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Solidaires de la Guyane, les régions d'Outre-Mer réclament plus d'autonomie financière

En pleine crise guyanaise, la commission Outre-Mer des Régions de France formule six propositions visant à donner plus d'autonomie financière aux collectivités d'Outre-Mer. Elle propose en particulier d'étendre "l'octroi de mer" aux activités de service, prépondérantes dans ces territoires.

"Un système semi-colonial." "Un scandale." Alors que le ministre de l’Intérieur, Matthias Fekl, et la ministre des Outre-Mer, Ericka Bareigts, prenaient l’avion ce mercredi 29 mars pour se rendre en Guyane, Rodolphe Alexandre, le président de la collectivité territoriale de Guyane (CTG), a eu des mots durs contre la métropole et ce gouvernement en particulier, accusés d'avoir délaissé ce territoire grand comme le Portugal et distant de plus de 7.000 km. Retenu sur place par la situation, il a tenu à intervenir en audioconférence lors d’une conférence de presse organisée par l’association Régions de France pour interpeller les candidats à la présidentielle sur les défis de l’Outre-Mer.
L’élu guyanais a ainsi fustigé la loi Erom (Egalité réelle pour l’Outre-Mer) du 28 février 2017 qui prévoit de rétrocéder aux communes les 27 millions d’octroi de mer que perçoit la collectivité territoriale de Guyane, dont 9 millions d’euros dès 2017. L'octroi de mer est une taxe sur les importations et sur les livraisons de biens produits localement dont l'origine remonte au XVIIe siècle (il s’agissait alors de financer l’administration coloniale). Elle constitue aujourd’hui environ 40% des ressources des collectivités d’Outre-Mer. Cette rétrocession aux communes est "un hold-up, une véritable mystification", s’est offusqué Rodolphe Alexandre, accusant le gouvernement d’avoir "déshabillé totalement la collectivité territoriale", et ce de façon "unilatérale, sans consentement, sans concertation". Il a fait de ce casus belli un des "points non négociables" du pacte que le gouvernement doit proposer pour sortir de la crise. Un mouvement social de grande ampleur s’est en effet emparé de la Guyane pour dénoncer l’insécurité, le manque d’infrastructures, notamment sanitaires, le chômage... "Il n’est pas question que la délégation quitte la Guyane sans nous donner le fonds de compensation immédiat pour permettre à la collectivité de remplir son rôle", a renchéri Rodolphe Alexandre. "Nous nous apprêtons à déposer un recours auprès du Conseil d’Etat" contre ce "fourvoiement contre la libre administration des collectivités", a-t-il encore menacé.
Alfred Marie-Jeanne, président de la commission Outre-Mer des Régions de France et président de la collectivité de la Martinique, a apporté un soutien appuyé à la Guyane. "Je ne peux pas rester muet devant ce qui se passe en Guyane" a-t-il déclaré lors de cette conférence de presse, dénonçant "une honte, une humiliation à nulle autre pareille".

Besoins d'investissements massifs

Alfred Marie-Jeanne, élu indépendantiste qui a récemment fait ses adieux à l’Assemblée avec des trémolos dans la voix, a été chargé par les Régions de France de porter les revendications de l’association spécifiques à l’Outre-Mer dans le cadre de la présidentielle. Parlant de "défection de l’Etat", il a ainsi présenté six propositions visant à donner plus d’autonomie financière aux collectivités d’Outre-Mer et "à faire face au désengagement et à la faiblesse des ressources". L’Outre-Mer est confrontée à un taux de chômage de 25% (50% chez les jeunes), a-t-il rappelé, et doit faire face à d’importants défis : explosion démographique en Guyane, à Mayotte et à la Réunion, vieillissement rapide en Martinique et à la Guadeloupe, préservation de la biodiversité, besoins d’investissements massifs… La Guyane doit ainsi investir 570 millions d’euros entre 2016 et 2020, dont 257 pour la construction de 12 collèges et 3 lycées, et 145 millions en infrastructures (transport, électrification…), détaille-t-il dans son rapport. Ces besoins, propres à chaque territoire, appellent plus d'autonomie financière et fiscale, argue-t-il.

Etendre l'octroi de mer aux services

Le rapporteur propose notamment de doubler le plafond de l’octroi de mer régional de 2,5 à 5% et de l’étendre au champ des services. Le tertiaire est une composante prépondérante de l’économie ultramarine : il représente 70,6% du PIB en Martinique, 81% de la population active, selon le rapport de Régions de France. 1.000 entreprises martiniquaises du tertiaire pourraient ainsi être taxées (en plus de la TVA et à partir d’un seuil minimum de chiffre d’affaires, comme c’est le cas actuellement pour les produits). Il pourrait rapporter à l’île quelque 72 millions d’euros (pour un taux de 2,5%) et 40 millions d’euros à la Guyane.
Alors que les régions ont récemment obtenu l’échange de la dotation globale de fonctionnement contre une part de TVA, les régions d’Outre-Mer souhaitent qu’il soit procédé de même, pour elles, avec la dotation globale de décentralisation (DGD), sachant qu’elles perçoivent très peu de DGF par rapport aux régions métropolitaines. D’après leurs calculs, cela permettrait de réinjecter 145 millions d’euros de TVA, avec un dynamisme annuel de 5,4 millions d’euros.

"Tu as insufflé une ère nouvelle"

Le rapport préconise aussi d’affecter à l’Outre-Mer une part du produit annuel de la taxe carbone. Cette taxe introduite en 2014 de façon graduelle ne concerne pas l’Outre-Mer qui avait sollicité un délai de mise en place. Son produit de 2,3 milliards d’euros au départ devrait déjà passer à 5,5 milliards d’euros en 2017 et doubler d’ici à 2020, d’après les prévisions. Les Outre-Mer concentrent près de 90% de la biodiversité française et leurs forêts sont autant de puits de carbone, justifie le rapporteur. L’affectation aux collectivités d’Outre-Mer de 2,5% de la progression annuelle du produit de la taxe permettrait d’alimenter un fonds de transition énergétique de 250 millions d’euros, d’ici à cinq ans.
Le rapport propose aussi d’aligner le régime de la taxe d’embarquement sur celui dont bénéficie la Corse (où elle est également appliquée aussi bien aux embarquements qu’aux débarquements) et d’instaurer une part régionale de taxe de séjour…
Pour Philippe Richert, le président des Régions de France, les collectivités d’Outre-Mer sont un "laboratoire institutionnel". Profondément régionaliste, il n’hésite pas à les mettre en avant depuis son arrivée à la tête de l'association. L’Outre-Mer occupait déjà une bonne place dans les huit propositions qu'elle avait présentées il y a quelques semaines "pour conforter et poursuivre la régionalisation dans notre pays" (proposition 4) dans le cadre de sa "plateforme présidentielle". "Tu as insufflé une ère nouvelle", l'a remercié Alfred Marie-Jeanne.

 

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