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Aménagement numérique - Très haut débit : les sénateurs saisissent l'Autorité de la concurrence

La commission de l'économie du Sénat, présidée par le sénateur de Saône-et-Loire Jean-Paul Emorine, vient de saisir l'Autorité de la concurrence "sur les possibilités d'intervention subventionnée des collectivités territoriales", dans le cadre du programme national très haut débit. Une initiative qui fait suite aux inquiétudes exprimées par des parlementaires et des élus locaux sur les modalités retenues par le gouvernement pour le déploiement du très haut débit en France. Depuis la publication du rapport d'information sur la "couverture numérique du territoire" présenté par le sénateur Hervé Maurey et adopté à l'unanimité par la commission de l'économie (juillet 2011), la fronde prend de l'ampleur. Dans un communiqué, les sénateurs estiment "excessives les limites imposées aux collectivités territoriales au nom d'une interprétation extrêmement stricte des règles de la concurrence". Des propos sévères qui traduisent l'exaspération croissante des élus sur la question de l'aménagement numérique du territoire.
Rappelons que pour obtenir la subvention sur un projet de réseau, les collectivités territoriales devront s'assurer qu'il ne porte pas sur des communes que les opérateurs s'apprêtent à couvrir. Interrogé par Localtis, Hervé Maurey ne cache pas ses inquiétudes : "Le modèle de déploiement retenu par le gouvernement ne peut rassurer les élus locaux, sa réalisation est très hypothétique, l'action des collectivités territoriales y est marginalisée et les projets portés par le secteur privé sont incertains. On demande aux opérateurs de prendre des engagements, sans dire quand et combien ils vont investir, ni s'ils couvriront la totalité de la maille des secteur frappés d'interdiction d'aide publique."

Une expertise juridique nécessaire

Aussi l'expertise juridique demandée par le Sénat à l'Autorité de la concurrence vise à identifier dans le droit français et dans le droit communautaire, des dispositions qui interdiraient aux collectivités "d'intervenir partiellement sur une zone rentable". Sans un assouplissement des règles d'intervention, les collectivités territoriales ne pourront envisager dans ces zones "rentables" une péréquation des coûts au titre de la couverture des zones non rentables, ni être éligibles aux subventions prévues dans le cadre du plan. Dans la lettre de saisine, la commission de l'économie rappelle opportunément les prises de positions de l'Autorité estimant une telle intervention certes " difficile à justifier au regard du régime des aides d'Etat", mais aussi "qu'il ne fallait pas totalement l'exclure. Elle évoque également la position communautaire qui ne "s'oppose pas fondamentalement" à ce type d'intervention "dès lors qu'elle obéit à un objectif d'intérêt commun et qu'elle ne fausse pas la concurrence" (voir encadré ci-dessous).
Il est demandé à l'Autorité de rendre un avis sur les modalités d'intervention et de subvention aujourd'hui compatibles avec le droit français et communautaire ainsi que sur les adaptations juridiques qui permettraient aux collectivités publiques de mieux assurer les objectifs de couverture numérique du territoire. A l'issue de la remise de son avis la commission de l'économie auditionnera Bruno Lasserre, le président de l'Autorité de la concurrence pour débattre de ses conclusions.

Philippe Parmantier / EVS

La France trop zélée ?

Le cantonnement de l'intervention des collectivités dans les territoires les moins densément peuplés garantirait à l'Etat français d'être en conformité avec les règles de concurrence européenne, qui tolèrent les financements publics dans la mesure où ils répondent à une obligation de service public. Les zones enclavées, beaucoup moins attrayantes pour les entreprises privées en quête de rentabilité, justifient sans difficulté le concours des instances publiques. Mais quid des "zones grises", de densité moyenne, où les opérateurs privés ne comptent pas investir avant plusieurs années ?
Sur ce point, la France se montrerait particulièrement zélée à l'égard de la Commission européenne, quitte à devancer les souhaits de celle-ci. La conception de "zone grise" retenue par Bruxelles s'avère en effet plus ouverte aux subventions publiques.
La Commission, de son côté, se fonde sur un examen au cas par cas en fonction des projets de déploiement des opérateurs privés sur trois ans. En revanche, le plan français pour le très haut débit "soustrait [les zones grises] à tout subventionnement des collectivités" et le périmètre de ces territoires est délimité en fonction des investissements que les entreprises privées seraient prêtes à consentir dans les cinq ans.
L'avis de l'Autorité de la concurrence, attendu pour la fin de l'année, "permettra de disposer d'une analyse indépendante de la réalité des contraintes juridiques nationales et européennes", indique le communiqué du Sénat.
En septembre 2009, la Commission européenne avait donné son aval à un projet financé dans les Hauts-de-Seine consacré au raccordement à la fibre optique de 830.000 logements. Dans un département pas franchement victime de désertification, la participation publique atteignait presque 60 millions d'euros. Environ un tiers des logements concernés se situait "en poches de basse densité", précise le rapport sénatorial.

Marie Herbet / Euractiv.fr