Le train de la discorde
La Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut) avait placé son colloque du 23 mai sous le signe de l’audace. "Osons le train !", clamait le programme. Il en faut assurément pour manipuler ce sujet toujours sensible en France. Pour preuve, l’événement n’a pu aller à son terme, interrompu par des manifestants hostiles "à la vente de la SNCF".
En raison de manifestants, le colloque de la Fédération nationale des associations d’usagers de transports (Fnaut) "Osons le train", organisé ce 23 mai au matin à Paris, n’a pu arriver à son terme. L’interruption, causée par le syndicat Sud Rail, hostile à "la vente de la SNCF", est intervenue peu après l’intervention de Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports. Il faudra donc patienter pour prendre connaissance de l’étude sur l’introduction d’"une convention collective de l’usager", souhaitée par la fédération.
Concurrence
Alors que la vice-présidente de l’Autorité de régulation des transports (ART) venait de souligner la faible ouverture à la concurrence du transport de voyageurs en France par rapport à ses voisins, et que l’ensemble des intervenants en avaient souligné les bienfaits – y compris le président du groupe SNCF, Jean-Pierre Farandou –, le ministre a pris, lui, moult précautions oratoires pour évoquer le sujet. "La concurrence n’est qu’un outil." "Elle n’est en rien la privatisation", le ferroviaire restant "l’un des secteurs les plus encadrés", a-t-il ainsi ménagé. In fine, seule sa volonté affirmée de parvenir au billet unique "dans les deux ans" – alors que de son aveu même, "il a fallu onze ans à la Hollande pour le mettre en place" – aurait pu allumer la mèche. À dire vrai, après des interventions plutôt convenues, dans lesquelles chacun suivait ses rails, l’effet de souffle est surtout venu d'Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine. Qui, lui, a fait feu de tout bois.
L’État sur la sellette
Sans surprise, l’État a concentré les traits de ce chantre de la décentralisation, seule à même selon lui de relever les défis, et à laquelle l’État ne se résoudrait pourtant qu’en dernier recours : "On n’a jamais transféré de compétences aux régions que celles qui ne marchaient pas", grince-t-il. Et ce, "alors que la centralisation, c’est la dispersion de l’action publique". "C’est l’État qui a inventé le saupoudrage !", tonne-t-il encore, déplorant notamment "les 2 milliards d’euros pour faire des pistes cyclables [annoncés dans le dernier plan Vélo], alors que c’est aux collectivités de s’en charger" (ndlr : 1,25 milliard "seulement" si l’on s’en tient au seul budget de l’État – voir notre article du 9 mai).
Au cœur de la critique, le plan de 100 milliards annoncé par la Première ministre (voir notre article du 24 février) – "encore qu’une promesse" selon les termes mesurés du président de la Fnaut, Bruno Gazeau, "pur scandale politique" selon ceux moins amènes d’Alain Rousset. "C’est la première fois qu’un gouvernement annonce un programme qu’il ne peut pas financer", fulmine ce dernier. Dénonçant des "contrats de plan mobilités grotesques", l’élu bordelais plaide pour que les régions puissent devenir "de véritables autorités de gestion" – "avec la ressource en face" –, considérant qu’elles ne sont pour l’heure "que des cochons de payeur !" alors que l’État, lui, "donne son avis sur ce qu’il ne paye pas". Et Alain Rousset d’englober le Conseil d’orientation des infrastructures (COI) dans la critique : "De quoi se mêle-t-il puisqu’il ne paye rien !", moque-t-il, alors que le président de cette instance, le député David Valence, avait apporté peu avant de l’eau au moulin bordelais en évoquant "un État qui, en qualité d’autorité organisatrice, ne joue pas son rôle sur les lignes qu’il opère". "L’argent de l’État, l’argent des régions, dans tous les cas, c’est l’argent des Français", avait pour sa part pris soin de rappeler préalablement Jean-Pierre Farandou, après avoir notamment insisté sur la nécessité "d’oser la filière industrielle" ferroviaire, "l’une des quelques filières d’excellence française" pour laquelle il a pourtant "fallu se battre pour l’intégrer dans France 2030".
L’ART pas épargnée...
Alain Rousset a toutefois arrosé large. Évoquant l’Autorité de régulation des transports (ART), il avoue "ne pas savoir à quoi sert cette autorité, qui tombe toujours du côté de l’État et de la SNCF". "Comment avez-vous pu laisser passer une augmentation de plus de 25% des péages pour les TER, alors qu’elle n’est que de 0,26% pour les TGV ? Nous avons besoin de protection, et vous ne nous l’apportez pas", lance-t-il ainsi à la vice-présidente de l’ART, Sophie Auconie. Cette dernière a bien tenté de riposter : "Nous avons défendu les régions Hauts-de-France [voir notre article du 23 avril 2019] et Sud Paca. Au bout de trois ans de difficulté avec SNCF Réseau, nous avons apporté des solutions", a-t-elle plaidé. Tout en concédant que "l’ART fait avec les faibles moyens que le Parlement lui donne". Mais aussi avec ceux que le Parlement ne lui donne pas, la vice-présidente regrettant que ce dernier ait "suivi l’avis du gouvernement en rejetant des amendements à la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne [voir notre article du 14 mars] qui auraient permis de renforcer les pouvoirs de contrôle et de sanction de l’ART". Et l’élue tourangelle de rappeler au ministre qu’il serait "opportun que l’ART ait enfin un président", chef qui lui fait défaut depuis la fin du mandat de Bernard Roman le 1er août 2022, non sans accréditer ainsi le peu de cas fait à cette autorité.
... pas plus que la SNCF
Sans surprise également, SNCF Réseau en a pris pour son grade. Alain Rousset l’a notamment accusé "de ne pas avoir assuré la transparence complète de sa gestion. On n’a jamais réussi à obtenir de Guillaume Pepy [ancien président de la SNCF] quoi que ce soit", déplore Alain Rousset. "Mais il va bien falloir que vous y passiez", prévient-il. De son côté, David Valence a également appelé le groupe public "à un changement de culture profond" dans la perspective d’un "transit de masse". "Un vrai défi", reconnaît-il, en soulignant que la loi sur le pacte ferroviaire – dont il vient de tirer le bilan (voir notre article de ce jour) – "a été vécue par le personnel comme une défaite". Quelques instants plus tard, une partie dudit personnel venait très concrètement appuyer la démonstration.