Finances / RH - Temps de travail, effectifs, avancements... la Cour des comptes veut serrer la vis
L'embellie que, globalement, les finances des collectivités territoriales ont connu l'an dernier pourrait s'estomper dès cette année, estime la Cour des comptes dans le rapport annuel sur les finances publiques locales que le premier président, Didier Migaud, a dévoilé ce 11 octobre.
En 2015, les collectivités territoriales ont bénéficié d'un regain de recettes fiscales, sans recourir fortement au levier fiscal. Ces nouvelles ressources ont plus que compensé la réduction des dotations de l'Etat aux collectivités territoriales. Le relâchement de l'effort d'investissement et la bonne maîtrise des dépenses de fonctionnement ont aussi contribué à donner des marges de manœuvre budgétaires aux collectivités territoriales. Le bloc communal a même vu sa capacité d'autofinancement se redresser.
La stratégie de baisse des concours financiers de l'Etat "a paru" l'an dernier "faire la preuve de son efficacité", en conclut la Cour, qui s'inquiète toutefois pour 2016. En effet, cette année, la progression des recettes fiscales locales devrait faiblir. Dans le même temps, les dépenses d'investissement devraient se stabiliser, ne permettant donc plus de dégager des marges de manœuvre. Seule issue possible pour les collectivités : la poursuite des efforts déjà engagés de maîtrise des dépenses de fonctionnement et particulièrement de la masse salariale. La Rue Cambon estime que de substantielles économies sont à la clé.
Temps de travail : mettre fin aux dérogations
Selon elle, les collectivités doivent notamment mieux "freiner la croissance des effectifs", en ayant davantage recours à une gestion prévisionnelle de ces derniers et en ne remplaçant pas tous les départs en retraite. L'augmentation du nombre de ces départs dans la fonction publique territoriale, au cours des prochaines années, tombe d'ailleurs à pic. Les juges évaluent que "le non-remplacement des départs, modulé en fonction de la taille des collectivités, allant jusqu'à 50% dans les plus grandes, est susceptible de réduire la masse salariale des collectivités territoriales et de leurs groupements d'environ 350 millions d'euros par an".
La durée du temps de travail est un autre levier très important. Dans un échantillon de 103 collectivités contrôlées par la Cour, elle s'élève en moyenne à 1.562 heures, alors que la durée légale est de 1.607 heures. Certes, un certain nombre de collectivités ont récemment décidé d'appliquer la durée légale. Mais la Cour ne juge pas cela suffisant. Elle voudrait voir se généraliser ces décisions, quitte à les rendre obligatoires. Elle prône donc "la suppression des jours de congés non réglementaires" et l'abrogation de la disposition législative autorisant les collectivités territoriales à conserver un temps de travail inférieur à la durée réglementaire. Pour dissuader les collectivités les plus récalcitrantes, un "mécanisme de modulation des concours financiers aux collectivités locales" qui ne respectent pas la durée légale serait mis en place. Une économie de 1,2 milliard d'euros au minimum pourrait résulter du respect par toutes les collectivités de la norme en matière de temps de travail, selon la Cour. Celle-ci avance ces pistes au moment où le ministère de la Fonction publique discute avec les représentants des employeurs et des agents de la fonction publique d'ajustements concernant le temps de travail, à la suite du rapport remis par Philippe Laurent, président du Conseil supérieur de la fonction publique territoriale (CSFPT).
Mieux prévoir les effets des avancements
Dans le domaine de la gestion des ressources humaines, la Cour conseille encore aux collectivités de mieux prendre en compte l'impact des mesures d'avancement et de promotion des agents. Sur le plan national cette fois, elle estime que le suivi de l'emploi territorial, aujourd'hui relevant d'institutions multiples, n'est pas satisfaisant. Les juges appellent donc à la désignation d'une "instance unique" chargée de "centraliser" et "analyser" les informations sur la gestion de la fonction publique territoriale.
Au contraire de la gestion des ressources humaines, la fiscalité locale fournit "des marges de manœuvre limitées". "Il importe" qu'elle permette aux collectivités locales, "à prélèvements constants, de répondre de manière plus efficace aux besoins de pilotage de leur équilibre budgétaire", souligne la Cour. Pointant "l'obsolescence" des valeurs locatives utilisées pour le calcul des impôts locaux, elle appelle à une révision, "sans nouveaux délais", de la révision engagée en 2010.
Faire la transparence sur les exonérations de fiscalité locale
La Cour critique par ailleurs, "la relative opacité qui entoure la compensation de plus en plus partielle des exonérations fiscales". Elle préconise donc plus de transparence et appelle à s'interroger sur le maintien de ces exonérations au regard de la mesure de leur efficacité et de leur coût pour l'Etat et les collectivités locales. Autre difficulté soulevée par la Cour en matière fiscale : l'imprévisibilité des recettes de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une manne de 17 milliards d'euros que se partagent toutes les catégories de collectivités et les groupements intercommunaux. Solution préconisée par la Cour : mieux analyser les variations constatées et en rendre compte dans un rapport.
Une meilleure maîtrise des dépenses locales pourrait aussi passer par un renforcement de la concertation entre les collectivités locales et l'Etat et un meilleur partage entre eux des informations financières, souligne la Rue Cambon. A cet égard, l'instauration d'une loi de financement des collectivités territoriales serait un progrès, puisqu'elle permettrait de renforcer "la responsabilisation des acteurs locaux" et de clarifier leurs relations financières avec l'Etat. On sait que la Cour a déjà été entendue, puisque le chef de l'Etat a souhaité que cette solution soit mise en place pour 2018. Dans cette perspective, la Cour appelle à une loi qui ne soit pas "prescriptive", c'est-à-dire qui respecte le principe de libre administration des collectivités. Elle précise que le chantier exigera une révision constitutionnelle.
Les élus restent "vigilants"
Le rapport apporte "un éclairage objectif de la situation", a réagi dans un communiqué, Philippe Laurent, en sa qualité de secrétaire général et président de la commission des Finances de l'Association des maires de France (AMF). Il a ajouté que l'association "partage l'essentiel des constats et recommandations" formulés par les magistrats. L'Association des petites villes de France (APVF) a reconnu de son côté que les collectivités devaient poursuivre leurs efforts de maîtrise des dépenses de fonctionnement, mais elle a appelé à "la vigilance sur le bon fonctionnement des services de proximité et sur la préservation du maillage associatif".
Enfin, France urbaine et Ville & banlieue se sont réjouies que le rapport mette "opportunément l'accent sur la nécessité d'une plus grande transparence en matière de compensation des exonérations d'impôts locaux". Les deux associations d'élus souhaitent que le projet de loi de finances pour 2017 procède à une refonte des exonérations de taxe foncière en faveur des bailleurs sociaux. Actuellement, ces exonérations pèsent "essentiellement sur les budgets des villes les plus pauvres", soulignent-elles.