Soutien au logement : la Cour des comptes met face à face urgence climatique et vieillissement de la population
Dans un rapport publié ce 26 octobre sur "le soutien aux logements face aux évolutions climatiques et au vieillissement de la population", la Cour des comptes passe au crible l’efficacité des aides. Les magistrats de la rue Cambon dressent un bilan mitigé du dispositif phare MaPrimeRénov', conçu en 2020 pour massifier la rénovation thermique. Encore en cours de construction, MaPrimeAdapt', conçue pour adapter le logement des seniors, ne déclenche à ce stade guère d’enthousiasme.
Alors que le scénario d’un réchauffement d’environ 2° C en 2050 est sur la table, la France pourrait compter, la même année, 7,2 millions d’habitants âgés de 75 à 84 ans, soit 75% de plus qu’aujourd’hui. Et pourtant, "depuis plus de quinze ans, les politiques publiques en matière d’habitat ont priorisé la rénovation énergétique, mais n’ont pris en compte le vieillissement à domicile que de manière embryonnaire", constate la Cour des comptes dans une enquête, dévoilée ce 26 octobre, à l’adresse du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale, pour éclairer les débats budgétaires. Transition énergétique et adaptation des logements au vieillissement même combat ! Le raccourci est tentant…Tel n’est pas l’avis des magistrats de la rue Cambon : relier les deux sujets "ne va pas de soi", tant les enjeux et les défis soulevés sont dissemblables.
Au coeur de cette réflexion : le futur dispositif de soutien, MaPrimeAdapt', encore en construction, pour l’adaptation des logements face à la perte d’autonomie, et dont la mécanique s’inspire de MaPrimeRénov', elle aussi gérée par l’Anah. "Si les mécanismes de subvention peuvent apparaître comme une incitation efficace pour les particuliers à engager des travaux en matière de rénovation énergétique, comme en atteste, le succès de MaPrimeRénov', les ressorts de l’adaptation des logements au vieillissement ne sauraient être comparables aux enjeux environnementaux : ni par le volume du parc de logements à traiter, ni par la nature ou l’ampleur des travaux qu’ils requièrent", observe Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes.
Un bilan en demi-teinte malgré un pari quantitatif réussi
De 2015 à 2022, la dépense publique en matière de rénovation énergétique des logements (hors aides des collectivités) a doublé pour atteindre 5,2 milliards d’euros en 2022, dont 3,1 milliards d’euros au titre du dispositif phare MaPrimeRénov'. En y ajoutant les certificats d’économie d’énergie (CEE) – avec lesquels l’articulation reste d’ailleurs à effectuer, souligne le rapport –, un total de 6,95 milliards d’euros d’aides ont été injectées pour la seule année 2022. L’objectif de massification se traduit par la cible du nombre de logements concernés par MaPrimeRénov' – passée de 500.000 en 2020 à 700.000 à partir de 2021 – atteinte en 2021 et quasiment en 2022.
Cette réussite quantitative conforme "en apparence" aux objectifs ne doit pas obérer des résultats environnementaux quant à eux "en-deçà du fait de rénovations globales trop peu nombreuses [seulement 3% des surfaces rénovées en 2020]", relève le rapport. Le choix de cibler les travaux relatifs à la transformation des modes de chauffage se révèle en particulier efficace en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre mais pas pour permettre l’adaptation au réchauffement climatique.
Sans surprise, la Cour des comptes décoche plusieurs flèches, et pointe notamment l’implication limitée des copropriétés privées dans la démarche. "Ce système d’aide par gestes, sans ambition énergétique prédéfinie et sans accompagnement spécifique pour s’assurer de la qualité des démarches engagées, n’est pas assez efficace pour atteindre les objectifs environnementaux", épingle-t-elle. Il n’est en outre pas conçu ni calibré pour la résorption annoncée des passoires thermiques à échéance 2028. La Cour décrie une estimation d’impact environnemental des travaux par trop approximative, qui "ne tient pas compte de la réalité thermique initiale des logements, ni de leur véritable usage". Au passage, le rapport, qui dresse un bref panorama des aides attribuées par les collectivités, leur accorde un bon point : "un diagnostic préalable est obligatoire dans 85% des cas, contrairement à MaPrimeRénov'".
Pour relever ces défis multiples, la Cour des comptes reste dubitative sur la réforme annoncée de MaPrimeRénov' (enveloppe rehaussée à 5 milliards d’euros et objectif d'atteindre 200.000 rénovations d'ampleur dès 2024). Elle préconise de mobiliser davantage le secteur bancaire pour financer le reste à charge des ménages et d’accélérer les efforts pour structurer la filière du BTP.
Une aide à l’adaptation au vieillissement qui n’épuise pas le sujet
La nouvelle subvention, intitulée MaPrimeAdapt', n’en est aujourd’hui qu’au stade de travaux préparatoires, et le périmètre comme le financement ne sont pas encore arrêtés, bien que la date du 1er janvier 2024 semble actée. Echafaudé sur le modèle budgétaire de MaPrimeRénov', le dispositif regrouperait les trois aides nationales existantes en une seule : le programme "Habiter Facile" de l’Anah, le soutien financier "bien vieillir chez soi" de la caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) et le crédit d’impôt pour l’adaptation des résidences principales des personnes âgées. Une enveloppe a été estimée à 410 millions d’euros par an sur 10 ans pour une cible de 680.000 logements à rénover en faveur des ménages modestes.
Des objectifs insuffisants qui "ne couvriront pas le besoin estimé des deux millions de ménages identifiés comme prioritaires", note le rapport, sachant que le parc adapté aux enjeux de l’autonomie est actuellement de l’ordre de 6% à 7%. Et ce besoin d’adaptation "n’est pas anecdoticque" au regard des chutes des personnes âgées pesant pour 3,1 milliards d'euros dans le budget de la santé. Un autre grief concerne le volet accompagnement. "Seule une assistance à maitrise d’ouvrage sur la dimension technique des travaux serait prévue alors qu’un diagnostic sur les caractéristiques des logements et la situation des personnes est essentielle avant d’engager ce type de travaux", insiste le rapport. Ce point rappelle que la nouvelle subvention n’épuise pas la problématique d’accompagnement du vieillissement, "dont les enjeux sont majeurs et plus vastes, allant des parcours résidentiels à l’urbanisme adapté en passant par les mobilités".
Aide à la pierre versus aide à la personne
"L’opportunité des travaux d’adaptation au vieillissement reste largement liée aux occupants, là où la mutation vers un parc de logements thermiquement performant s’inscrit dans la durée, quel qu’en soit l’occupant", décrypte le rapport. La pertinence de la catégorisation des aides au logement y est donc questionnée. Le choix d’une aide à la personne plutôt que d’une aide à la pierre en matière de rénovation énergétique "prive le dispositif d’une approche plus précise par logement, comme c’était le cas dans le cadre du programme 'Habiter Mieux' de l’Anah", remarque la Cour. À l’inverse, pour MaPrimeAdapt', la subvention prendra cette fois le statut d’une aide à la pierre. Une qualification là aussi surprenante : "l’adaptation des logements au vieillissement relève plutôt de l’aide à la personne", qu’il s’agisse de la prise en compte de la situation sociale ou de l’état de dépendance de celles-ci, estime la Cour. Une aide à la personne aurait en outre eu le mérite "d’encourager et de soutenir les parcours résidentiels adaptés aux évolutions de la vie".