UE : un plan pour tenter de sauver l’acier

La Commission européenne a présenté le 19 mars son plan pour tenter de sauver une industrie européenne de l’acier et des métaux à l’agonie. Si cette feuille de route a reçu globalement un bon accueil des industriels, ces derniers insistent sur la nécessité de la traduire sans délai en actions concrètes. Ils plaident également pour travailler davantage à la réduction des coûts de l’énergie, qui menacent l’ensemble du tissu industriel européen.

"Diagnostic juste. Bonne direction. Maintenant, il est temps de mettre effectivement en œuvre les solutions pour sauver l’acier européen". Prenant connaissance du "plan d’action européen pour l’acier et les métaux" présenté ce 19 mars par la Commission européenne, l’association européenne de l’acier Eurofer n’a pas caché sa satisfaction. "Nous sommes reconnaissants que la Commission ait clairement reconnu l'importance stratégique de l'industrie sidérurgique européenne pour la souveraineté, la sécurité et la compétitivité de l'UE", déclare Henrik Adam, qui préside cette dernière. "La vitesse et l'ambition du plan d'action d'Ursula von der Leyen montrent ce qui est possible lorsque les gouvernements agissent de manière décisive", observe, envieux, le directeur général de UK Steel, Gareth Stace, exhortant son gouvernement à suivre la même direction.

Un plan qui répond sur le papier aux attentes…

Sur le papier, les têtes de chapitre du plan de la Commission répondent il est vrai quasiment point par point à celles du plan d’urgence soumis par Eurofer en novembre dernier : 

- assurer un accès à une énergie propre et bon marché ;

- prévenir les "fuites de carbone", avec notamment en vue l’extension du champ d'application du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) à certains produits de l’aval à forte intensité d'acier et d'aluminium ; 

- promouvoir et protéger les capacités industrielles européennes, entendre principalement la question des droits de douane, ou "mesures de sauvegarde" que la Commission entend prolonger ; 

- promouvoir la "circularité", singulièrement pour garantir l’accès aux matériaux rares et au gisement de ferraille ; 

- défendre des emplois industriels de qualité, avec ici les mêmes actions que pour l’automobile : élargissement du périmètre d’action du fonds européen d'ajustement à la mondialisation et mobilisation de l’observatoire européen de la transition équitable (v. notre article du 6 mars) ; 

- "dérisquer" les projets de décarbonation, notamment via l’introduction de critères de résilience et de soutenabilité pour la commande publique (un rapport de 2024 de l’Ademe estime que la production d’acier représentait, entre 2010 et 2017, 5% des émissions de gaz à effet de serre annuelles françaises et le quart des émissions de l’industrie française).

… mais qu’il reste à traduire concrètement

Reste que, pour l’heure, le plan est davantage riche de promesses que de mesures concrètes. Et toutes ne comblent pas Eurofer : "L’énergie reste l’éléphant dans la pièce", déplore Henrik Adam, en soulignant que "les prix élevés de l'énergie affectent non seulement la production d'acier et de métaux, mais aussi l'ensemble des chaînes de valeur industrielles européennes" – comme l’a rappelé le rapport Draghi (v. notre article du 10 septembre), parmi bien d’autres (v. notre article du 20 janvier ou celui du 16 septembre 2022). Aussi juge-t-il "crucial de travailler davantage à la réduction de ces coûts". En la matière, le plan se limite il est vrai pour beaucoup à la future proposition de "conseils" aux États membres, que ce soit pour baisser les coûts de raccordements aux réseaux, pour élaborer les fameux "contrats pour différence", etc. S’y ajoute également la volonté de combler le retard pris sur un hydrogène qui peine à tenir ses promesses, avec l’adoption "dans les prochaines semaines", du tant attendu règlement délégué sur l’hydrogène bas-carbone. "L’hydrogène a un rôle clé à jouer", insiste Eurofer ; une analyse partagée par le plan de la Commission.

Une industrie européenne en voie d’extinction…

Le temps presse, car l’industrie sidérurgique est à l’agonie, pour ne pas dire en voie d’extinction. Un comble pour une Union européenne qui s’est construite sur le charbon et l’acier. Un mauvais présage, grincent les eurosceptiques. À tout le moins une véritable menace, celle de la dépendance, au moment même où l’Union se targue de vouloir recouvrer sa souveraineté industrielle et militaire (v. notre article). Difficile de faire des tanks sans acier… En décembre, ThyssenKrupp annonçait la suppression de 11.000 emplois d’ici 2030. "40% de ses effectifs", soulignait Alain Le Grix de la Salle, président d’ArcelorMittal, lors de son audition à l’Assemblée le 22 janvier dernier. Et d’avertir que les sites "sont tous à risque en Europe". Fin novembre, son entreprise annonçait d’ailleurs la fermeture de deux de ses sites français, à Reims et à Denain. Mais aussi sa décision de stopper tous ses investissements en matière de décarbonation. "Nous n’avons aucune garantie de rentabilité", arguait le dirigeant. Dans un communiqué de presse, l’entreprise précisait être dans l’attente de "plusieurs développements importants en 2025, notamment la révision du MACF, une révision anticipée des mesures de sauvegarde de l’acier et la publication du [présent] plan d’action"…

… plombée par plusieurs boulets

Outre le "besoin de visibilité réglementaire", Alain Le Grix de la Salle mettait en relief trois principaux handicaps devant les députés : 

- le "niveau excessif des importations", facilitées par un prix de vente de l’acier chinois "inférieur au prix de revient de l’acier européen" ; 

- le "coût du carbone – 10% du prix de vente aujourd’hui, 25% en 2030 –, avec un MACF pas assez efficace et qui en l’état actuel ne protégera pas assez les industries en Europe" ; 

- et "le marché", avec des "des clients qui ne sont pas prêts à [payer davantage] pour de l’acier bas-carbone". Un marché par ailleurs en berne en Europe, victime de l’"explosion des coûts de l’énergie". Alain Le Grix de la Salle évoquait une chute de la demande d’acier en France de 20% en 5 ans : "Le tissu industriel en France doit être soutenu", exhortait-il, faute de quoi "des pans entiers de notre industrie vont disparaître. La situation est extrêmement critique". Et un marché qui se réduit à l’export. Outre le manque de compétitivité du prix de l’acier européen, s’ajoutent des barrières à l’entrée. Dernièrement, l’introduction de 25% de droits de douane par les USA, loin d’être les seuls à protéger leur marché intérieur. "Aux USA, la part des importations dans la consommation des aciers plat a diminué de 25% en dix ans. Elle a augmenté de 65% dans l’UE dans le même temps", pointait le dirigeant. Sans compter les "surcapacités mondiales, un phénomène structurel qui va durer". Elles représenteraient aujourd’hui plus de 4 fois la production annuelle d’acier en Europe, portées singulièrement par la Chine, où la production est massivement subventionnée (5 à 10 fois plus que dans un autre pays, relevait en novembre dernier Ulf Zumkley, président du comité de l’acier de l’OCDE) et moins absorbée par un marché interne victime d’une crise de l’immobilier et du ralentissement de son économie. Par la Chine, mais plus seulement, puisque la production a ces cinq dernières années surtout explosé dans les pays de l’Asean, du Moyen-Orient, en Inde ou encore en Afrique du Nord.

Une filière "régionale"

Pour l’Union, les conséquences économiques et sociales sont redoutables. D’après Eurofer, l’industrie européenne de l’acier pourvoirait plus de 300.000 emplois directs et 2,3 millions d’emplois indirects en Europe. Devant les députés, Alain Le Grix de la Salle mettait en avant ses quelque 15.400 salariés en France, qui exercent "dans une quarantaine de sites de production et de transformation sur tout le territoire". ArcelorMittal est "un acteur industriel régional, implanté dans toutes les régions", soulignait-il. Un fait qui avait d’ailleurs conduit en 2019 Valérie Létard, alors sénatrice, à considérer que "l’avenir de la sidérurgie française ne saurait se construire sans les régions, les départements et les intercommunalités", dans un rapport qui reste pour l’essentiel malheureusement d’une brûlante actualité (v. notre article du 16 juillet 2019).

 

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