Conséquences de la crise sur les finances locales : le diagnostic des élus locaux
Auditionnés par des sénateurs, les présidents des trois grandes associations d'élus locaux - Association des maires de France, Assemblée des départements de France et Régions de France - se sont montrés très inquiets pour l'avenir immédiat des finances locales. Les départements, qui seront les collectivités les plus affectées, ont appelé, par la voix de Dominique Bussereau, à revenir sur la réforme de la fiscalité locale votée fin 2019. De son côté, le président de l'AMF, François Baroin, a tiré la sonnette d'alarme sur la baisse du versement mobilité.
La crise sanitaire pourrait entraîner une perte de recettes des collectivités territoriales "proche de 10 milliards d'euros", a estimé François Baroin le 16 avril lors d'une audition par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Lors de la même réunion, le président de Régions de France a estimé à 700 millions d'euros la perte de recettes des régions, rien qu'en 2020. Mais ce sera "vraisemblablement 1 milliard d'euros", a dit Renaud Muselier. Pour autant, le pire reste à venir pour les régions, qui s'attendent à une perte de 3 à 4 milliards d'euros en 2021, en raison du reflux de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE).
De leur côté, les départements feront face "dès l'été" à "une baisse très importante" des droits de mutation à titre onéreux (DMTO), a déclaré le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), lui aussi auditionné. Si la réduction du produit de cette taxe liée aux transactions immobilières devait être aussi forte qu'en 2008 (- 27%), les départements perdraient 3,15 milliards d'euros en 2020, a estimé le Sénat. Les départements qui bénéficient le plus des DMTO auront "moins d'argent pour participer à la péréquation", a relevé Dominique Bussereau. Mais "il n'est pas question qu'on remette en cause cette péréquation", a-t-il dit, en faisant référence au fonds national de péréquation horizontale des DMTO perçus par les départements. En sachant, tel que le dit le sénateur Bernard Delcros (Cantal, UC), que ce fonds de solidarité est "un ballon d'oxygène" au bénéfice des départements les plus fragiles. Le président de l'ADF a rappelé également que le comité des finances locales pourrait "débloquer" le "fonds de réserve" qui a été constitué, ces dernières années, avec la croissance du produit de la taxe.
"Revoir entièrement" la réforme de la fiscalité locale
En outre, avant même que la TVA ait été "mise en service" (ce sera le cas en 2021 en application de la loi de finances pour 2020), la crise démontre, selon le président de la Charente-Maritime, qu'elle n'est pas un impôt adapté au financement des politiques départementales. L'élu n'a rien perdu de sa verve contre la décision d'affecter une part de TVA aux départements en compensation du transfert aux communes de leur taxe sur le foncier bâti. "Il ne faudra pas simplement un placebo", a-t-il dit. les pouvoirs publics devront selon lui, "revoir entièrement" la réforme de la fiscalité locale. Autrement dit, remettre en cause "les choses qui ont malheureusement déjà été votées (…) en particulier la suppression du foncier bâti" départemental. Sur cette réforme, Dominique Bussereau a appelé à "une grande position commune" des représentants de l'ensemble des collectivités (communes et leurs groupements, départements et régions).
Le président de l'ADF n'a toutefois pas suscité l'unanimité. Charles Guené, rapporteur (LR) de la mission "Relations avec les collectivités territoriales" pour la commission des finances du Sénat a, par exemple, estimé que la TVA sera "une chance." Du fait des garanties prévues par la loi, le plancher de "-6%" de baisse de la part attribuée aux départements et aux intercommunalités à fiscalité propre ne sera "pas si mal", surtout "pour les collectivités qui n'ont pas la matière à fiscaliser".
Versement mobilité : un recul de près de 2 milliards d'euros cette année ?
Pour sa part, le président de l'AMF s'est montré préoccupé tout autant par la baisse des recettes tarifaires des services publics locaux que par l'évolution des impôts économiques locaux, notamment celle des recettes du versement mobilité (VM). Il a appelé le Sénat à se mobiliser "rapidement, dans le collectif budgétaire, ou dans les suivants", afin de trouver des solutions à "la tension" que connaît d'ores et déjà cette ressource essentielle au financement des transports en commun. Calculée sur la base des revenus d'activité, celle-ci est amenée à baisser, du fait du fort développement de l'activité partielle depuis le début du confinement et d'une probable croissance du chômage, dans les mois à venir.
La perte de produit de VM pourrait atteindre entre 860 millions et 1,9 milliard d'euros en 2020, estime la commission des finances du Sénat, dans une récente note (voir le document). Bercy a planché lui aussi sur de premières estimations, rapportait le 15 avril le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Action et des Comptes publics lors d'une audition au Sénat (voir notre article). Mais Olivier Dussopt relativisait l'ampleur des difficultés. "Si baisse [du VM] il y a, ce serait un retour au niveau de 2018", a-t-il indiqué. Cette année-là, le produit du VM s'était élevé à 8 milliards d'euros. Face à la situation, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin a indiqué, lors de la même audition, que les entreprises auxquelles les services publics des transports sont déléguées,"doivent prendre leur part des difficultés". Au passage, il a souhaité qu'il en aille de même pour d'autres services publics délégués, tels que "les piscines".
Avec des recettes amputées, le secteur public local ne sera pas dans la position la plus à même de participer à un plan de relance, a estimé Dominique Bussereau. Et ce, alors que sa place dans l'investissement public est prépondérante. Face à ce hiatus, son homologue de l'AMF a évoqué la piste d'une "nationalisation de la dette Covid des collectivités territoriales par l’Etat", une "solution extraordinairement simple". Il a aussi suggéré la réactivation du remboursement anticipé de la TVA au profit des collectivités locales et l'assouplissement du code des marchés publics. Des recettes qui avaient été utilisées par le gouvernement Fillon après la crise de 2008.