Carte militaire - Un "arsenal" de mesures en faveur des territoires les plus touchés

Le Plan de modernisation de la Défense : beaucoup de collectivités le redoutaient. Les dés ont été jetés. Avec, toutefois, un important train de mesures promises par le gouvernement, notamment pour attirer entreprises et services publics sur les sites les plus touchés.

"Le rôle de l'armée n'est pas l'aménagement du territoire. Les élus locaux doivent faire la part des choses entre l'intérêt local et l'intérêt général." En présentant officiellement ce jeudi 24 juillet à Matignon le "Plan de modernisation de la Défense", le Premier ministre a été clair : si le gouvernement "comprend les élus" et si "l'Etat est aux côtés des collectivités locales", la nouvelle carte militaire sera bel et bien mise en oeuvre, malgré les réticences locales qui s'expriment depuis plusieurs semaines. "La réforme est nécessaire et cohérente", a de son côté souligné le ministre de la Défense, Hervé Morin, tandis que le président Sarkozy, en déplacement à Batz-sur-Mer (Loire-Atlantique), lançait : "Il fallait le faire. Nous ne tremblerons pas."
Le plan prévoit la suppression de 83 sites ou unités militaires à travers la France à partir de 2009, ainsi que 33 déménagements d'une ville à une autre. Au terme de la réforme, à savoir en 2012, "l'armée de terre aura perdu vingt régiments et bataillons", "l'armée de l'air onze bases aériennes" et la Marine "une base aéronavale", a précisé François Fillon. Les unités ou sites en question sont de tailles très variables, de quelques dizaines de personnes à 2.502 personnes pour la base aérienne 128 de Metz, appelée à fermer après 2011.

 

Contrats et plans de redynamisation

Le chef du gouvernement a largement mis l'accent jeudi sur les moyens prévus pour permettre aux territoires qui sont les plus fragiles et qui sont les plus concernés par ces restructurations de réagir. Le dispositif d'accompagnement, qui entend agir sur de multiples leviers, sera piloté par la Diact et, sur le terrain, par les préfets, réunis hier à Paris et destinataires d'une circulaire leur donnant la marche à suivre. "Les préfets seront les interlocuteurs uniques des collectivités territoriales pour conduire cette réorganisation", a insisté François Fillon. Principal objectif : "recréer rapidement un volume d'emploi et d'activité économique comparable à celui supprimé sur la commune ou le bassin d'emplois".
Une enveloppe de 320 millions d'euros sera affectée sur la période 2009-20015 à travers des contrats et des plans de redynamisation des sites de défense. Mais "c'est à plus de 300 millions lorsqu'on peut chiffrer les quatorze mesures qui vont accompagner ce plan : je dirais même, moi, que c'est près d'un milliard d'euros qui est dégagé", a de son côté précisé Hubert Falco, le secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire.
Sur les 320 millions d'euros, la plus grande part - 225 millions - ira à vingt-quatre sites "touchés par la disparition de plus de 200 emplois et connaissant une situation de grande fragilité", qui bénéficieront de "contrats de redynamisation de site de défense" (CRSD). Ces contrats concerneront neuf villes ou bassins de vie dès 2009 et 2010 : Barcelonnette (Alpes-de-Haute-Provence), Briançon (Haute-Alpes), Givet (Ardennes), Caen / Bretteville-sur-Odon / Mondeville (Calvados), Bitche (Moselle), Metz (Moselle), Arras (Pas-de-Calais), Provins/Sourdun (Seine-et-Marne) et Joigny (Yonne).
Pour les territoires ne bénéficiant pas d'un CRSD mais néanmoins affectés de manière significative par une mesure de restructuration, des plans locaux de redynamisation (PLR) seront définis pour un montant de 75 millions d'euros. Vingt-six départements sont concernés. Enfin, 20 millions d'euros sont spécifiquement destinés aux départements d'outre-mer.

 

Un "grand préfet" pour le Nord-Est

Un "arsenal" de mesures est par ailleurs envisagé pour inciter les entreprises à investir et embaucher sur les territoires touchés. Il est ainsi prévu de relancer et d'étendre le dispositif de "crédit de taxe professionnelle" (créé en 2005 pour les zones d'emploi en grande difficulté) de même que celui des "bassins d'emplois à redynamiser", à l'origine créé pour les Ardennes, qui combine exonérations fiscales et exonérations de cotisations sociales.
Côté aides d'Etat soumises à la réglementation européenne (aides de l'Etat ou des collectivités en faveur des entreprises), la France va mobiliser sa "réserve nationale" et demander à Bruxelles de bénéficier d'un zonage supplémentaire. L'Agence française des investissements internationaux (Afii) sera également sollicitée pour orienter les investisseurs étrangers vers les bassins d'emplois concernés.
Par ailleurs, un programme de transferts d'administrations parisiennes vers les régions en cause est annoncé (5.000 postes d'ici 2012, soit 10% des effectifs parisiens des ministères), de même que l'implantation d'établissements publics de l'Etat.
François Fillon a également évoqué la remise en place du "fonds de solidarité" géré par le ministère de l'Intérieur, fonds devant aider certaines communes à affronter les "chocs en termes fiscaux".
La révision à mi-parcours des contrats de projets Etat-région, en 2009, devra "orienter de nouvelles ressources vers les sites concernés" et une partie des actifs immobiliers de la Défense inutilisés pourront "revenir aux collectivités" pour des projets en faveur du développement économique local, a ajouté le Premier ministre, sans apporter d'autre précision. Enfin, Hubert Falco a annoncé la nomination d'un "grand préfet" - en l'occurrence Hubert Blanc, ancien préfet de région - pour "synthétiser" un plan d'accompagnement spécifique du Nord-Est de la France.

 

La peur de "déserts militaires"

La présentation du plan a évidemment donné lieu à de vives réactions parmi les élus des territoires concernés, indépendamment des clivages politiques. Roland Hoff, premier-adjoint de Bitche (Moselle), qui verra supprimé en 2009 son 57e régiment d'artillerie, a par exemple déclaré être "sous le choc", exigeant même des "dommages de guerre conséquents". Le maire de Cambrai, François-Xavier Villain, a exprimé son "amertume" après la confirmation de la fermeture après 2011 de la base aérienne 103. Maxime Bono, maire de La Rochelle, qualifie l'annonce de la fermeture après 2011 du 519e régiment du train de "coup de tonnerre". "Il n'y aura jamais de compensation à la hauteur de la saignée qui est subie", déplore Richard Logier, premier adjoint de Metz, à propos de la suppression, après 2011, de la base aérienne 128.
A Cugnaux (Haute-Garonne), où la base aérienne 101 de Toulouse-Francazal sera fermée en 2009, le maire, Philippe Guérin, condamne une "décision prise de manière unilatérale sans concertation", malgré le renforcement annoncé d'autres sites de l'agglomération toulousaine, notamment le Centre d'essais aéronautiques, à Balma. "Aux déserts judiciaires et sanitaires, s'ajoutent maintenant les déserts militaires !", tonne Jean-Jack Queyranne, président du conseil régional Rhône-Alpes, à propos du départ de Bourg-Saint-Maurice, en 2011, du 7e bataillon de chasseurs alpins, qui compte plus d'un millier d'hommes et "contribue fortement à l'activité de cette ville de 8.000 habitants".
D'autres élus en revanche ne cachent pas leur soulagement. Ainsi Fernand Lormant, maire de Dieuze et l'un des élus mosellans qui avaient menacé de démissionner, estime finalement que sa ville "ne s'en tire pas trop mal", malgré le départ confirmé pour 2011 du 13e régiment de parachutistes : une école militaire, regroupant "entre 1.000 et 1.200 militaires plus 350 formateurs" devrait voir le jour. "On a bien négocié", se félicite de son côté le député de Nîmes, Yvan Lachaud : si la base aéronavale de Nîmes-Garons (1332 personnes) doit fermer ses portes en 2011, la capitale gardoise devrait accueillir le 503e régiment du train, à l'effectif comparable. "Un moindre mal", commente Yvan Lachaud.

 

C.M. et A.F.

Les principaux sites : le détail

2009 : Fermeture du 57e régiment d'artillerie de Bitche (Moselle, 1.138 personnes), du 601e régiment de circulation routière d'Arras (Pas-de-Calais, 730 personnes), de la base aérienne 101 de Toulouse (1.074 personnes), du 12e régiment d'artillerie d'Haguenau (664 personnes, Bas-Rhin). Haguenau doit récupérer la même année le 2e régiment de hussards de Sourdun (Seine-et-Marne, 895 personnes).

2010 : Fermeture du 18e régiment de transmission de Bretteville-sur-Odon (Calvados, 953 personnes), du 2e régiment du Génie de Metz (874 personnes), de la base aérienne 132 (1.276 personnes) de Colmar-Meyenheim (Haut-Rhin), du 1er régiment du Génie (1.042 personnes) de Illkirch-Graffenstaden (Bas-Rhin). Cette dernière ville pourrait toutefois récupérer en 2010 le 16e bataillon de chasseur de Saarburg (Allemagne, 1.155 personnes).

2011 : Fermeture de la base aéronavale de Nîmes-Garons (1.332 personnes), de la base aérienne 112 de Reims (1.545 personnes) et de celle de Taverny (Val-d'Oise, 986 personnes), du 42e régiment de transmission de Laval (Mayenne, 939 personnes), du 519e régiment du train de La Rochelle (Charente-Maritime, 992 personnes).
Toujours en 2011, le 503e régiment du train de Martignas-sur-Jalle (Gironde, 1.112 personnes) doit déménager pour Nîmes, le 1er régiment médical de Chatel-Saint-Germain (Moselle, 1.055 personnes) déménage à La Valbonne (Ain), et le régiment de marche du Tchad de Noyon (Oise, 1.158 personnes) partira à Colmar-Meyenheim. L'école de service de santé de Bordeaux, "santé navale", (146 personnes) sera regroupée avec celle de Lyon-Bron. Dieuze (Moselle) perdra son 13e régiment de dragons parachutistes (913 personnes), qui s'en ira à Martignas-sur-Jalle (Gironde), mais va accueillir une "école militaire" qui comprendrait plus d'un millier de militaires et 350 formateurs.

Après 2011, sont prévues les fermetures du 517e régiment du train de Déols (966 personnes, Indre), du 402e régiment d'artillerie de Châlons-en-Champagne (Marne, 1.046 personnes), du 8e régiment d'artillerie de Commercy (Meuse, 849 personnes), des bases aériennes 128 de Metz-Frescaty (Moselle, 2.502 personnes), 103 de Cambrai-Haynecourt (Nord, 1.364 personnes) et 217 de Brétigny-sur-Orge (Essonne, 1.955 personnes). Outre-mer, également après 2011, fermeture notamment du 33e régiment d'infanterie de marine et de la base aérienne 365 de la Martinique (650 personnes en tout), et de la base aérienne 190 et du régiment d'infanterie de marine Pacifique de Polynésie (920 personnes au total).
A partir de 2011, le 1er régiment d'artillerie de marine de Laon-Couvron (Aisne, 867 personnes) se déplacera à Châlons-en-Champagne (Marne), tandis que le 7e bataillon de chasseurs alpins de Bourg-Saint-Maurice (Savoie, 1.152) se déplace à Varces (Isère).

AFP