Soutien aux collectivités et relance : les premières pistes de Bercy
4 milliards d'euros en 2020, puis 10 milliards en 2021 : ce sont les pertes fiscales que pourraient accuser les collectivités locales, du fait de la crise. Le gouvernement qui n'entend "pas abandonner" ces dernières, prévoit des mesures de soutien dans les prochaines lois de finances. Gérald Darmanin et Olivier Dussopt l'ont confirmé, ce 29 avril, à des députés. Ils ont aussi annoncé que la réflexion sur les impôts de production - qui inquiète fortement les élus locaux - se poursuit.
Le secteur public local dans son ensemble pourrait essuyer une perte de recettes de l'ordre de 4 milliards d'euros en 2020, avant un nouveau trou dans les recettes qui pourrait s'élever à 10 milliards d'euros en 2021, a estimé, mercredi 29 avril, le ministre de l'Action et des Comptes publics. Auditionné par la commission des finances et la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de l'Assemblée nationale, il a souligné que cette évaluation pouvait encore changer, notamment parce qu'il est difficile de savoir comment évolueront les droits de mutation à titre onéreux (DMTO), l'une des principales ressources des départements.
Une quarantaine de communes, dans une grande majorité "de très petites communes", ont actuellement des difficultés de trésorerie et quelque 1.400 collectivités font partie du réseau d'alerte et de suivi de la direction générale des finances publiques (DGFIP). Mais ces chiffres ne sont pas plus élevés qu'avant la crise, a souligné Gérald Darmanin. Toutefois, le ministre s'attend à ce que "d'ici un ou deux mois", des collectivités percevant une part importante de recettes liées à l'activité économique connaissent des difficultés de trésorerie. Certaines communes touristiques pourraient être assez fortement affectées budgétairement par la crise. Par exemple à Fécamp (Seine-Maritime), la taxe de séjour et les prélèvements sur les produits du casino représentent environ 15% des recettes réelles de fonctionnement. Les communes d'outre-mer pourraient ressentir également assez rapidement l'impact de la crise, du fait du repli de l'octroi de mer. "L'essentiel du problème" se posera à la "fin de 2020" et en "2021", avec cette année-là une chute prévisible des recettes de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), une ressource prépondérante des régions.
Versement mobilité : "il va falloir intervenir rapidement"
A leur demande, les communes en difficulté pourront bénéficier d'avances sur les douzièmes de fiscalité et les versements de dotation globale de fonctionnement (DGF). Par ailleurs, le gouvernement travaille avec les associations d'élus locaux à des solutions pour retracer les dépenses spécifiques (de fonctionnement et d'investissement) engagées par les collectivités locales en raison de la crise du Covid-19. Plusieurs "scénarios" sont sur la table, comme l'a précisé le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Action et des Comptes publics, Olivier Dussopt, qui était lui aussi auditionné : création d'un compte dédié, possibilité de créer des budgets annexes dans chaque collectivité, ou encore amélioration des mécanismes d'étalement sur plusieurs années des charges de fonctionnement exceptionnelles.
Par ailleurs, "il va falloir intervenir rapidement", a déclaré Gérald Darmanin, au sujet du versement mobilité. Cette ressource essentielle au financement des transports en commun (8 milliards d'euros en 2018) connaît "une attrition", a-t-il dit.
Le ministre a redit que le gouvernement présenterait "certainement", "d'ici l'été", un troisième projet de loi de finances rectificative. Y figureraient sans doute des mesures de soutien pour les collectivités touchées le plus rapidement par la crise. En outre, "il y aura à coup sûr" des mesures dans le projet de loi de finances pour 2021, avec pour objectif de "sécuriser l'année 2021" pour les collectivités, a-t-il déclaré.
TVA : "une aubaine" pour les départements
En revanche, les deux représentants de Bercy ont exclu toute remise en cause de la réforme de la fiscalité locale, qui doit entrer en vigueur l'année prochaine. "Il n'y a pas d'impact de la crise que nous traversons sur la réforme", a souligné Olivier Dussopt. Les communes "n'ont pas lieu de s'inquiéter." A la place de la taxe d'habitation, elles bénéficieront l'an prochain de la part départementale de taxe foncière sur les propriétés bâties (15 milliards d'euros). Or, le produit de la taxe avait progressé de 8% entre 2009 et 2013, une période d'après-crise. Quant aux départements, ils percevront un montant de TVA égal au montant qui aurait été celui de la taxe foncière sur les propriétés bâties en 2020 (principe de compensation à l'euro près), avec en plus une "majoration" de 250 millions d'euros correspondant notamment à la pérennisation du fonds de soutien versé par l'Etat. Par la suite, les départements bénéficieront peut-être d'un "effet d'aubaine", a-t-il souligné. En effet, les 15,25 milliards d'euros que percevront les départements en 2021 seront "indexés" l'année suivante sur "l'évolution de la TVA." Or, celle-ci pourrait connaître une croissance forte, en cas de reprise de l'activité. "Pour les départements, la réforme est extrêmement protectrice et peut se traduire par la suite par un dynamisme de la recette", a résumé Olivier Dussopt.
Au sujet de la taxe d'habitation, le secrétaire d'Etat a aussi affirmé que, refusant d'augmenter les impôts, le gouvernement n'entend ni "différer", ni revenir sur la suppression progressive entre 2021 et 2023, dont vont bénéficier les 20% des Français aux revenus les plus élevés.
Impôts de production : "la réflexion continue"
L'exécutif garde donc le cap de sa politique fiscale. C'est aussi le cas pour la réflexion sur la baisse des impôts dits de production, qui "est toujours valide", a affirmé Gérald Darmanin. "Nous souhaitons aider l'économie française et nous pensons qu'il faut que les collectivités locales prennent leur part dans cette amélioration de la fiscalité pour qu'elle ne soit pas confiscatoire", a-t-il ajouté, rappelant toutefois que le président de l'Association des maires de France (AMF) avait présenté cette baisse comme "une ligne rouge" à ne pas franchir. "Je ne sais pas quelle décision prendra le président de la République après le confinement", a reconnu Gérald Darmanin, évoquant plusieurs pistes, dont le plan de relance que le gouvernement doit présenter à la rentrée (voir notre article de ce jour relatif aux précisions apportées par Bruno Le Maire sur ce plan de relance).
Dans la perspective de ce plan de relance, le gouvernement a "commencé à réfléchir" à l'accélération du remboursement anticipé du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), qui est demandée par les associations d'élus locaux. Le dispositif, qui avait été mis en œuvre après la crise de 2008, pourrait être "opportun" en 2021 pour améliorer la capacité d'autofinancement des collectivités (et permettre ainsi aux collectivités d'investir plus), a estimé Olivier Dussopt. Mais "rien n'est arbitré", a-t-il précisé. Son collègue Gérald Darmanin a, pour sa part, refréné le souhait de plusieurs députés d'une intervention d'ampleur de l'Etat face à la crise. Compte tenu de l'endettement en nette hausse de la France et d'une activité économique qui ne reprendra que lentement, "il faudra faire des choix", a-t-il prévenu.