Un risque de "paupérisation" du réseau ferroviaire, alerte le président de l'Autorité de régulation des transports
Auditionné à l’Assemblée nationale ce 29 mai, alors que le contrat de performance État–SNCF Réseau est en "période d’actualisation", le président de l’Autorité de régulation des transports (ART) a une nouvelle fois alerté sur le risque d’une paupérisation du réseau ferroviaire français en l’absence d’une "nouvelle donne". Laquelle tarde toujours à se concrétiser.
Nommé président de l’Autorité de régulation des transports (ART) à la toute fin de 2023, Thierry Guimbaud était auditionné, ce 29 mai, par la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, sur les scénarios de long terme pour le réseau ferroviaire français (2022-2042). Soit le titre même de l’étude publiée en juillet dernier par l’ART (voir notre article du 21 juillet 2023). Ce document n’avait pu jusqu’ici être officiellement présenté devant les députés, l'Autorité étant sans président – elle le fut au total pendant 18 mois (voir notre article du 23 mai 2023). L’ART avait décidé elle-même de conduire cette étude face à l’absence "d’une véritable vision cible industrielle pour le réseau ferroviaire et sa consistance à dix ans" dans le contrat de performance État-SNCF Réseau signé en 2022, contrat qu’avait, parmi d’autres, également vertement dénoncé la Fnaut (voir notre article du 10 janvier 2022).
Un contrat de performance État-SNCF Réseau à parfaire
Un an après, les constats et préconisations de l’ART n’ont pas changé, à commencer par le contrat lui-même, "en période d’actualisation". Thierry Guimbaud le considère comme "un élément essentiel, stratégique, pour le secteur du ferroviaire", mais il regrette qu’il ne soit "pas suffisamment encore utilisé à cette fin". Le président de l’ART plaide en conséquence pour que dorénavant "des objectifs clairs soient assignés au système ferroviaire" dans ce contrat, précisant "les fonctionnalités attendues et les consistances du réseau". Mais aussi pour qu’il comporte des "indicateurs plus clairs permettant de mesurer l’efficacité industrielle, qui donnent des objectifs en termes de niveau de régénération, de modernisation" du réseau, ou encore "de vrais indicateurs de qualité de service". Et d’évoquer, par exemple, "l’impact des travaux sur les circulations", déplorant qu’il y ait "souvent des écarts entre les plans de travaux et les travaux effectivement réalisés".
Un réseau en voie de "paupérisation"
L’état du réseau ferroviaire continue aussi de préoccuper l'ART. Reprenant les conclusions de l’étude, Thierry Guimbaud souligne que "s’il y a eu un effort de régénération et de modernisation considérable du réseau depuis bien des années", ces efforts restent clairement insuffisants pour le maintenir à flot et "ne pas aboutir à sa paupérisation, un terme qui choque parfois un peu mais que l’on assume".
Le président de l’ART met en exergue un "décrochage" des investissements depuis 2016 par rapport au "niveau souhaitable", écart dû à l’inflation. "Si le montant est le même en euros courants, il ne l’est évidemment pas en euros constants", décrypte-t-il. Pour lui, l’enjeu du rapport du Comité d'orientation des infrastructures (COI), l’enjeu de la "nouvelle donne ferroviaire" promise l’an passé par Élisabeth Borne (voir notre article du 24 février 2023), c’est donc d’abord de "rattraper cet écart-là". À défaut, "les capacités du réseau vont diminuer, entraînant notamment le ralentissement obligatoire des circulations". Et le "décrochage" du ferroviaire français déjà constaté "par rapport aux voisins européens et aux obligations et orientations européennes" continuera de s’accentuer. Thierry Guimbaud argue ainsi du retard pris par la France dans le déploiement de la commande centralisée du réseau – "inférieur à peu près à 15% du linéaire du réseau" – et de l’ERTMS, le système européen de gestion du trafic ferroviaire, pourtant "essentiel pour permettre à de nouveaux entrants d’accéder au réseau". Et ce alors que l’Union européenne vient de pousser les feux en la matière (voir notre article du 30 avril) et que la Commission européenne entend bien renforcer encore le marché unique ferroviaire (voir notre article du 24 mai).
À la recherche des 100 milliards d'euros du plan ferroviaire
Aussi Thierry Guimbaud rappelle le choix, binaire, qui se présenterait aujourd’hui aux autorités françaises. D’un côté, le "scénario tendanciel", dans lequel "le trafic se stabilise grâce à une augmentation sur les nouvelles lignes qui vont se mettre en place" compensant sa diminution sur les lignes actuelles, avec un réseau par ailleurs "insuffisamment régénéré qui coûtera plus cher en exploitation". De l’autre, un scénario dit de transition écologique où une infrastructure "rajeunie et modernisée" permet d’accueillir "un trafic supplémentaire, avec plus de trains, plus de voyageurs, moins de coûts d’exploitation. Une logique positive, un système qui peut générer de la richesse". Ainsi présenté, le choix paraît aisé. Reste à trouver la mise de départ. Et le député Nicolas Ray (LR-Allier) de déplorer que le gouvernement ait "promis un plan de 100 milliards d’euros d’ici 2040 mais sans présenter de loi de programmation et sans préciser la répartition entre les différents financeurs".
L’épine des péages ferroviaires
Un choix qui en cache par ailleurs bien d’autres. Parmi lesquels "l’arbitrage entre l’entretien, la mise à niveau du réseau existant et le lancement de nouveaux projets". Thierry Guimbaud déplore au passage qu’"en France, on a toujours tendance à considérer qu’un investissement dans l’infrastructure, c’est toujours un investissement nouveau plutôt qu’un investissement sur ce qui existe".
Ou encore celui concernant les péages ferroviaires, épineux sujet sur lequel le député apparenté Renaissance des Vosges David Valence, par ailleurs président du COI, rappelle que le gouvernement a demandé un rapport à l’inspection générale des finances et à l’inspection générale de l’environnement et du développement durable en septembre dernier, mais qui tarderait à être rendu public. "À ma connaissance il n’est pas officiellement rendu", indique Thierry Guimbaud. Ce dernier relève que cette tarification "est un vrai choix politique". Il n’en émet pas moins quelques souhaits. D’abord, celui d’une "clarification" de cette tarification, qui permette "de poser de vrais choix". Et d’en profiter pour souligner que "le scénario de transition écologique n’est pas soutenable si l’on se repose uniquement sur un autofinancement par le système lui-même", qui est pour l’heure plutôt l’option retenue par la France. Ensuite, celui d’une "structure des péages qui soit incitative", permettant "aux autorités organisatrices qui souhaitent faire plus de trafic de faire passer plus de trains". Et le président de l’ART d’insister : "Dans le cadre des SERM, cela va être évidemment indispensable". Des SERM qui restent, pour l’heure, eux aussi en attente de leur "conférence nationale de financement" (voir notre article du 23 avril).