Télécoms : l'Europe veut accélérer la transition vers la société du gigabit
Toilettage de la règlementation, encadrement du décommissionnement du cuivre, consultation sur les technologies de rupture, taxation des Gafam… La Commission européenne a présenté le 23 février 2023 trois initiatives pour accélérer l'émergence de la société du gigabit, l'un des objectifs de l'exécutif européen pour 2030.
L'objectif est ambitieux : faire de l'Europe le continent le plus connecté d'ici 2030 à l'échelle mondiale. L'Europe souhaite en effet accélérer le déploiement des réseaux télécom de dernière génération susceptibles d’offrir a minima un gigabit pour tous d’ici à 2030. Pour atteindre cet objectif inscrit dans sa stratégie numérique pour la décennie, la Commission européenne a présenté le 23 février 2023 trois initiatives.
Règlement d'application immédiate
La première concerne la levée des obstacles au déploiement des réseaux avec une mise à jour de la directive en vigueur, qui date de 2014, "Gigabit Infrastructure Act". Il s’agit notamment de "réduire les obstacles bureaucratiques" en "simplifiant et numérisant les procédures d'octroi d'autorisations" nécessaires au déploiement de réseaux. Elle souhaite aussi renforcer "la coordination des travaux de génie civil entre les opérateurs de réseau dans le cadre du déploiement des infrastructures physiques sous-jacentes, telles que les gaines et les pylônes". Elle souhaite enfin que "tous les bâtiments neufs ou faisant l'objet d'une rénovation de grande ampleur soient équipés de fibre optique". Ce règlement devrait cependant avoir peu d’incidence en France, pays qui fait figure de modèle pour son cadre de déploiement de la fibre optique. L'Europe souhaite dans tous les cas aller vite, la Commission privilégiant un règlement d'application immédiate. Le projet de texte doit cependant au préalable passer par le Conseil européen et le Parlement européen.
Encadrement de la transition du cuivre vers la fibre
Le second volet intéressera davantage la France qui entre dans le dur du chantier décommissionnement du réseau cuivre d'Orange (notre article du 29 novembre 2022). La Commission a établi une recommandation visant à définir "les conditions d'accès aux réseaux de télécommunications des opérateurs puissants sur le marché". En clair, l’Europe veut permettre aux opérateurs et aménageurs d’accéder aux infrastructures existantes - gaines, points d’appui et autres fourreaux – aujourd’hui propriétés des opérateurs historiques. Elle souhaite aussi la définition d’un cadre réglementaire, dont un modèle de calcul de coût servant de base à la tarification des anciens réseaux, pour accélérer la transition vers la fibre. Ce projet de recommandation a été transmis à l'Orece, l’instance de coordination des régulateurs européens des télécoms, qui dispose de deux mois pour donner un avis.
Prudence sur la taxation des Gafam
La troisième initiative est une consultation sur "l'avenir du secteur des télécommunications". Ce vaste sujet embrasse les infrastructures, l’identification des "technologies transformatrices" (Metavers, Web 4, IOT, Blockchain… ) sur lesquelles l’Europe doit maintenir une longueur d’avance, le modèle économique du déploiement des réseaux tout comme l’évolution de la réglementation. La Commission ouvre notamment la voie, pour le moment sous la forme d’un questionnement, à une "contribution équitable" des acteurs de l’internet au déploiement des réseaux. Une contribution des Gafam et autres Netflix, Disney ou TikTok attendue de pied ferme par les opérateurs, comme ils l’ont rappelé haut et fort ces derniers jours au Mobile World Congress de Barcelone qui se tient depuis le 27 février jusqu'au au 2 mars. Dans une étude datée de décembre 2022, la fédération française des télécoms déplorait en effet un "partage de la valeur de l’écosystème numérique de moins en moins favorable aux opérateurs" et "ne reflétant pas la réalité de leurs investissements massifs". Si les opérateurs ont investi 15 milliards d’euros dans les réseaux, ils s’estiment beaucoup moins taxés que les Gafam et plateformes vidéo qui captent pourtant 55% du trafic. La mise en œuvre de cette taxation – qui figurait aussi dans les propositions de l'Avicca, des Interconnectés ou de Ville- internet lors des dernières élections présidentielles – se heurte cependant au principe de neutralité du Net. Celui-ci induit de ne pas créer de barrière à l’usage des réseaux. Du reste, la Commission se montre, très prudente en évoquant "une question complexe qui nécessite une analyse exhaustive des données factuelles et quantitatives sous-jacentes avant de décider s'il est nécessaire d'entreprendre d'autres actions".
La galaxie satellitaire Iris2 en bonne voieLes enjeux de souveraineté sont sous-jacents à la consultation de l'Europe. Sur ce dossier, la Commission a d’ores et déjà lancé un important chantier avec une galaxie satellitaire souveraine qui avance à grands pas. Pour mémoire, il s'agit de plusieurs centaines de petits satellites en orbite basse susceptibles de prendre le relais des infrastructures terrestres en cas de catastrophe naturelle, de conflit armé ou cyberattaque. Annoncée au lendemain du déclenchement du conflit ukrainien, elle a débouché sur le projet Iris2 acronyme d'"infrastructure de résilience et d’interconnexion sécurisée par satellite". Iris2 fournira un service de communications cryptées pour tous les gouvernements et services de sécurité du continent sur l’ensemble du territoire européen, y compris les régions ultra-périphériques. Suite à l’accord du Conseil européen en novembre 2022, le Parlement européen a approuvé le 14 février à une large majorité un financement de 3 milliards d’euros. Cela représente la moitié des financements nécessaires au projet, son équilibre reposant sur des recettes commerciales complémentaires. L'appel d’offres doit être lancé en 2023, les premiers satellites étant attendus pour 2024. |