Transfert des compétences eau : le Sénat adopte sa proposition de loi, avec le soutien du gouvernement
L’engagement de Michel Barnier de supprimer l'obligation de transfert des compétences eau et assainissement aux intercommunalités, qui devait intervenir au 1er janvier 2026, a trouvé sa concrétisation dans une proposition de loi votée au Sénat ce 17 octobre. Le texte entend concilier la pérennité des transferts déjà opérés, lesquels ont nécessité des travaux préparatoires considérables, et la liberté pour les communes qui n'ont pas procédé au transfert à ce jour. Il maintient également la possibilité de délégation à des syndicats supracommunaux pour les communes encore compétentes.
La proposition de loi (PPL) visant à assouplir la gestion des compétences "eau" et "assainissement" - examinée en procédure accélérée -, a été adoptée en séance au Sénat ce 17 octobre, par 282 voix pour, 5 abstentions et 44 voix contre dans les rangs du groupe SER (Socialiste, Écologiste et Républicain) qui s’est très majoritairement opposé au texte, soucieux de ne pas détricoter un dispositif qui fonctionne dans la majorité des territoires.
La ministre chargée de la Ruralité, du Commerce et de l’Artisanat, et les sénateurs engagés sur cette question, parmi lesquels le centriste Jean-Michel Arnaud (Hautes-Alpes/UC) à l’origine du texte, n'ont pas caché leur satisfaction de voir aboutir un dossier défendu de longue date par la "chambre des territoires". "Comme aurait pu le dire Michel Blanc, nous avons conclu ce soir", s’est réjouie avec une pointe d’humour Françoise Gatel, saluant "une oeuvre collective". "Parlera-t-on du 17 octobre des libertés, comme on parle du 4 août des privilèges ? Je l'ignore. Mais en partant des réalités, les choses fonctionneront mieux, chacun sera à sa place", a t-elle relevé.
Ce travail est "la fin d'un long chemin parlementaire", jalonné depuis dix ans de nombreux textes transpartisans, parmi lesquels entre autres, les propositions de loi de Mathieu Darnaud (LR) en 2017 et plus récemment de Jean-Yves Roux (RDSE) en 2023, demandant la suppression de l'obligation de transfert des compétences eau et assainissement aux intercommunalités, a également souligné Jean-Michel Arnaud. Le rapporteur pour la commission des Lois, Alain Marc (Aveyron/Les Indépendants), a fait du "cousu main" proposant une réécriture globale de l’article 1er de la PPL pour épouser les annonces de Michel Barnier le 9 octobre, lors de la séance des questions au gouvernement (voir notre article du 10 octobre 2024) : les communes n'ayant pas transféré les compétences eau et assainissement n'auront plus l'obligation de le faire au 1er janvier 2026. Les transferts déjà effectués ne seront pas remis en cause.
Pas de réversibilité
Une ligne rouge posée par le Premier ministre, que Catherine Vautrin, ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, a appuyé lors de la 34e convention des Intercommunalités de France. "Le 9 octobre, le Premier ministre a répondu à une attente du Sénat. Il visait particulièrement les élus de montagne et le sujet de l'eau en montagne, avec a priori certains élus ruraux, qui dans leurs comptes ont un peu de revenus liés à la distribution de l'eau. Ce qui est clair, c'est qu'il y a une opposition absolue à la notion de rétroactivité. Je dis bien opposition absolue", a expliqué la ministre.
"Si tel (n') était (pas) le cas je demanderais bien évidemment à tous nos adhérents d’adresser l’ensemble des factures afférentes à la préparation de ce transfert à qui de droit", a averti le président d'Intercommunalités de France, lors de la plénière d’ouverture du congrès. "Il y avait sans doute d’autres manières de faire. Si nous ne sommes pas des ayatollahs du transfert à l'intercommunalité. Il y avait moyen de garder cette date de 2026 pour ne pas casser l'élan de tous ceux qui sont engagés dans cette préparation, pour trouver les quelques exceptions nécessaires pour les 8% d'élus totalement opposés aux transferts en 2026", a t-il regretté. Très remontée l’association d’élus fait bloc pour faire échouer à l’Assemblée ce texte "en porte-à-faux avec une opinion publique largement convaincue de la légitimité des intercommunalités à gérer ces dossiers". Plus de six Français sur dix estiment que l’intercommunalité est la plus adaptée pour la gestion de l’eau potable (61%) et de l’assainissement (65 %), selon un sondage Ifop dévoilé le même jour par Intercommunalités de France (lire notre article).
Ce que dit le texte adopté
L’amendement "rétroactivité" a été retiré en séance. A travers quatre amendements identiques -soutenus par Cécile Cukierman (CRCE), Bernard Buis (RDPI), Maryse Carrère (RDSE) et le rapporteur Alain Marc-, l’article 1er acte en revanche la suppression de l'obligation de transfert des compétences des communes vers les communautés de communes, qui devait intervenir au 1er janvier 2026. Le dispositif adopté s’écarte donc de la PPL initiale à deux égards. Il permet tout d’abord à toutes les communes membres d’une communauté de communes qui n’ont pas encore transféré les compétences à l’intercommunalité d’en conserver l’exercice. Ces communes pourront ainsi librement confier, en tout ou partie, les compétences "eau" et "assainissement" à un syndicat ou à leur communauté de communes (transfert facultatif), ou continuer à les exercer seules. Pour rappel, la rédaction initiale visait à rétablir le caractère facultatif du transfert pour les seules communes membres d’une communauté d’agglomération ou d’une communauté de communes située en zone de montagne.
En outre, le texte adopté ne permet pas de "retour en arrière" pour les transferts de compétences déjà effectués. Concrètement, les communes qui n’ont pas fait usage de la "minorité de blocage" permettant de reporter le transfert des compétences au 1er janvier 2026 ne pourront pas obtenir la restitution des compétences. La rédaction se veut précise. Les communes qui, alors qu’elles ont fait le choix de repousser le transfert, ont engagé ou ont été associées à des études visant à préparer ce transfert, ne seraient pas considérées comme ayant transféré ces compétences à leur communauté de communes, et donc conserveraient leur liberté. Notons que les articles 2 et 3 de la PPL initiale - qui prévoyaient divers assouplissements - ont par ailleurs été supprimés en cohérence avec le dispositif global proposé à l’article 1er.
Le gouvernement a aussi soutenu l'amendement du rapporteur - portant article additionnel- instituant une réunion annuelle de la commission départementale de coopération intercommunale (CDCI) consacrée à l’organisation des compétences sur l'eau. Elle pourrait y formuler des propositions visant à renforcer la mutualisation de l’exercice de ces compétences à l’échelle du département.
Enfin, l’article 4 soulève la question du mandat de maîtrise d'ouvrage confié aux départements pour les projets de production, de transport et de stockage de l'eau. Le gouvernement y est favorable et là encore a soutenu la rédaction amendée par le rapporteur et le sénateur Franck Menonville (UC) pour la simplifier. Le texte supprime ainsi la condition selon laquelle l’EPCI ou le syndicat mixte devrait être expressément autorisé par ses statuts à confier au département un tel mandat de maîtrise d’ouvrage.