Logement - Surcompensation : la Cour des comptes somme l'Ancols d'adapter ses contrôles au droit européen

Dans un référé, la Cour des comptes reproche à l'Agence nationale de contrôle du logement social de ne pas avoir "mis en œuvre sa mission légale de contrôle du respect de la décision de la Commission européenne relative aux aides aux services d'intérêt économique général".

Après la réponse du Premier ministre, la Cour des comptes rend public un référé en date du 3 décembre 2018, portant sur "les lacunes du contrôle de la conformité au droit européen des aides publiques". Le référé vise directement l'Ancols (Agence nationale de contrôle du logement social), créée en 2015 pour remplacer à la fois la Miilos (Mission interministérielle d'inspection du logement social) et l'Anpeec (Agence nationale pour la participation des employeurs à l'effort de construction). Ce référé de la Cour des comptes intervient alors que l'Ancols a déjà connu quelques déboires avec le Conseil d'Etat sur les sanctions infligées aux organismes HLM (voir notre article ci-dessous).

Directive Services : le retour

A l'issue de son contrôle portant sur les exercices 2015 à 2017, la Cour des comptes considère que l'Ancols "a commencé à exercer ses missions dans des conditions satisfaisantes, même si des progrès peuvent encore être effectués". Mais ce "constat globalement positif" connaît une "exception notable" : "l'Ancols n'a toujours pas mis en œuvre sa mission légale de contrôle du respect de la décision n°2012/21/UE de la Commission européenne relative aux aides aux services d'intérêt économique général". Il s'agit en l'occurrence de la décision du 21 décembre 2011 relative à l'application de l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général. La question constitue un nouvel épisode du long feuilleton de la directive "Services" (ou directive Bolkestein), qui a suscité de vives inquiétudes dans le monde du logement social en France. Dans son référé, le premier président de la Cour des comptes appelle donc l'attention du Premier ministre "sur cette lacune sérieuse qui pourrait conduire à des sanctions financières".

SIEG : une dérogation sous conditions

En pratique, la décision 2012/21/UE autorise les aides publiques accordées à des entreprises gérant des services d'intérêt économique général (SIEG), afin de compenser les coûts nets occasionnés par l'exécution d'obligations de service public. Dans ces conditions, ces aides publiques ne constituent pas des aides d'Etat, au sens du droit européen, et n'ont donc pas à être notifiées à la Commission européenne. Mais cette dérogation est assortie de plusieurs conditions : un mandat légal précis donné à l'organisme gérant le service public, des paramètres de calcul de la compensation transparents, un montant de l'aide n'excédant pas les coûts liés aux obligations de service public et, enfin, des coûts calculés en tenant compte du bénéfice raisonnable que rechercherait une "entreprise moyenne", compte tenu du niveau de risque.

Les Etats accordant de telles aides à des SIEG doivent fournir à la Commission toutes les informations nécessaires et procéder à des contrôles au moins tous les trois ans. Le cas échéant, ces contrôles peuvent conduire à demander le remboursement d'une éventuelle surcompensation, autrement dit de la part de l'aide excédant la couverture des coûts imputables aux obligations de service public.

Ministère et Ancols font la sourde oreille

La décision de l'UE est d'application directe, sans aucun texte de transposition. L'article 102 de la loi Alur (pour l'accès au logement et un urbanisme rénové) du 24 mars 2014, définissant les missions de l'Ancols, a néanmoins expressément confié à l'agence la mission de contrôler d'éventuelles surcompensations dans le secteur du logement social. Or, à l'occasion de son contrôle, "la Cour a relevé que, à la fin du premier semestre 2018, l'Ancols n'exerçait pas encore cette mission et que son conseil d'administration n'avait toujours pas adopté la méthodologie de contrôle prescrite".

L'agence a pourtant mené des contrôles expérimentaux durant trois ans et est aujourd'hui parfaitement "en mesure d'identifier les situations dans lesquelles un organisme enregistre un bénéfice excédant de manière nette le bénéfice raisonnable", juge la Cour. Mais, alors que le sujet a été inscrit à l'ordre du jour de six conseils d'administration depuis novembre 2015 (le dernier le 9 juillet 2018), le référé constate que "le conseil d'administration de l'Agence, constamment informé des travaux préparatoires, a jusqu'alors différé sa décision". Un immobilisme "lié à l'intervention du ministère du Logement, soucieux du défaut d'accord des fédérations d'organismes de logement social quant à la méthode proposée". D'où l'admonestation de la Cour des comptes, face au risque de sanctions financières de l'UE.

23 janvier 2019 : la délibération enfin...

Dans sa réponse, le Premier ministre se plie à la demande de la Cour. Tout en rappelant que "depuis plusieurs années, les modalités d'encadrement du secteur du logement social en France sont décrites précisément à la Commission européenne sans que cette dernière n'ait formulé d'observations", Edouard Philippe indique dans son courrier que le conseil d'administration de l'Ancols a adopté, dans sa séance du 23 janvier 2019, une délibération (jointe à la réponse) adoptant une méthode de contrôle conforme aux exigences de la Commission. Cette méthode - qui s'appliquera aux contrôles ouverts à compter du 1er avril 2019 - "a fait l'objet de nombreux échanges entre l'Ancols, les ministères de tutelle et les représentants des bailleurs sociaux". Pour autant, elle "continuera d'être discutée et pourra, le cas échéant, faire l'objet d'adaptations".