Rapport Igas - Trois ministres au chevet des aides personnelles au logement
"Un outil majeur et précieux de lutte contre la pauvreté", qui tient "un rôle déterminant dans le maintien à flot d'un certain nombre de familles". Avec une telle définition des aides personnelles au logement, Cécile Duflot "ne songe pas à faire des économies" sur un tel dispositif, même si ces aides ont perdu en efficacité au cours de la dernière décennie et semblent désormais déconnectées de la réalité du marché du logement, selon la mission d'évaluation des aides personnelles au logement conduite, sur six mois, par l'Inspection générale des affaires sociales (Igas). Des aides qui bénéficient à plus de 6,3 millions de personnes, majoritairement locataires, pour un coût total de près de 16 milliards d'euros.
Pas d'économies donc, mais un objectif de stabilité du poids dans le PIB à 0,9% (un pourcentage inchangé depuis dix ans). Pour y parvenir, la ministre du Logement compte beaucoup sur l'encadrement des loyers du secteur privé, dont le décret est paru le 20 juillet (voir notre article dans l'édition du 23 juillet) en attendant de réviser la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dans le projet de loi cadre du printemps prochain. "La piste n'est pas d'augmenter les aides personnelles au logement, mais d'agir sur les montants des loyers", a-t-elle déclaré, estimant qu'il fallait désormais "réfléchir à partir de la notion de taux d'effort".
Un taux d'effort supérieur à 33% pour un quart des allocataires
Un taux d'effort qui, justement, a considérablement augmenté entre 2001 et 2010, passant de 16,9% à 19,5% (*) pour le paiement du seul loyer (en ajoutant le poids des charges, le taux s'établit à 30%), "soit la norme maximale communément admise d'un taux d'effort supportable", note l'Igas.
Plus préoccupant encore, près d'un quart des allocataires subissent un taux d'effort supérieur à 33% (hors charges). "Ce sont majoritairement des personnes isolées et des couples sans enfants qui supportent les taux d'efforts prohibitifs : non seulement la familiarisation du barème les dessert mais, en outre, ils ont moins souvent accès au parc social que les familles", observe l'Igas. De fait, ce sont les allocataires du parc privé qui supportent les plus hauts taux d'effort puisqu'ils s'élèvent à 34,4% pour les allocataires de l'ALS et 21% pour ceux de l'ALF, quand ceux des APL sont à 13 %. Pour autant, pas question pour la ministre, aujourd'hui, de donner suite à la proposition de l'Igas de constituer deux barèmes distincts parc public/parc privé, avec, pour ce dernier, un barème qui prendrait "mieux en compte les zones où les bénéficiaires supportent aujourd'hui des taux d'effort très élevés". L'encadrement des loyers et la construction de 150.000 logements sociaux devraient, selon elle, suffire…
Décrochage généralisé
Pour l'Igas, "la perte d'efficacité des aides personnelles résulte de leur insuffisante articulation avec la réalité des marchés du logement", plus précisément "à leur inadaptation à l'évolution des prix de l'immobilier". "La sous-actualisation des loyers plafonds au cours de la dernière décennie a entraîné un décrochage généralisé avec les loyers réellement supportés par les ménages", note l'Igas, les loyers plafonds ayant augmenté de 16,3% entre 2001 et 2010, quand les loyers réels des allocataires augmentaient de 31,5% (37,7% pour les bénéficiaires de l'ALS et 26,8% pour ceux de l'APL). Si bien qu'aujourd'hui, 86,3% des locataires du parc privé et 51,8% des locataires du secteur social ont des loyers supérieurs aux loyers plafonds, c'est-à-dire qu'ils "supportent intégralement toute augmentation de leur loyer", insiste l'Igas.
Voilà un argument qui va dans le sens du dispositif d'encadrement des loyers ! "Une telle politique permettrait qu'une augmentation des loyers plafonds dans le parc privé ne soit pas menacée dans ses effets par un potentiel effet inflationniste", relève l'Igas, avec moult précautions.
Règle de non-cumul pour les étudiants ?
Le rapport n'aborde pas le supposé effet inflationniste de l'APL étudiants sur les loyers des villes universitaires. Il pointe en revanche du doigt "le cumul de l'aide personnelle au logement pour un étudiant avec un avantage fiscal pour sa famille", estimant qu'il "pose une question d'équité et d'efficience de la dépense publique". Comme l'avait envisagé le gouvernement en 2010, le rapport suggère que "le choix de demander une aide personnelle au logement exclurait pour la famille la possibilité de rattacher le bénéficiaire à son foyer fiscal". Deux exceptions à cette "règle de non-cumul" seraient toutefois prévues : "pour les étudiants poursuivant des études dans une autre agglomération que celle du foyer fiscal de leurs parents, ainsi que pour les étudiants boursiers". Cécile Duflot a répondu en exprimant son souhait de poursuivre la concertation à ce sujet.
Populations invisibles
Marie-Arlette Carlotti a quant à elle assuré que le rapport de l'Igas lui servira à préparer sa conférence sur la lutte contre la pauvreté prévue en octobre et dont François Hollande avait assuré que parmi "les sujets qui seront nécessairement présents" figurera d'abord "l'accès au logement parce que c'est la condition de tout" (voir notre article dans l'édition du 23 juillet). La ministre déléguée chargée de la lutte contre l'exclusion a d'abord retenu que 50% des bénéficiaires des aides vivaient sous le seuil de pauvreté et que les dépenses logement "pesaient lourd sur les ménages", notamment sur les populations fragiles "invisibles" : ceux qui du jour au lendemain peuvent sombrer dans la précarité, les petits propriétaires de la classe moyenne sensibles aux accidents de la vie, les jeunes, les familles monoparentales...
"Les CAF doivent s'investir davantage dans l'accompagnement social"
De son côté, Dominique Bertinotti a trouvé matière à la préparation de la future convention d'objectifs et de gestion que l'Etat signera avec la Cnaf, l'actuelle convention arrivant à échéance fin 2012. "Il faut définir une politique de simplification des procédures", a-t-elle déclaré, par ailleurs consciente de "la complexité des règles" auxquelles les CAF sont confrontées et qui participent au fait que les versements des aides personnelles au logement soient "instables et imprévisibles".
La ministre déléguée chargée de la famille s'est dit persuadée que "les CAF doivent s'investir davantage dans l'accompagnement social" des allocataires, répondant à une suggestion de l'Igas de "rendre plus efficace l'action des CAF en matière de traitement des impayés de loyers et des situations de non-décence des logements".
Valérie Liquet
(*) Sans aide, le taux d'effort médian serait de 35,8%.