Projet de loi d'orientation des mobilités : les débats sont lancés à l'Assemblée
L'Assemblée nationale a entamé ce 3 juin l'examen en séance du volumineux projet de loi d'orientation des mobilités. La ministre des Transports, Élisabeth Borne, a réaffirmé les ambitions du texte destiné à "répondre aux attentes (…) énoncées dans le Grand Débat national" et à "accompagner la transition écologique et solidaire". Avec plus ou moins de virulence, plusieurs voix se sont élevées dans l'opposition pour critiquer un projet de loi jugé par certains "pas à la hauteur des enjeux".
Dans un hémicycle très clairsemé, Élisabeth Borne a donné ce 3 juin en milieu d'après-midi le coup d'envoi des débats sur le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) à l'Assemblée nationale. La ministre des Transports a commencé son allocution par un constat : "En France, la mobilité est en panne et les Français en sont les premières victimes." "Cette panne entrave (les) besoins les plus élémentaires comme (les) projets les plus ambitieux" et "met à mal l'unité de notre pays", a-t-elle expliqué. Elle découle "d'une inadaptation de nos politiques publiques aux besoins réels de nos concitoyens", a poursuivi Élisabeth Borne en insistant sur la fracture territoriale liée aux transports. "Nous avons multiplié les TGV (...) au prix d'une dégradation lente, sournoise des autres voies ferrées, mais aussi de nos routes et de notre réseau fluvial, privant ainsi de nombreux territoires du minimum vital", a-t-elle souligné.
"Nous avons renforcé nos métropoles, qui possèdent désormais tous les atouts face à leurs concurrentes européennes ou mondiales, mais au prix d’une captation des emplois et des richesses, repoussant nombre de nos concitoyens toujours plus loin des centres urbains, a ajouté la ministre. Enfin, nous avons encouragé un développement sans précédent de la mobilité des biens et des personnes, mais au prix d’une empreinte environnementale insoutenable, faisant des transports le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre et l’une des principales sources de pollution de l’air."
Selon elle, face aux questions "fondamentales" qui se posent en termes d'aménagement du territoire, de cohésion sociale et d'urgence climatique, le projet de loi doit permettre de "répondre aux attentes clairement énoncées dans le grand débat national en faveur de solutions concrètes, efficaces, au plus près du terrain " et servir à "accompagner la transition écologique et solidaire". C'est aussi "une formidable opportunité de tirer parti de la révolution des nouvelles mobilités : covoiturage, autopartage, services d’informations multimodales, offres en libre-service, véhicules autonomes (…). Nous voulons, en somme, mettre la France des start-up au service de la France des territoires", a-t-elle affirmé.
"Un acte de confiance"
Le texte est en premier lieu "un acte de confiance", a-t-elle souligné. "Confiance dans les collectivités, tout d’abord, qui jouent un rôle irremplaçable au cœur du pacte républicain, étant les mieux à même de répondre aux besoins concrets de nos concitoyens. On ne fait pas du sur-mesure depuis Paris : c’est dans les territoires qu’on construit les bonnes réponses, a-t-elle insisté. En simplifiant la prise de la compétence mobilité par les intercommunalités, on favorise le déploiement de solutions plus simples, plus souples, plus économes et plus adaptées aux besoins sur tout le territoire. En confortant le rôle de la région comme chef de file de la mobilité, on garantit la cohérence des offres et des services proposés ainsi que la couverture complète du territoire, afin d’éviter les trop nombreuses zones blanches de la mobilité. En instituant des lieux et des outils de dialogue, le comité des partenaires et les contrats opérationnels de mobilité, on crée les conditions pour que les acteurs non seulement se parlent mais travaillent ensemble pour apporter les réponses adaptées."
"Cette confiance n’est pas le signe d’un désengagement mais d’une transformation du rôle de l’État, a-t-elle nuancé. Celui-ci a vocation à venir davantage en appui technique et financier, à rendre possible, à fournir des outils, à soutenir et à ouvrir des champs d’expérimentation. C’est tout le sens de la démarche de France Mobilités, qui accompagne les territoires dans le déploiement de solutions de mobilité innovantes. (…). Dans le même esprit, je propose un nouveau cadre législatif pour favoriser le développement d’offres et de services de mobilité." " Nous souhaitons que cet acte de confiance s’adresse également aux employeurs", a-t-elle poursuivi, en évoquant le forfait mobilité durable, l'une des principales mesures du texte. Cette disposition facultative doit permettre aux entreprises de verser jusqu'à 400 euros par an à leurs salariés qui se rendent au travail en covoiturage ou à vélo. Le projet de loi se veut aussi "un texte de justice sociale et territoriale" en rendant "le permis de conduire moins cher" et en faisant bénéficier les personnes vulnérables d'un meilleur accompagnement. L'enjeu c'est aussi de redonner aux Français un service public des transports "qui fonctionne mieux" avec un transport ferroviaire qui est "la colonne vertébrale d’une mobilité propre".
Deux motions de procédure rejetées
Alors que Jean-Marc Zulesi (LREM), coresponsable du texte pour la majorité présidentielle, a loué un projet de loi "ambitieux", Valérie Lacroute (LR) l'a trouvé "partiellement abouti". À propos de l'assouplissement des 80 km/h sur les routes secondaires, l'élue de Seine-et-Marne a jugé "incohérent" d'exclure du dispositif les routes nationales et milité pour un retour à la rédaction du Sénat qui autorisait les préfets à relever la vitesse. Les présidents de conseils départementaux auront ce pouvoir sur certains tronçons, selon la modification apportée par les députés en commission, après un feu vert de l'exécutif. Le groupe LREM souhaite étendre cette compétence aux maires.
L'Insoumis Loïc Prud'homme et le socialiste Christophe Bouillon ont chacun défendu en vain une motion de procédure. Le premier a critiqué "une vision urbaine et élitiste des transports" et le second a déploré des investissements "pas à la hauteur" des enjeux.
Les rapporteurs sereins
Les députés vont devoir examiner en dix jours les quelque 3.500 amendements déposés sur le texte. Le 4 juin, les six rapporteurs LREM du projet de loi affichaient une mine sereine à l'approche de l'examen des titres qu'ils défendent. Pour le titre II par exemple, qui sera au mieux examiné le 6 juin dans la soirée, "les avancées notoires en commission nous rassurent sur le déroulement du débat", confie sa rapporteure et députée de Gironde Bérangère Couillard. "Sur les aides directes au covoiturage, la possibilité de créer des voies réservées hors agglomération et l'encadrement des services de mobilité en free-floating, nous sommes parvenus à des solutions équilibrées qui feront débat, mais avec très certainement des aménagements à la marge", poursuit-elle. Rapporteur du titre III (mobilités propres et actives) - celui "aux mille amendements" si l'on inclut ceux étudiés en commission - le député du Rhône Jean-Luc Fugit est revenu sur l'objectif à échéance 2050 de décarbonation complète du secteur des transports terrestres (article 26 A) : "Les paliers intermédiaires introduits en commission en vue de mettre un terme à la vente des véhicules à énergie fossile d’ici 2040 vont donner de la visibilité aux constructeurs et gestionnaires de flottes". Désormais placé en texte du texte, le titre 1er A sur le volet programmatique s'est enrichi en commission d'une mesure (alinéa 11 du rapport annexé) affectant le surplus des recettes de la taxe solidarité sur les billets d'avion, dite "taxe Chirac", vers l'agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) : "Comme toute loi de programmation, sa déclinaison financière se jouera dans le projet de loi de finances (PLF). Ce fléchage d'une ressource supplémentaire pour l'Afitf n'est qu'une première brique dans le débat sur le financement des infrastructures de transports qui, à ce stade, reste entièrement ouvert et suscitera forcément des débats dans l'hémicycle", conclut Bérangère Couillard.
Un die-in devant l'Assemblée nationale
"Stop à l'inaction, nous n'en poumons plus !" Une centaine de manifestants ont participé à un die-in ce 4 juin devant l'Assemblée nationale, pour réclamer plus d'action contre la pollution de l'air et le réchauffement climatique au moment où est examiné le projet de loi d'orientation des mobilités. Vêtus de tee-shirts blancs frappés de poumons noirs, ils se sont étendus dans la rue, faisant les morts, à l'appel des collectifs Respiraction, Action Climat Paris, Alternatiba Paris et Greenpeace Paris. "Députés, soyez plus fins que les particules", "Le fond de l'air effraie", "Non-assistance à enfants en danger", disaient les pancartes.
Cette loi est la plus importante sur la mobilité en France depuis plus de 30 ans (…). Alors qu'il y a urgence sanitaire et climatique, on ne peut plus se permettre des petits pas ou des mesures facultatives", a déclaré Victor Vauquois, porte-parole de Respiraction. Appelant à une loi plus ambitieuse, les associations environnementales demandent notamment la fin de la vente des voitures à moteur thermique d'ici à 2030 (et non 2040 comme le prévoit le texte), le droit au forfait mobilité durable pour tous les salariés, ou encore la fin des ristournes fiscales au fret routier et à l'aérien. A.L.