 du code des transports, qui impose aux services de transport l’obligation de donner accès à leur service numérique.
Un article additionnel prévoit la mise à disposition par les AOM d’une information centralisée sur l’ensemble des aides financières individuelles à la mobilité. Ce dispositif proposé par Jean-Marc Zulesi sera par ailleurs inscrit dans le cadre des plans d’action communs - prévus à l’article 6 du projet de loi - en faveur d’une mobilité solidaire.
Véhicules autonomes - article 12
L’article 12 qui prévoit le recours à une ordonnance pour adapter la législation à la circulation sur la voie publique de véhicules autonomes a lui aussi été entériné. Le délai d’habilitation est fixé à deux ans, "cela nous laisse du temps pour définir le cadre d’homologation", a relevé la ministre, qui a promis d’associer "largement les parlementaires", à commencer, lors du séminaire sur l’acceptabilité prévu en septembre prochain. L’article 13 sur les modalités d’accès aux données des véhicules routiers connectés pour lesquelles une ordonnance est également prévue a lui aussi été adopté avec modifications. Le texte rend en particulier accessibles aux AOM et aux gestionnaires d’infrastructures routières, à des fins de connaissance du trafic routier, les données produites par les systèmes de navigation utilisés à bord.
Covoiturage - article 15
Un amendement du gouvernement complète le dispositif initial - qui prévoit la possibilité pour les AOM de verser une allocation aux conducteurs et aux passagers dans le cadre de déplacements en covoiturage - par deux dispositions. La première permet aux AOM de verser une allocation au conducteur qui a proposé un trajet sans trouver de passager. La seconde les autorise à verser, pour de courts trajets et pour deux trajets par jour seulement, une allocation forfaitaire. Il s’agit d’un dispositif déjà mis en œuvre par Île-de-France Mobilités malgré l’absence de cadre légal. Un amendement de la rapporteure précise en outre que les subventions versées par les AOM au titre de cet article 15 sont défiscalisées. Cette défiscalisation est limitée à trois ans pour les allocations permettant d’aller au-delà du partage de frais.
Un autre ajoute la possibilité pour les maires de réserver des voies à certaines heures pour tenir compte notamment du niveau de congestion.
Limitation de la vitesse limitée à 80 km/h - article 15 bis b
Sur ce point lire notre article du 7 juin.
Services de mobilité en free-floating - article 18
L’article 18 qui donne aux collectivités les outils nécessaires pour réguler les engins en free-floating (c’est-à-dire en libre-service sans station d’attache) a fait l’objet d’une complète réécriture. L’amendement de la rapporteure donne en particulier la main à l’autorité gestionnaire du domaine public - c’est-à-dire le plus souvent le maire ou le président de l’EPCI - pour délivrer un titre d’occupation, tout en permettant une approche plus harmonisée à l’échelle de l’autorité organisatrice, ce qui passera nécessairement par un avis de celle-ci, voire par la capacité à déléguer et à remonter la compétence à son niveau. Le texte dessine deux voies : l’autorité chargée de délivrer l’autorisation procède à une sélection d’un nombre limité d’opérateurs ou seulement à une publicité préalable permettant la manifestation d’autres demandes. Un certain nombre de prescriptions y seront associées qu’il s’agisse de la sécurité, des modalités de recharge et d’entretien de ces engins ou encore de l’encadrement de l’émission de signaux sonores. Le texte tient également compte de l’avis du rapporteur de la commission des affaires économiques, Damien Adam, en excluant le free-floating des redevances de stationnement.
Responsabilité sociale des plateformes de mobilité - article 20
Les députés ont acté le rétablissement de l’article 20 - que le Sénat avait supprimé - dans une version modifiée. Ils ont par ailleurs enrichi ce dernier volet du titre 2 d’une série d’articles additionnels.
Qui sont les usagers des trottinettes électriques en free floating ?
Le bureau d'études 6t a mené en avril dernier, en partenariat avec l'Ademe, une enquête inédite auprès des usagers de trottinettes en free floating pour en savoir plus sur leur profil, les usages qu'ils font de ces engins, comprendre les déterminants et les freins à leur utilisation et appréhender leurs impacts sur les autres modes de transport. Les résultats de cette étude, qui viennent d'être publiés, montrent d'abord que les utilisateurs sont principalement des usagers locaux (58%). 33% sont des visiteurs étrangers et 9% français. Ceux qui les utilisent dans leur ville de résidence sont principalement des hommes (66%). Plus de la moitié ont moins de 35 ans et l'âge moyen de ces utilisateurs locaux est de 36 ans. 19% sont des étudiants et 53% des cadres. Les revenus de ces usagers locaux sont globalement plus élevés que la population française prise dans son ensemble. Plus d'un tiers des adeptes de la trottinette en free-floating (38%) l'utilisent chaque semaine et 42% y ont recours jusqu'à 3 fois par mois. Ils apprécient son côté ludique mais surtout son aspect pratique : pas d'encombrement, souplesse d'utilisation (pas besoin de planifier) et plus de facilité pour faire des trajets directs (porte-à-porte) que le libre-service en station. Le principal obstacle à l'utilisation d'une trottinette en free-floating est pour 59% des usagers l'absence d'engin disponible à proximité. Pour avoir plus de chance de trouver facilement une trottinette, 27% des usagers sont donc inscrits à plusieurs services de free-floating.
Majoritairement (44%), les usagers de trottinettes électriques circulent sur les pistes et bandes cyclables et sont 82% à en réclamer alors qu'ils sont encore 35% à utiliser la chaussée et 19% les trottoirs. La mise en place d'une réglementation entraînerait une baisse d'utilisation de ces engins : l'obligation du port du casque diminuerait la fréquence d'utilisation pour 71% des usagers, celle de stationner sur des emplacements dédiés de 63%, la limitation de vitesse à 15 km/ h de 58%, l'interdiction de circuler sur les trottoirs de 41% et le port d'un brassard luminescent la nuit de 37%.
La durée moyenne d'un trajet en trottinette électrique est aujourd'hui de 19 minutes et 39% de ces trajets sont réalisés le week-end. 23% des trajets effectués en trottinette électrique en free-floating sont des trajets intermodaux, c'est-à-dire combinant deux modes de déplacement : transports en commun (66% des cas) et marche (19%). 44% des usagers ont utilisé la trottinette pour leur dernier trajet uniquement pour l'aller, en effectuant le retour avec un autre mode (ou inversement). Il s'agit alors, dans 57% des cas, des transports en commun et de la marche (37%). Pour les auteurs de l'étude, la trottinette électrique en free-floating apparaît donc comme "une option supplémentaire venant enrichir l'offre de mobilité et donnant aux usagers la possibilité de développer des pratiques plus multimodales". Elle n'apparaît pas comme un concurrent direct du vélo et n'a finalement eu qu'un impact "extrêmement marginal" sur la part modale de la marche et sur celle des transports en commun : dans les deux cas, l'usage de chacun de ces deux modes a globalement diminué pour seulement 6% des usagers.
Anne Lenormand / Localtis