PydBlog - Un ancien de l'Education nationale suggère une renversante "nouvelle alliance" avec les collectivités
Une loi SRU pour imposer la mixité sociale dans les collèges, la réduction du nombre d'écoles, le transfert de la compétence "Enseignement scolaire" aux EPCI... Pierre-Yves Duwoye, haut fonctionnaire de l'Education nationale depuis 1980, a ouvert fin avril un blog qui secoue le petit monde de l'éducation et qui pourrait bientôt faire bondir celui des collectivités. Impossible en effet de ne pas y voir un recueil de "Bonnes idées originales à l'usage du prochain gouvernement".
PydBlog, c'est LE blog que les acteurs de l'Education suivent chaque jour depuis son ouverture le 23 avril 2017. Son auteur, Pierre-Yves Duwoye, a notamment été secrétaire général du ministère de l'Education nationale sous Nicolas Sarkozy, directeur de cabinet de Vincent Peillon (durant six mois, il le quittera avant la présentation de la loi Refondation en conseil des ministres), puis recteur de Versailles et de Limoges. Il a quitté l'Education nationale en mars (pour la Cour des comptes), et retrouvé du même coup sa "liberté de parole" (qu'il utilise aussi pour apporter son soutien à Emmanuel Macron).
Le tout premier article de Pierre-Yves Duwoye, intitulé "Changer la donne" donnait le ton : corrosif, ironique, force de proposition pour envisager une nouvelle politique éducative. Partant du constat que "ces 30 dernières années, les politiques éducatives ont cruellement manqué d’efficacité", il y avançait déjà l'idée qu'"une nouvelle alliance doit être nouée avec les collectivités". Son article publié le 1er mai rentre dans les détails.
"L’éducation n’est plus forcément nationale"
"De financeurs puis associés, les collectivités veulent désormais devenir co-auteures des politiques éducatives", rapporte Pierre-Yves Duwoye, après avoir rappelé qu'elles participaient, en 2015, à hauteur de 23,5% à la dépense intérieure d’éducation (DIE), contre 14,3% en 1980. "Leurs investissements dans les domaines du bâti, du fonctionnement, de l’équipement, du numérique, leurs aides importantes en dehors de leurs strictes obligations sont plus que jamais totalement indispensables au service public d’enseignement", estime-t-il, soulignant immédiatement que "la hauteur de leur financement masque des disparités très importantes qui font que l’éducation n’est plus forcément nationale, au sens de l’équité entre les territoires et donc entre les élèves".
Il affirme par exemple que "les crédits alloués aux écoles par les 22.000 communes qui en ont une sur leur territoire varient selon un facteur 10". Et que "les moyens des activités péri-éducatives liées aux nouveaux rythmes scolaires présentent la même disparité". Pour les collèges et les lycées, "au-delà de leurs obligations, les exemples fourmillent de collectivités s’engageant à fournir gratuitement les manuels scolaires, aidant les élèves pour leurs devoirs, complétant les bourses ou les fonds sociaux ou allouant des moyens aux établissements pour des projets culturels, des aménagements ou des voyages". En matière d’équipement numérique, "depuis 5 ans, le ministère estime que 70.000 élèves et 8.000 professeurs ont accès à un environnement numérique performant, soit moins de 10%".
Moduler la DGF selon la contribution des collectivités pour l'école
Partant du principe que l’équité scolaire est "une exigence qui s’impose d’abord à l’Etat" et du constat que "les collectivités détiennent pour partie les clés d’une évolution structurelle de l’Ecole", il définit neuf "fondements" à sa "nouvelle alliance".
Tout d'abord, il suggère de "rééquilibrer par les dotations de l’Etat la contribution des collectivités pour l’Ecole". Il parle alors de jouer sur la DGF (dotations globales de fonctionnement), la DSU (dotation de solidarité urbaine), la DSR (dotation de solidarité rurale) "et surtout" sur la DNP (dotation nationale de péréquation).
Pierre-Yves Duwoye estime ensuite qu'il faudrait transférer la compétence "enseignement scolaire" aux EPCI, au cours du prochain quinquennat, dans l'objectif de favoriser le regroupement des écoles.
Cette idée est largement développée dans son article du 24 avril intitulé "Fédérer les entités d'enseignement en réseaux territoriaux".
Pierre-Yves Duwoye y juge que "les réseaux scolaires français sont beaucoup trop dispersés sur le territoire national, notamment dans le premier degré", ajoutant que "avec environ 52.000 écoles réparties dans 22.000 communes, et plus de 11.000 établissements du second degré, la France bat tous les records des pays développés". Il avance avec prudence que "en se mettant 'au niveau de standards allemands', l’économie serait de 3,17 milliards d’euros dans le primaire et de 7,6 milliards dans le secondaire".
Regrouper les écoles primaires au sein des EPCI
Selon lui, le fait que les trois quarts des écoles du premier degré fonctionnent avec cinq classes et moins "est une énorme faiblesse et crée des inégalités qui ne cessent de s’accroître entre entités d’enseignement". Comme Xavier Darcos en son temps (en l'occurrence en 2003, alors qu'il était ministre délégué à l'enseignement scolaire), Pierre-Yves Duwoye suggère de favoriser la constitution de réseaux d’écoles, en "progressant" dans trois directions : regrouper les écoles primaires au sein des EPCI, imposer la mixité au collège "par la loi, si nécessaire", et faciliter la mise en réseaux des écoles et des collèges.
"Il faut rassembler les écoles dans des regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI)", estime-t-il, via les conventions de ruralité qui seraient désormais signés avec les EPCI. "Des accords pourront plus efficacement être passés par exemple avec les 26 EPCI de la Dordogne, là où l’IA (Ndlr : inspecteur d'académie) devait traiter avec 520 communes", illustre-t-il.
Avant que la loi n'impose le transfert de la compétence enseignement scolaire à tous les EPCI, il envisage une période intermédiaire d'expérimentation durant laquelle les EPCI candidats seraient encouragés... au travers de la DGF.
Une loi "SRU" pour imposer la mixité dans les collèges
Autre suggestion décoiffante : "la mixité scolaire (privé compris) pourrait être imposée, si nécessaire, aux collectivités par un dispositif de type SRU". Selon Pierre-Yves Duwoye, "la contrainte ultime de la loi conduira, à n’en pas douter, à des dialogues fructueux". Il faudrait pour cela retravailler la carte des collèges "avec les conseils départementaux", ce qui permettrait par la même occasion de traiter "la question des petits collèges". Car selon lui, "les petites structures posent des problèmes d’organisation (équipe de direction incomplète, équipe enseignante partagée entre plusieurs établissements…) mais surtout ne sont pas les plus performantes pour leurs élèves : ambition des élèves limitée à l’offre locale, poursuite d’études moins bonne…"
Sur cette question comme sur d'autre, "garant de l’équité scolaire sur le territoire, l’Etat doit prendre ses responsabilités (...) et ne plus s’en remettre à la seule sagesse des collectivités", estime-t-il.
La DGF pour inciter à la continuité école-collège
Pierre-Yves Duwoye prône également la mise en réseaux des écoles et des collèges, en procédant cette fois d’une volonté commune des deux collectivités (commune - EPCI à termes - et département). "Un cadre juridique souple peut servir de cadre à une expérimentation, avec des "modalités techniques de coopération (convention d’association, représentation des partenaires, compétences financières…) mais offrant également la possibilité d’expérimenter sur le plan pédagogique". Là encore, les mécanismes de la DGF pourraient y inciter", avance-t-il. "Autant on pourra considérer en première analyse qu’il y aurait trop de collèges ou d’écoles dans un département, autant, en les mettant en réseaux, l’appréciation peut être différente", avance-t-il.
Pierre-Yves Duwoye reprend également une proposition de l'Association Régions de France visant à ce que les régions jouent un rôle "d’ensemblier et d’aménageur" en définissant les cartes des lycées, "mais surtout en pilotant l’enseignement professionnel, sans toutefois jouer un quelconque rôle dans la gestion des personnels concernés".
Un fonds d'Etat d'aide à la construction
Quant à la responsabilité des collectivités en matière d’architecture et d’équipement matériel des bâtiments scolaires, il note qu'aujourd'hui "l’architecture de nos écoles primaires notamment n’a pas vraiment évolué depuis deux siècles : de longs couloirs, certes beaucoup plus larges, distribuant sur une série de classes qui se succèdent" avec des salles des professeurs volontairement "exiguës" de par la volonté des syndicats qui parviendraient à "imposer" cette configuration aux collectivités pour que les professeurs "ne soient pas tentés de demeurer trop longtemps dans l’établissement (sic)".
Dès lors, dans les domaines de la construction, comme dans celui de l’équipement matériel, "l’Etat doit jouer un rôle incitatif plus important", estime-t-il. Il propose une charte "entre l’Etat et les représentants des collectivités compétentes". Dans son esprit, un fonds d’aide de l’Etat contribuerait à sa mise en œuvre.
Pour l’équipement numérique des élèves, l'intervention de l’Etat et des collectivités "serait réservée aux seuls boursiers". Et les appels d’offre Etat/Collectivités seraient ciblés sur l’équipement des classes, des écoles et des établissements (haut débit, vidéoprojecteurs, réseaux, Wifi). La formation au numérique des professeurs deviendrait obligatoire.
La porte ouverte à l'intrusion des collectivités dans la pédagogie
Aux collectivités qui voudraient "s’inviter dans l’organisation et le fonctionnement pédagogique des écoles et des établissements", il répond qu' "il ne faut pas fermer cette porte, bien au contraire". Il juge au contraire que "les collectivités proposent des initiatives souvent innovantes au service des élèves et qui contribuent à faire bouger l’institution dans ses fonctionnements habituels", qu'elles "ouvrent des possibles sur la culture, le sport, l’environnement… pour des projets à la main des équipes", et cela "selon des modalités d’interventions souples et rapides qui facilitent la vie des établissements (des crédits facilement mobilisables par exemple), que n’a plus toujours l’Etat".
Mais cette invitation aurait une condition : "que les actions menées concourent bien à la réalisation des objectifs et des finalités nationales, qu’elles ne recouvrent pas des opérations de pure communication ou des lubies locales (si, si ! ça existe !) (sic), et que tous aient en tête que 'qui paie les violons, choisit la musique'".