Congrès des maires - Le plan Cuivre révélateur des angles morts de la stratégie THD pour tous
Le décommissionnement du réseau cuivre était à l’ordre du jour du congrès de l’AMF et du Trip d’automne de l’Avicca le 22 novembre 2022. La lenteur du passage à la fibre dans les six communes où est expérimenté l’arrêt du cuivre a de quoi inquiéter sur le respect du calendrier annoncé par Orange. Pour les élus, l'explication de cette lenteur ne fait aucun doute : la fin du cuivre a pour préalable la réussite de la fibre pour tous.
Officiellement tout est sous contrôle. "Nous avons notre feuille de route", s’est félicitée Muriel Germa, la responsable du projet Cuivre d'Orange au Congrès des maires 2022 qui se tenait porte de Versailles. L'opérateur propriétaire de l’infrastructure fait valoir "la concertation" et les "ajustements" dont ont fait l’objet le plan de d'Orange. Nicolas Guérin, secrétaire général du groupe, a ajouté devant l’assemblée de l’Avicca que le projet répondait à une "demande ancienne" des élus, face à un opérateur longtemps accusé de jouer la montre sur le déploiement de la fibre. Quant au calendrier, il se déroulera en deux temps. La mécanique doit être rodée jusqu’en 2025, date calée sur l’échéance du plan THD pour tous. Dès lors, l’industrialisation tournera à plein régime jusqu’en 2030, la date butoir fixée par Orange où quelque 42 millions de foyers devront avoir migré. Et si certains ont fait valoir des zones d’ombre sur le plan de l’opérateur historique (voir notre article du 30 août 2022), ils peuvent trouver des réponses dans les cahiers thématiques de l’opérateurs, six des dix promis étant d’ores et déjà finalisés (mais pas encore officiellement publiés). Jean-Noël Barrot, ministre délégué aux télécommunications, a de son côté répondu "favorablement" aux demandes des associations d’élus sur la gouvernance du projet. La création de comités départementaux pour organiser la concertation locale sur le cuivre est actée, une circulaire aux préfets devant très prochainement en détailler l’objet et le fonctionnement.
20% des entreprises veulent rester à l’ADSL
Si, sur le fond, le maintien de deux réseaux télécoms ne fait débat ni à l’AMF ni à l’Avicca, le calendrier se révèle ambitieux au regard des premières expérimentations. Celles menées dans six communes en 2022 révèlent une migration des abonnés au cuivre vers la fibre nettement plus lente que prévue. "Dans les Ardennes [quatre communes mixant des profils ruraux, urbains et pavillonnaires], sur 3.500 locaux, 800 foyers restent encore à basculer. Si l’on suit la courbe de progression, au 31 mars 2023, date à laquelle la migration est censée être achevée, on en aura encore 300", s’inquiète Franck Siegrist de la région Grand Est. Une résistance au changement qui concerne en premier lieu les personnes les plus éloignées du numérique, le technicien faisant un lien direct entre décommissionnement du cuivre et lutte contre l’illectronisme. La question du prix de la fibre (abonnement et raccordement), notamment pour les personnes qui n’utilisaient que le téléphone, interpelle aussi les maires. D’autant plus que le téléphone via le cuivre fonctionne même en cas de panne d’électricité… Mais la résistance à la migration, et c’est autrement plus inquiétant, vient aussi des entreprises. Selon l’Avicca, citant une étude Covage-infranum, "20% des entreprises veulent rester à l’ADSL". Et parmi ces clients professionnels frileux, on compterait aussi des Sdis et gendarmeries qui utilisent des technologies parfois exotiques mais robustes pour leurs missions de sécurité.
Défaut d'orchestration du plan THD
Robustesse, c’est bien là que le bât blesse, l’arrêt du cuivre servant de révélateur à tous les problèmes rencontrés sur le dossier FFTH. Filant la métaphore musicale, Patrick Chaize, sénateur et président de l’Avicca, n’a pas manqué de rappeler la longue liste des "couacs", "fausses notes" et autres "défauts d’orchestration" qui nuisent à "la symphonie inachevée du THD". Et il n’est pas certain que la remise à niveau de quelque 1.000 armoires, officialisée le 22 novembre 2022 par la présidente de l’Arcep, suffise à rassurer, notamment ceux à qui l’on impose de changer de technologie alors qu’ils n’ont rien demandé. Malgré les multiples annonces de la filière, les problèmes de raccordements, malfaçons, défauts de formation des techniciens – tristement mise en évidence récemment par l’électrocution fatale d’un technicien auto-entrepreneur dans le Cantal en octobre – sont autant de freins à un basculement massif vers la fibre. Les maires ajoutent de leur côté que la multiplication des poteaux et autres passages de fibre en façade ne servent pas l’image de la technologie. Et de rappeler que leur priorité aujourd’hui est le maintien d’une qualité de service sur le réseau cuivre "jusqu’au bout".
Allô les pouvoirs publics ?
Nicolas Guérin pointe de son côté "l’absence de réponse des pouvoirs publics" aux questions soulevées par Orange dans son plan Cuivre. Parmi celles-ci, beaucoup sont aussi citées par les élus : mise en place du service universel du haut débit (toujours en stand-by), financement massif des raccordements complexes, obligations de fibrage pour les logements neufs ou les copropriétés. Enfin et surtout, l’opérateur souhaite un ajustement du chiffre de 100% de locaux raccordables avant d’envisager l’arrêt du cuivre sur une commune. Sur ce dernier point, les élus - très hostiles à cette éventualité qui pourrait être un bon prétexte pour justifier le non-respect des engagements FTTH des opérateurs en zone privée - lâchent un peu de lest. Les cabanes de chasse et autres bâtiments occupés ponctuellement pourraient être exemptés de la fibre. Idem pour ceux qui ne veulent pas de la fibre "sous réserve que les modalités du refus soient formalisées", a précisé le représentant de l’Arcep.
"Communiquer, communiquer, communiquer"
L’idée d’une loi fait en tout cas l’unanimité pour affirmer un portage "neutre" du chantier et "communiquer, communiquer, communiquer". À cet égard, Arnaud Lucaussy, secrétaire général de l'opérateur TDF, a fait l’éloge de la démarche initiée en 2007 pour l’arrêt de la télévision analogique et passer à la TNT. Le dispositif comportait une loi de cadrage, un portage par une personnalité neutre (Jean-Michel Hubert) et l’affectation d’un financement conséquent pour communiquer largement, aider à l’équipement des Français et répondre à leurs interrogations. Car aujourd’hui, même si la fédération française de télécoms a pris le relais d’Orange en publiant un kit de communication sur l’arrêt cuivre, "il manque une Marianne", autrement dit un portage par l’État. D’autant plus que les arnaques surfant sur l’arrêt du cuivre commencent à se multiplier. Michel Sauvade, coprésident de la commission numérique de l’AMF, peut en témoigner : il a reçu tout récemment un appel lui expliquant que le cuivre allait être coupé "dans la journée" alors que la commune n’est pas concernée par les expérimentations.
La prochaine étape du dossier sera donc décisive. "Le lot 1", qui attend encore un aval formel de l’Arcep, doit réussir la migration de 162 communes représentant environ 210.000 locaux en 2023. Une expérimentation à très grande échelle qui aura valeur de certificat de passage à l’industrialisation… ou obligera l’opérateur à revoir son calendrier.