Congrès de Régions de France : pas de souveraineté possible sans les régions
Régions de France a fait des souverainetés – industrielle, énergétique, des savoirs … – le thème principal de son 18e congrès, qui s’est tenu à Vichy les 15 et 16 septembre. Avec une conviction : pas de succès possible si les régions ne sont pas en première ligne, surtout lorsque l'État est jugé défaillant.
"Nous devons incarner la France des projets et de la souveraineté retrouvée, et non la France des incantations", lançaient quelques jours avant leur 18e congrès les 22 présidents de région et collectivités dans le Journal du Dimanche. "Celle des réalisations, et pas des procédures", précise Carole Delga à Vichy, visant à mots couverts un État jugé entravant la capacité d'action. "Tous les élus détiennent un mandat d’égal valeur. Celui des uns ne doit pas écraser celui des autres, sinon les citoyens ne s’y retrouvent pas", remarque-t-elle, en appelant à revenir au "bon vieux principe de subsidiarité". De même qu’"une entreprise ne peut pas tout faire", comme le rappelait lors de la table-ronde consacrée à la souveraineté Florent Menegaux, président du groupe Michelin, chez Régions de France, on est convaincu que l’État ne peut pas – et ne doit pas – tout faire non plus. Y compris en matière de souveraineté. "Quand on est prêt à décider de tout, on ne décide de rien", estime Laurent Wauquiez, dénonçant un État "Gulliver qui n’arrive plus à bouger". Et qui, plus encore, à entendre les débats, échoue, freine et asphyxie. Ladite table-ronde s’est en effet rapidement muée en tribunal, où le prévenu, accusé d’abandon de souveraineté et jugé par contumace, n’a guère été épargné.
Souveraineté énergétique
Parmi les charges retenues, "le massacre de la filière nucléaire", selon les mots de Patrick Martin, vice-président du Medef. Jugé d’autant plus désastreux que "la crise de l’énergie peut tuer rapidement le bourgeonnement de la relocalisation", estime Jérôme Geneste. Le président de France Chimie Aura relève que "dans l’industrie chimique, plusieurs usines sont déjà l’arrêt". "Durant deux quinquennats, la France a failli en abandonnant sa filière électro-nucléaire, qui constituait un facteur de compétitivité et de soutien absolument colossal à notre industrie, probablement le seul où nous étions supérieurs aux Allemands", accuse Hervé Morin, président de la région Normandie. Un abandon qui sera selon lui d’autant plus difficile à réparer "qu’on a perdu les compétences. Une centrale nucléaire, c’est 1.500 ingénieurs supplémentaires. Quand on en manque déjà, on se rend compte que l’effort est gigantesque", ajoute-t-il. Alain Rousset, président de la région Nouvelle-Aquitaine, enfonce le clou, en indiquant que le problème est ancien : "Un rapport confié par Nicolas Sarkozy à l’ancien président d’EDF François Roussely resté confidentiel concluait déjà à une perte de compétences." Sur le terrain, Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire, confirme que la filière qui, "jusqu’en février dernier, n’avait pas d’avenir, connaît des problèmes de recrutement". "Comme dans toute l’industrie", admet-elle. Elle met en avant "le problème d’attractivité des métiers industriels, qui ont encore une mauvaise image". Et constate encore que "depuis dix ans le nombre de femmes ingénieurs plafonne", et que "ce potentiel de talents se perd dès la 3e".
Souveraineté des savoirs
"La réforme du bac et la fin des maths obligatoires ne va pas arranger le problème", grince Hervé Morin. Il pointe le faible niveau des élèves français en la matière. Florent Menegaux confirme : "La France a décroché. Beaucoup d’élèves de 6e ne savent plus placer une virgule. Or comprendre un minimum de mathématiques est indispensable." Le chef d’entreprise, qui fait de l’éducation et de la formation l’une des quatre grandes conditions de la souveraineté industrielle, plaide pour "redonner dès le plus jeune âge à nos enfants le goût de la science". Et déplore "la trop grande séparation entre le monde de l’éducation et celui de l’entreprise, qui doit être beaucoup plus perméable". Pour Carole Delga, le fait que "les entreprises soient persona non grata dans les lycées, je ne parle même pas des collèges", et plus largement que "les établissements scolaires doivent protéger les élèves du monde extérieur", constitue l'un "des tabous qu’il faut remettre en cause". "Le président de la République veut réformer les lycées professionnels. Qu’il commence par les ouvrir !", tonne-t-elle. Non sans avoir rappelé que "les collèges et les lycées gérés par l’État étaient en mauvais état. Aujourd’hui, ils sont renouvelés et les conditions d’enseignement y sont optimisées".
Service public régional de l’emploi et de la formation
"Convaincue que le travail élève et est émancipateur", la présidente de Régions de France estime que la question du plein-emploi – l’un des deux objectifs prioritaires affichés par la Première ministre, avec la transition écologique (voir notre article de ce jour) – "se résume en deux mots : l’accès aux métiers et la capacité des entreprises à recruter". Or, "sans les régions, vous ne pouvez y arriver", lance-t-elle à Élisabeth Borne.
La présidente de la région Occitanie plaide "pour séparer l’assurance-chômage de l’accompagnement des demandeurs d’emplois, par nature décentralisé" et la création d’un véritable "service public régional de l’emploi et de la formation". Elle s’appuie sur les résultats préliminaires d’une enquêté d’Elezia présentés lors du congrès, qui révèlent qu’en la matière "les régions [en Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne et Italie] sont toujours considérées comme le meilleur niveau d’animation". "Seul un écosystème régional permet efficacité et réactivité", martèle François Bonneau, président de la région Centre-Val de Loire. Et de prévenir : "Si France Travail est une nouvelle verticalité, nous n’en serons pas." Il voit sa position confortée par Jérôme Geneste : "Les difficultés de recrutement s’accentuent, mais diffèrent d’un territoire à l’autre. La mobilité des salariés est assez faible. On doit donc travailler avec les régions, localement."
Importance de la R&D… près des usines
Celui qui est également directeur des opérations de Seqens souligne encore que pour réindustrialiser, "la création d’écosystèmes doit se faire autour des usines existantes – il en reste", idéalement sur "des plateformes où les entreprises mutualisent tout". Et en veillant "à ne jamais séparer la R&D des usines". Évoquant les "délocalisations massives de production des principes actifs pharmaceutiques des années 1990", pour des raisons "d’écarts énormes de coûts dus aux contraintes de sécurité et environnementales et de recherche de prix très bas, tirés par les génériques", il enseigne : "On pensait que les usines de médicaments allaient rester. C’était très illusoire. Nous sommes plus efficaces en R&D quand l’usine est à côté." Alain Rousset confirme : "On est en décrochage technologique massif car nous n’avons plus de politique industrielle depuis 30 à 40 ans dans ce pays. Et on a dégradé notre recherche. Or, on ne relocalisera qu’avec des sauts technologiques. Nous avons donc besoin d’un effort massif dans la recherche." Et là encore, les régions vantent leurs mérites : "Si les trains à hydrogène vont circuler en France, c’est parce que les régions les ont voulus et les financent aux deux-tiers, contre un tiers seulement en Allemagne", pointe Carole Delga.
Vision et visibilité
Pour envisager une souveraineté industrielle, Florent Menegaux souligne encore la nécessité d’une "vision de long terme", de "règles du jeu équitables dans le monde, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne doivent pas être exigeantes", et d’un "cadre réglementaire et fiscal stable". Autant d’éléments qui feraient aujourd’hui défaut. "Il faut nous donner de la visibilité pour que nous puissions inscrire notre action dans le temps", lui fait écho Laurent Wauquiez. Pour Florent Menegaux, ce besoin de stabilité est d’autant plus grand pour l’industrie qu’elle "se transforme tous les jours. C’est un organisme vivant qui doit s’adapter en permanence, pas un musée". Et de souligner ainsi la nécessité "d’accompagner, et non d’empêcher, les mutations". Entendre "ne pas empêcher une fermeture, mais exiger que ses modalités soient acceptables".
Souveraineté financière
Si "la France a énormément d’atouts", souligne-t-il, il déplore ses boulets, notamment fiscal : "Pour générer 100, on a une pression de 148 en France, alors que pas un seul pays en Europe dépasse 85", image-t-il. Pour Patrick Martin, en la matière, il faut toutefois "trouver une solution de réintéresser les collectivités au développement du logement et industriel". "Le premier attribut de la souveraineté est de lever l’impôt. Or les régions n’ont plus aucune autonomie fiscale", dénonce le député Nicolas Ray (LR), qui souligne qu’en Auvergne, on préfère "compter sur son âne que sur la jument du voisin". Et de rappeler qu’"il n’existe pas de souveraineté sans indépendance financière et des finances publiques saines", tandis que Laurent Wauquiez dit ses craintes de voir l’État "faire les poches des régions".