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Projet de loi d'orientation des mobilités : le Sénat remet les enjeux financiers au cœur du texte

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, chargée de l'examen au fond du projet de loi d'orientation des mobilités, a adopté le 6 mars 240 amendements au texte sur plus de 600 déposés. Enjeu principal à ses yeux : prévoir des moyens financiers à la hauteur, aussi bien pour les infrastructures que pour permettre aux collectivités d'exercer leurs compétences, notamment pour organiser des services de mobilité dans les zones rurales et peu denses.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, a achevé ce 6 mars son examen en première lecture du projet de loi d'orientation des mobilités, en adoptant 240 amendements, dont une grande partie a recueilli l'unanimité. "Ce texte a des objectifs louables mais présente des lacunes considérables. Il a été préparé pendant des mois par le gouvernement mais n'a pas de volet financier établi. C'est inimaginable !", a déclaré ce 7 mars son président, Hervé Maurey (Union centriste, Eure), lors d'une conférence de presse avec le rapporteur du texte, Didier Mandelli, sénateur Les Républicains de Vendée et auteur à lui seul de 150 amendements. "Il est incroyable que le volet infrastructures n'ait pas de financement assuré, a-t-il poursuivi. Le fait que les EPCI soient dotés de la compétence mobilité sans le moindre centime pour l'exercer est un manque de sérieux manifeste." Rappelant que la ministre des Transports, Élisabeth Borne, a qualifié le texte de "boîte à outils", Didier Mandelli a estimé qu'"il n'y avait pas d'outils dans la boîte et surtout pas d'argent pour les acheter". De son côté, le gouvernement a fait valoir qu'il s'agissait d'une loi de programmation et pas d'une loi de finance.
La commission sénatoriale a donc cherché à "donner au texte les moyens de ses ambitions" avec "cinq objectifs principaux".
Le premier est de "prévoir des ressources crédibles, pérennes et transparentes pour financer les infrastructures".

La programmation, "clef de voûte" du texte

Symboliquement, la commission a d'abord déplacé au tout début du texte l'article 30, consacré à la programmation des investissements de l'Etat dans les transports pour les dix prochaines années, qu'elle considère comme la "clef de voûte" du texte. Elle a aussi fait de de la réduction des inégalités territoriales l'objectif prioritaire de cette programmation et pérennisé dans la loi le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) qui a vocation à devenir l'organe principal du contrôle annuel de la mise en œuvre de la programmation.

Surtout, les sénateurs ont adopté des amendements "assurant des ressources crédibles, pérennes et transparentes" à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), a indiqué Didier Mandelli, afin qu'"elles ne dépendent plus de recettes instables et fluctuantes" comme les amendes des radars. Ils ont ainsi fixé dans la loi le principe de l’affectation intégrale à l’Afitf, chaque année, du produit de l’augmentation de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) votée en 2014 à la suite de l’abandon de l’écotaxe (à hauteur de 1,2 milliard d’euros) et précisé qu’une ressource complémentaire était nécessaire pour atteindre les objectifs de la programmation.

Plus de moyens pour les collectivités

Deuxième objectif visé par la commission à travers ses amendements : renforcer les moyens des collectivités territoriales pour organiser des services de mobilité constituant des alternatives à la voiture individuelle, en particulier dans les zones rurales. Pour les collectivités situées dans ces territoires, elle a donc prévu l'instauration d'un versement mobilité à taux minoré (0,3% de la masse salariale) même en l’absence de services réguliers de transports. Elle a aussi souhaité attribuer une partie du produit de la TICPE au financement des services de mobilité dans les territoires ruraux dont les ressources sont insuffisantes. Autre apport de la commission : flécher davantage les certificats d’économie d’énergie vers des actions en faveur du développement des mobilités propres (infrastructures de recharge ou de ravitaillement, achats de bus ou de cars électriques ou roulant au gaz ou à l'hydrogène, exploitations de service de transport collectif utilisant ces véhicules). "Ces moyens doivent permettre aux habitants des territoires ruraux de ne pas rester 'au bord de la route' en matière de mobilité et de combler un manque criant du projet de loi", a souligné la commission.

Au-delà des moyens, les sénateurs ont voulu donner plus de temps et de souplesse aux collectivités territoriales. Ils ont ainsi allongé le délai donné aux communes pour décider du transfert de la compétence d’organisation des mobilités aux communautés de communes : l’échéance fixée dans le texte initial (30 septembre 2020) étant jugée trop proche des élections municipales, la délibération serait remise au 31 décembre 2020 pour une prise d’effet au 1er juillet 2021.

Dans le même esprit, les nouvelles autorités organisatrices de la mobilité pourront bénéficier d'un délai de 24 mois (au lieu de 18 dans le texte initial) pour élaborer un plan de mobilité. La commission a aussi voulu permettre à une communauté de communes de demander à la région de récupérer la compétence mobilités même après la fin du processus de transfert, dans le cadre d’un commun accord. Elle a aussi cherché à renforcer la coordination et la concertation entre les autorités organisatrices des mobilités, notamment dans le cadre de la délimitation des bassins de mobilité et via la conclusion de contrats opérationnels de mobilité, ainsi que dans le champ de la mobilité solidaire, permettant d'intégrer notamment les départements qui jouent un rôle essentiel en matière d'action sociale.

Développement des offres de mobilité dans les zones peu denses

La commission a enfin voulu renforcer le projet de loi par des incitations concrètes au développement des offres de mobilité dans les zones peu denses. Elle a, dans cette optique, prévu une modulation de la prise en charge du tarif de raccordement des bornes de recharge électrique ouvertes au public pour améliorer la couverture des territoires peu denses en solutions de mobilité propre (les aides maximales seraient ainsi destinées aux zones les moins couvertes). Elle a également amélioré le dispositif du forfait mobilités durables, en l’ouvrant aux conducteurs qui effectuent un trajet en covoiturage et en permettant le cumul de ce forfait avec le remboursement des frais de transports en commun et des frais d’essence, afin de favoriser l’intermodalité entre les modes de transport et encourager les salariés éloignés de leur travail à rejoindre une gare à vélo ou en covoiturage avant de continuer leur trajet en transports en commun.

La commission, qui a ajouté la lutte contre le changement climatique et la pollution atmosphérique aux objectifs de la programmation des infrastructures, a aussi adopté des modifications visant à encourager les modes de transport peu polluants. Elle a ainsi voté un ensemble de mesures pour favoriser les mobilités actives (marche, vélo) : volet dédié aux itinéraires piétons et cyclables dans les plans de mobilité, stationnement conforté pour les vélos aux abords des gares, définition d'un schéma national des véloroutes et des voies vertes et identification par les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet) des itinéraires d'intérêt régional à développer. La commission a aussi voté plusieurs amendements pour encourager le développement des véhicules à faibles émissions et des modes de transport collectif peu polluants. Elle a ainsi prévu de donner la possibilité aux communes et à leurs groupements compétents de créer des voies et emplacements de stationnement réservés pour des catégories de véhicules identifiés en fonction de leur niveau d'émission de polluants atmosphériques. En matière de covoiturage, la commission a permis à Île-de-France Mobilités la mise en place d'un signe distinctif devant être utilisé par les véhicules et a facilité le versement des aides au covoiturage par les autorités organisatrices de la mobilité. Elle a en outre permis une mutualisation des flottes de véhicules à faibles émissions entre collectivités territoriales. Par ailleurs, pour soutenir le développement du transport fluvial, les sénateurs ont prévu la conclusion d'un contrat d'objectif et de performance liant Voies navigables de France (VNF) à l'Etat.

Régime d'autorisation préalable pour le "free floating"

Autre objectif de la commission : donner aux collectivités les outils permettant de mieux réguler les "nouvelles mobilités". Pour répondre au développement rapide des services de "free floating" (trottinettes, vélos, gyropodes en libre-service), elle a décidé de créer un régime d'autorisation préalable permettant aux collectivités de soumettre ces services à des prescriptions particulières. Ces dernières pourront exclusivement porter sur le nombre et les caractéristiques des engins mis à disposition, les mesures relatives au respect des règles de circulation et de stationnement, au retrait des véhicules et engins hors d'usage, au plafond d'émissions de polluants atmosphériques et de gaz à effet de serre à respecter, à l'interdiction totale ou partielle de publicité sur les véhicules et engins et aux montant de la redevance d'occupation du domaine public due par l'opérateur.

La commission a par ailleurs permis aux communes de mettre en place une tarification de stationnement spécifique pour les personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale et celles en situation de handicap et dont la mobilité est réduite. La police municipale pourra également mettre en place un contrôle automatisé des voies de circulation réservées à certaines catégories d'usagers ou de véhicules, faculté qui n'était réservé dans le texte initial qu'aux services de police et de gendarmerie nationales. Ils ont aussi prévu plusieurs assouplissements pour les collectivités mettant en place des zones à faibles émissions (ZFE). Un amendement prévoit notamment que les plans d'action pour la réduction des émissions de polluants atmosphériques devant être réalisés par les établissements publics territoriaux ne devront pas comporter d'étude relative à la mise en place de ces zones.

La commission a en outre précisé les conditions de l’ouverture des données utiles aux voyageurs et qui sont déjà collectées par les fournisseurs de données. Estimant que le coût de mise à disposition des données doit pouvoir être répercuté sur le réutilisateur, elle a notamment voulu s'assurer que le principe de gratuité pour les "petits réutilisateurs" ne puisse pas s’appliquer aux autres réutilisateurs.

Sécurité des passages à niveau

Enfin, la commission a cherché à consolider et sécuriser les mesures prévues par le projet de loi en matière de sûreté dans les transports collectifs, notamment dans le cadre de l’ouverture à la concurrence. Elle a également adopté des modifications visant à renforcer la sécurité des passages à niveau, en rendant notamment obligatoires, pour les gestionnaires de voirie, des diagnostics précis permettant de définir les aménagements de sécurisation nécessaires, et en équipant les véhicules de transport public collectif de personnes de dispositifs GPS permettant de les informer de la localisation des passages à niveau.
Le projet de loi, qui fait l'objet d'une procédure accélérée, sera examiné en séance publique au Sénat à partir du 19 mars. Il devrait poursuivre son parcours à l'Assemblée nationale, en juin.