Archives

Culture - Spectacle vivant : l'ancrage dans les territoires, atout ou boulet ?

Le ministère de la Culture publie, dans le dernier numéro de sa lettre "Culture études" (octobre 2013), une étude originale intitulée "Quel(s) territoire(s) pour les équipes artistiques de spectacle vivant ?". L'étude, à dominante sociologique, s'appuie sur une hypothèse centrale : "Le rapport au territoire des équipes artistiques est déterminé conjointement par la structuration et le fonctionnement de l'espace culturel régional et par la position, la trajectoire et les stratégies professionnelles des équipes elles-mêmes (et/ou des artistes qui les composent)".
En d'autres termes, il s'agit d'explorer et d'expliciter les liens qui unissent - ou non - une équipe artistique de spectacle vivant et son territoire. Plus prosaïquement, "l'enjeu est ici de comprendre dans quelle mesure et de quelles manières des artistes peuvent trouver, là où ils sont, les ressources nécessaires pour vivre de leur art, de leurs spectacles".

Un monde très hiérarchisé

Pour cela, l'auteur - docteur en sociologie et chercheur associé au laboratoire Sociétés, acteurs et gouvernements en Europe (Sage) de l'université de Strasbourg - a mené ses investigations dans deux régions : l'Alsace et la Lorraine.
Dans un premier temps, l'étude dresse un portrait de l'espace culturel de diffusion du spectacle vivant, qui apparaît comme un lieu à la fois structuré et hiérarchisé. Elle distingue trois réseaux concentriques : un réseau primaire - correspondant à l'industrie du spectacle (grandes salles privées) et aux scènes labellisées -, un réseau secondaire regroupant lui aussi des salles privées et des établissements soutenus par l'Etat et/ou les collectivités territoriales et, enfin, un réseau parallèle de diffusion, à la marge du champ artistique (employeurs privés occasionnels, cafés, Education nationale...). Au final, un système pyramidal très hiérarchisé, avec un accès difficile, voire très difficile, au sommet et, à l'inverse, un accès aisé et des opportunités nombreuses dans le réseau parallèle, avec pour contrepartie une faible visibilité.

"La mécanique complexe du rapport au territoire"

L'étude s'attaque ensuite à "la mécanique complexe du rapport au territoire". Le terme "complexe" n'est pas usurpé, tant les interactions et les contradictions sont nombreuses. Ainsi, il apparaît une contradiction - au demeurant pas forcément insurmontable - entre l'attachement au territoire, qu'il soit volontaire ou subi, et la mobilité nécessaire à la création artistique. Comme l'explique l'auteur, "l'enjeu est d'articuler un ancrage territorial, comme base de production, avec un élargissement du réseau de diffusion au-delà de la région d'implantation afin de gagner en visibilité auprès des professionnels et des médias".
Sur le premier volet de l'ancrage, l'étude pointe notamment la concentration des équipements, notamment sur les métropoles régionales. Elle relève aussi l'obligation du travail avec les publics, écoles ou établissements locaux, qui est souvent la contrepartie du financement des collectivités : "le travail qui suit l'obtention de l'aide publique contribue à renforcer encore l'attachement au territoire". Mais l'étude montre aussi la dimension positive de cet attachement au territoire, qui a souvent "un fondement affectif".

La mobilité, moyen de survie économique et facteur d'épanouissement

Il reste que cet attachement, volontaire ou non, au territoire, entre en contradiction avec la mobilité, qui est aussi "un moyen de survie économique". La pérennité de nombreuses équipes ne tient en effet qu'à leur capacité à vendre leurs représentations, alors que le marché local ou régional se révèle souvent insuffisant, surtout pour des productions "pointues". La mobilité est aussi un facteur d'épanouissement professionnel - et de lutte contre la routine -, à travers les horizons qu'elle ouvre et les contacts qu'elle procure.
L'étude s'achève par une tentative de segmentation et de représentation graphique du rapport au territoire des équipes artistiques selon leur niveau d'intégration professionnelle. Au final, un travail original et stimulant, dans lequel les acteurs du spectacle vivant et les collectivités territoriales ne manqueront pas de se reconnaître, bien au-delà des deux régions étudiées.