Nouvelles règles, nouvelles taxes, les projets de la Commission européenne pour réguler les Gafam
La Commission européenne vient d’annoncer vouloir taxer les Gafam pour financer les réseaux télécoms. Une initiative qui vient s’ajouter aux Digital Services Act (DSA) et au Digital Markets Act (DMA). Deux textes qui entendent réguler les plateformes et imposer l’ouverture de leur écosystème pour renforcer la souveraineté numérique européenne.
L’idée de faire payer les Gafam et autres géants du net pour aider à financer les réseaux fixe et mobile fait partie des poncifs des colloques consacrés au financement de l’aménagement numérique. Les opérateurs d’infrastructures viennent cependant de trouver un allié de poids pour les soutenir dans cette idée en la personne de la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager. "Nous voyons que certains acteurs génèrent beaucoup de trafic permettant à leur activité d'exister, mais ne contribuent en réalité pas à faire en sorte que ce trafic puisse fonctionner. La question d'une juste contribution aux réseaux doit être considérée avec une grande attention", a-t-elle déclaré le 2 mai.
La moitié du trafic internet imputable aux Gafam
Le principe de cette contribution devrait être inscrit dans la déclaration des "droits et principes numériques européens" (résumée ici) dont l’adoption définitive par les instances européennes est prévue pour la fin juin. "Les règles en place depuis vingt ans arrivent à bout de souffle et les opérateurs n'ont aujourd'hui plus le juste retour sur leurs investissements. Il faut réorganiser la juste rémunération des réseaux", a affirmé Thierry Breton, le commissaire au marché intérieur à nos confrères des Echos. Il est vrai qu’en tant qu’ancien PDG d’Orange, le commissaire est particulièrement sensible à cette demande insistante des opérateurs.
Ces derniers estiment, selon une étude publiés le 2 mai par l’Etno, le lobby européen des opérateurs, que 56% du trafic internet est lié à Alphabet (Google, YouTube…), Amazon, Apple, Meta, Microsoft et Netflix. Et d’ajouter qu’une contribution de 20 milliards d’euros de la part des Gafam pourrait générer 72 milliards d’euros de retombées économiques et plus de 840.000 emplois en Europe. Pour l’Etno, la contribution des Gafam aiderait à l’accélération de la 5G, de l’internet des objets et à améliorer la qualité de service. Quelle forme pourrait prendre exactement cette contribution ? À qui sera-t-elle versée et sur quels critères ? Dans quelle mesure est-elle compatible avec le principe de neutralité du net ? Pour le moment le projet reste flou et il faut se garder de se réjouir trop vite d’un projet qui compte aussi des détracteurs à Bruxelles. En théorie, on soulignera que cette manne pourrait bénéficier aux territoires gestionnaires de réseaux FTTH et à la recherche de financements pour parachever et maintenir leurs réseaux.
Google et Apple contraints d’ouvrir leur écosystème
Ce projet s’inscrit dans un contexte de resserrement des contraintes pour les Gafam, avec deux textes lancés fin 2020 à l’issue d’un confinement qui avait montré l’urgence de recouvrer une souveraineté numérique européenne. Il s’agit du Digital Services Act (DSA) et du Digital Markets Act (DMA).
Le DMA, un règlement centré sur l’ouverture à la concurrence, s’appliquera aux plateformes "systémiques" comptant plus de 45 millions d’abonnés avec une capitalisation de plus de 75 milliards d’euros, autant dire essentiellement les Gafam. Le texte entend s’attaquer aux fondements de la toute-puissance de ces "contrôleurs d’accès" en leur interdisant de favoriser leurs propres produits ou services, notamment préinstallés. Ils devront aussi laisser à l'utilisateur la liberté de choisir ses logiciels, lui permettre de télécharger des applications sur n’importe quel magasin d’applications ou encore changer de messagerie sans perdre ses données. Le DMA devrait par exemple imposer à Apple d’ouvrir pleinement l’accès aux composants de ses mobiles, des services comme la billettique sans contact (NFC) ayant par exemple du mal à se développer sur iPhone du fait des restrictions imposées par la firme américaine. Le non-respect de ces règles vaudra aux Gafam de lourdes amendes (10% de leur chiffre d'affaires mondial), voire de mesures "structurelles" allant jusqu’à un potentiel démantèlement. Objet d’un accord provisoire le 25 mars dernier entre le parlement et le conseil européen, le DMA devrait entrer en application en octobre 2022.
Lutte contre les contenus illicites et la désinformation
Le Digital Services Act ou DSA fixera des obligations applicables à tous les acteurs d’internet opérant en Europe (cloud, réseaux sociaux, places de marché, fournisseurs d’accès, moteurs de recherche…), mais différenciées en fonction de leur taille. Centrée sur les contenus, cette législation ambitionne de créer "un espace numérique plus sûr dans lequel les droits fondamentaux des utilisateurs sont protégés et à établir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises". Le DSA cherche à limiter la diffusion de contenus illicites (incitations à la haine, harcèlement, pédopornographie, apologie du terrorisme…), à lutter contre la désinformation et la vente en ligne de produits illicites. Il harmonisera et fluidifiera les procédures de retrait de contenus, sans passer par le juge. Chaque plateforme devra coopérer avec des "signaleurs de confiance", organes, associations ou individus labellisés par les États.
Les grandes plateformes auront des obligations spécifiques, comme sur la transparence de leurs algorithmes ou le traçage des vendeurs/loueurs. Elles seront aussi tenues d’évaluer et de prendre des mesures pour atténuer les risques générés par l’utilisation de leurs services. Les quelque 30 plus grands services numériques européens (Airbnb, Facebook, Google, Booking…) seront supervisés directement par la Commission. Le DSA a fait l’objet d’un premier accord entre le Conseil et le Parlement européen le 21 avril. Il doit maintenant être soumis au Comité des représentants permanents pour approbation avant de repasser devant les députés. Son entrée en vigueur s’échelonnera jusqu’à 2024.