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Economie / Finances - Transparence et lutte contre la corruption : que trouve-t-on sous la loi Sapin 2 ?

Arsenal anticorruption, lanceurs d'alerte, répertoire public des groupes de pression, modernisation du droit domanial, codification de la commande publique... : la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite "Sapin 2", comporte tout un traîneau de mesures intéressant les collectivités locales. Le Conseil constitutionnel a donné son feu vert à l'essentiel des mesures emblématiques de ce texte qui figure parmi les dernières grandes lois du quinquennat de François Hollande.

Article initialement publié le 14 décembre 2016

La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite "Sapin 2", a été publiée au Journal officiel ce 10 décembre. Le texte avait été adopté par le Parlement, en lecture définitive, le 8 novembre dernier, avant sa validation par le Conseil constitutionnel le 8 décembre. Les débats ont été particulièrement nourris pour l'un des derniers grands rendez-vous de la législature, notamment sur la définition et la protection des lanceurs d'alerte ou encore l'instauration d'un répertoire unique des représentants d'intérêts auprès des pouvoirs publics. Localtis revient sur l'ensemble des mesures de la loi intéressant les collectivités locales.

Création de l'Agence française anticorruption
La lutte contre les manquements à la probité (titre I) repose notamment sur la création d'une agence dédiée, baptisée "Agence française anticorruption" (articles 1er à 5), sous l'autorité conjointe des ministres de la Justice et des Finances. Dirigé par un magistrat judiciaire hors hiérarchie, ce service ne constitue pas une autorité administrative indépendante. L'Agence bénéficie toutefois de certaines garanties d'indépendance, en particulier l'interdiction de recevoir ou de solliciter des instructions. Un fonctionnement véritablement indépendant suppose aussi un budget propre. Entre 10 et 15 millions d'euros/an doivent être alloués à la nouvelle Agence et ses effectifs compteront 70 personnes environ.
L'Agence dispose de prérogatives plus étendues que l'actuel Service central de prévention de la corruption (SCPC) qu'elle a vocation à remplacer. Outre un rôle de coordination administrative, l'Agence pourra en particulier élaborer des recommandations pour aider acteurs publics et privés à mettre en place des dispositifs efficients de prévention et de détection de la corruption. Elle pourra également contrôler les procédures internes mises en œuvre par les administrations de l'Etat, les collectivités locales ainsi que les associations et fondations reconnues d'utilité publique en vue de prévenir la corruption, de son propre chef ou à la demande du Premier ministre, d'un ministre, d'un préfet ou de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). S'y s'ajoute un pouvoir de sanction exercé par une commission spécifique.
Mais force est de constater que l'obligation de prendre des mesures de prévention et de détection de la corruption ainsi que le pouvoir corrélatif de sanction ne sont prévus que pour les dirigeants des grandes entreprises (d'au moins 500 salariés et 100 millions d'euros de chiffre d'affaires) et des établissements publics industriels et commerciaux (EPIC) répondant aux mêmes critères (article 17). Prononcée pour une durée maximale de cinq ans et exécutée sous le contrôle de l'Agence, une peine de mise en conformité pourra compléter l'amende prévue à titre principal pour sanctionner les entreprises condamnées pour corruption (article 18).
Le texte (article 22) introduit également un dispositif transactionnel novateur, la convention judiciaire d'intérêt public, qui pourra être proposée par le procureur de la République avant l'engagement des poursuites, ou par le juge d'instruction, à une entreprise mise en cause pour atteinte à la probité ou blanchiment de fraude fiscale.

Statut des "lanceurs d'alerte"
La loi pose les bases d'un statut protecteur des lanceurs d'alerte (articles 6 à 16). La définition qui en est donnée à l'article 6 doit permettre de couvrir les situations du type de celles d'Antoine Deltour (à l'origine du scandale LuxLeaks sur les pratiques d'optimisation fiscale des multinationales au Luxembourg). Le texte exclut toutefois du régime juridique de la protection des lanceurs d'alerte les faits, informations ou documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client.
L'article 7 leur confère une irresponsabilité pénale pour la divulgation de certains secrets protégés par la loi. L'article 8 organise la procédure de signalement de l'alerte en trois phases successives : auprès de l'employeur, puis auprès d'une autorité administrative ou judiciaire et, enfin, en l'absence de traitement, auprès du public. Le texte impose aux entreprises (d'au moins cinquante salariés) et aux collectivités territoriales (communes de plus de 10.000 habitants et leurs EPCI, départements et régions) l'obligation d'établir des procédures appropriées de recueil des alertes émises par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels. Les conditions en seront précisées par décret. La loi organique qui accompagne ce texte attribue au Défenseur des droits la compétence d'orienter les lanceurs d'alerte vers les autorités appropriées. Le Conseil constitutionnel a cependant censuré les dispositions lui attribuant celle de leur apporter lui-même une aide financière.
L'article 9 met également en place des dispositifs de recueil garantissant l'anonymat du lanceur d'alerte. L'article 10 interdit toute sanction ou discrimination prononcée à l'encontre d'un fonctionnaire lanceur d'alerte. Le "canal de révélation" est ainsi prévu de manière à protéger le lanceur d'alerte contre les risques de représailles, tout en protégeant les tiers de signalement erroné ou mensonger pouvant leur nuire.
L'article 11 prévoit un mécanisme d'injonction permettant au juge administratif d'ordonner la réintégration d'un agent public qui aurait fait l'objet d'une mesure de représailles au motif qu'il a lancé une alerte éthique. L'article 13 crée, en outre, un délit d'entrave au signalement, puni d'un an d'emprisonnement et 15.000 euros d'amende (30.000 euros en cas de plainte abusive pour diffamation).

Répertoire public des représentants d'intérêts
Très attendu et vivement débattu dans l'hémicycle, le titre II consacre la création d'un répertoire unique des représentants d'intérêts (article 25), permettant de faire la lumière sur le lobbying auprès des décideurs publics, sous le contrôle de la HATVP. Un tel répertoire n'existait à ce jour qu'auprès de l'Assemblée nationale, du Sénat, du Parlement européen et de la Commission européenne. Les représentants d'intérêts devront donc s'y enregistrer s'ils veulent s'adresser aux membres du gouvernement, dont le Premier ministre, leurs collaborateurs, les parlementaires, les collaborateurs du président de la République, certains élus locaux - répondant à certains seuils démographiques ou financiers définis par la loi n°2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique - et les hauts fonctionnaires de l'Etat et des collectivités territoriales.
C'est également une définition large des lobbies qui a été retenue visant les personnes morales "dont un dirigeant, un employé ou un membre a pour activité principale ou régulière d'influer sur la décision publique, notamment sur le contenu d'une loi ou d'un acte réglementaire (...)". Les élus sont exclus par principe de la qualification de représentant d'intérêts. Des exemptions sont également prévues pour les partis politiques, les syndicats, les associations cultuelles et finalement, face à la levée de boucliers, pour les associations d'élus "dans l'exercice des missions prévues dans leurs statut".

Rôle de la HATVP
La Haute Autorité est chargée d'une mission de surveillance, pouvant aller jusqu'à la mise en demeure des représentants d'intérêts lorsqu'elle constate des manquements. Le texte énumère les obligations déclaratives auxquelles sont soumis les représentants d'intérêts. La non-communication de ces informations à la HATVP pourra être punie d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende. La loi définit en outre les obligations déontologiques incombant aux lobbies dans leurs relations avec les autorités gouvernementales et administratives et avec les collectivités territoriales. Ces obligations ont vocation à être précisées au sein d'un code de déontologie défini par décret, après un avis de la HATVP. En cas de manquement à ces règles, la Haute Autorité adresse une mise en demeure : si, dans les trois années suivantes, le représentant d'intérêts ne respecte toujours pas ces obligations déontologiques, il pourra être puni d'un an d'emprisonnement et de 15.000 euros d'amende.
L'article 27 étend le champ du contrôle de la HATVP à l'exercice par certains agents publics d'une activité libérale ou d'une activité rémunérée au sein de toute entreprise ou de tout établissement public ou groupement d'intérêt public dont l'activité a un caractère industriel et commercial. En revanche, l'article 28 a été censuré, le Conseil estimant que ces dispositions affirment concurremment la compétence de la Haute Autorité et de la commission de déontologie de la fonction publique pour le contrôle du départ de certains agents publics vers le privé -"pantouflage" (directeurs d'administration centrale, préfets, ambassadeurs, membres des cabinets ministériels et collaborateurs du Président de la République) qui relèvent aujourd'hui de cette dernière. L'article 31 prévoit la publicité des avis de la commission de déontologie sur la compatibilité de l'exercice d'une activité professionnelle privée par un ancien fonctionnaire. L'article 32 permet aux agents de la HATVP de consulter directement les fichiers de l'administration fiscale.

Modernisation de la domanialité et de la commande publique
Le titre III ouvre la voie à une modernisation du droit domanial (article 34). Cette réforme poursuit deux objectifs : simplifier les dispositifs régissant l'occupation du domaine public ; réorganiser les modalités de transfert de propriété par les personnes publiques. A ce titre, il pourrait s'agir notamment d'introduire des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable pour ces opérations immobilières. Le texte envisage également d'ouvrir la possibilité de prendre des mesures, y compris de manière rétroactive, tendant à la régularisation des actes de transfert de propriété des personnes publiques. L'ordonnance - prévue dans un délai de douze mois-  devra tenir compte de la spécificité des collectivités territoriales et de leurs groupements.
L'article 35 étend aux collectivités territoriales, leurs groupements et leurs établissements publics la procédure de déclassement anticipé d'un bien public prévue à l'article L. 2141-2 du Code général de la propriété des personnes publiques et actuellement réservée à l'Etat. Des garanties spécifiques l'entourent : une délibération motivée de l'assemblée délibérante et une étude d'impact pluriannuelle ; sous peine de nullité, l'acte de vente comporte une clause organisant les modalités d'une éventuelle résolution de la vente ; des provisions devront être prévues dans les budgets locaux en prévision d'une telle annulation.  
Le texte sert par ailleurs de support législatif pour autoriser le gouvernement - dans un délai de 24 mois - à élaborer par ordonnance un code de la commande publique (article 38). Principalement rédigé à droit constant, ce code regrouperait essentiellement deux ordonnances (n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics et n°2016-65 du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession) dont les articles 39 et 40 proposent la ratification. Les modifications au droit en vigueur seront limitées aux mesures nécessaires au respect de la hiérarchie des normes et à l'adaptation de règles outre-mer.
Le texte introduit cependant certaines modifications envisagées par le projet de loi de ratification de l'ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 jamais inscrit à l'ordre du jour. Il supprime ainsi le dispositif des offres variables selon le nombre de lots susceptibles d'être obtenus prévu à l'article 32 de l'ordonnance n° 2015-899. Il renforce les obligations de motivation applicables aux acheteurs qui décident de ne pas allotir un marché public. Le texte supprime une complexité introduite par la réforme de 2016 du droit des marchés publics, relative à la preuve à apporter que l'attributaire d'un marché public n'a pas fait l'objet d'une condamnation pénale constitutive d'une interdiction de soumissionner en application de l'article 45 de l'ordonnance. A l'article 52 de l'ordonnance, la loi encadre le recours à un critère unique pour l'attribution des marchés publics. Les modifications de l'article 69 de l'ordonnance concernent l'identification des équipes de maîtrise d'œuvre intervenant dans les marchés de partenariat.
Le texte introduit l'obligation pour l'acheteur de détecter les offres anormalement basses de manière à les écarter (art. 53 de l'ordonnance). Le texte exempte également les offices publics de l'habitat de l'obligation de verser des avances, acomptes, règlements partiels définitifs ou de solde dans le cadre d'un marché public, les rapprochant ainsi du régime des autres organismes HLM (art. 59 de l'ordonnance). Il prévoit en outre des règles spécifiques aux offices publics de l'habitat pour l'institution des commissions d'appel d'offres (art. L. 1414-2 du Code général des collectivités territoriales). La loi précise enfin la rédaction de l'article 89 de l'ordonnance sur les conséquences de l'annulation d'un marché de partenariat, en s'inspirant de l'ordonnance relative aux contrats de concession. 

Et encore...
Au titre IV (Renforcement de la régulation financière), l'article 54 ouvre aux conseils régionaux, lorsqu'ils attribuent des aides publiques aux entreprises, l'accès à la base de données des fichiers bancaires des entreprises (FIBEN), tenue par la Banque de France, qui évalue le risque-crédit des entreprises.
Au titre VI (De l'amélioration de la situation financière des entreprises agricoles et du financement des entreprises), l'article 99 renforce le caractère exceptionnel des ventes au déballage en limitant la possibilité pour chaque commerçant de pratiquer ce type de vente à deux mois par année civile dans chaque arrondissement.
En revanche, le volet consacré au foncier agricole (article 87 à 91) réformant les modalités d'intervention des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) a quant à lui fait les frais de la chasse aux "cavaliers législatifs" opérée par le Conseil constitutionnel. La présence de nombreux "cavaliers législatifs" a conduit à amputer le texte de près d'une trentaine d'articles.
Tous les décrets d'application seront pris dans des délais brefs, "avant la fin de la mandature", assure le ministre des Finances, Michel Sapin.

 

 

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