Sobriété foncière et développement local : une équation difficile, mais pas impossible

Lors d'un atelier de la 32e convention des Intercommunalités de France qui s'est tenue les 6 et 7 octobre à Bordeaux, des élus ont exprimé leur désarroi sur l'obligation, fixée par la loi Climat et Résilience, de réduire dans un premier temps, puis de stopper à terme la consommation de terrains. Ils ont appelé à une mise en œuvre véritablement territorialisée de cet objectif, en avançant des solutions pour y répondre.

La circulaire que le ministre de la Transition écologique a signée début août est loin d'avoir ramené la quiétude dans les rangs des élus locaux confrontés au chantier de la limitation de l'étalement urbain et, à l'horizon 2050, du zéro artificialisation nette (ZAN) prévu par la loi Climat et Résilience. De nombreux élus réunis le 6 octobre, lors d'un atelier de la 32e convention des Intercommunalités de France qui s'est tenue au parc des expositions de Bordeaux, ont exprimé leur inquiétude sur le sujet.

Le prix du foncier déjà élevé, notamment dans les zones tendues, pourrait encore grimper du fait de la mesure. Les élus anticipent des difficultés croissantes pour les primo-accédants à la propriété. "Ce qu'on est en train de vivre est absolument dramatique. Qu'est-ce qu'on fait pour loger nos jeunes ?", s'est alarmé Michel Le Ray, vice-président délégué à l'urbanisme de la communauté de communes Auray Quiberon Terre Atlantique. "Je ne suis pas sûr que tous les projets de ZAC [zones d'activité commerciales, NDLR] pourront aller jusqu'au bout. Ce sera vraiment une catastrophe pour ceux qui les portent", s'est alarmé un autre participant à l'atelier.

"Boîte à outils du vingtième siècle"

Les élus locaux se posent aussi beaucoup de questions sur la mise en oeuvre concrète de l'objectif de limitation de l'artificialisation des sols. "Si l'on constate qu'avec les projets d'extension inscrits aujourd'hui dans le PLU et déjà lancés, on dépassera la limite de 50% fixée par la loi, faut-il arrêter ces projets ? Et quels outils un maire a-t-il pour ce faire ?", s'est interrogé un élu présent dans l'assemblée. Les collectivités et leurs groupements ont une boîte à outils du vingtième siècle pour traiter des problèmes du vingt-et-unième siècle", a ironisé le président de la communauté urbaine (CUD) de Dunkerque, Patrice Vergriete. Ce que n'a pas démenti un autre élu. Dans son intercommunalité, des entreprises possèdent de vastes terrains inutilisés. "Aucun outil" n'existe pour permettre de "densifier" ces terrains, a-t-il regretté. Les intercommunalités se retrouvent "dans une impasse totale", a alerté l'élu. Tout aussi inquiétant pour Patrice Vergriete : le modèle économique du ZAN reste à inventer. Pour transformer une friche industrielle en un parc urbain, la ville de Dunkerque va dépenser deux millions d'euros et ne recevra aucune aide, a témoigné le maire. Si la commune avait décidé en revanche de construire des logements, elle aurait pu en tirer de nouvelles ressources. Cette question est au coeur d'un rapport du Sénat adopté en juin dernier (voir notre article).

Or, le sujet du ZAN est d'une actualité brûlante. Des conférences régionales des schémas de cohérence territoriale (Scot) doivent remettre aux régions, au plus tard le 22 octobre, leurs propositions sur la déclinaison dans les territoires de l'objectif de réduction de l'artificialisation (lire notre article). Des élus qui participent à ces travaux ne sont d'ailleurs guère enthousiastes. Dans la contribution qu'elle prépare, la conférence régionale des Scot de Nouvelle-Aquitaine se contentera de "demander des précisions sur le projet de la région, la place des projets nationaux et régionaux", ou encore la classification des territoires de la région en cinq catégories. "Donc, nous sommes loin du compte", se désole Jacques Bilirit, président du syndicat mixte chargé de piloter le Scot du Val-de-Garonne (quatre intercommunalités réunissant quelque 100.000 habitants). Patrick Pesquet, vice-président de Caux-Seine agglo en charge de l'urbanisme se dit également déçu. "La région Normandie a organisé des ateliers, mais à aucun moment on n'a parlé de territorialisation", regrette-t-il. Il déplore aussi que l'Etat n'ait pas communiqué les notes d'enjeux qui auraient permis d'éclairer les discussions entre les élus.

"Les territoires qui ont été vertueux ne sont pas récompensés"

Pour les élus intercommunaux, la méthode de mise en œuvre de l'objectif de réduction de l'extension urbaine est à la fois trop "verticale" et "comptable". Ils pointent l'absence de prise en compte des projets d'envergure nationale (ligne TGV Bordeaux-Toulouse, centrales nucléaires, canal Seine-Nord, etc.). Les territoires qui accueilleront ces infrastructures verront leur capacité à utiliser de nouvelles zones de foncier se réduire alors qu'ils n'ont pas pris la décision de leur construction. Pour Intercommunalités de France, la solution passerait par la création d'un "compte foncier national", mais il semble que pour le moment le gouvernement ne veut pas en entendre parler.

Les élus locaux critiquent aussi le principe de réduction dans les dix prochaines années du rythme de l'artificialisation des sols, en fonction du bilan des dix années qui ont précédé la promulgation de la loi Climat et Résilience. Si la règle devait être appliquée uniformément, les territoires qui jusque-là ont été de bons élèves, ou ont connu un faible développement, seraient fortement pénalisés.

Au-delà des principes, les élus pointent des difficultés très concrètes liées par exemple à la mesure de l'artificialisation. Il n'existerait pas de consensus sur la méthode à utiliser pour effectuer la mesure et, dans ces conditions, les territoires ne disposeraient pas des mêmes outils pour mesurer la consommation foncière. "L'outil de mesure que l'on doit mettre en place doit être commun aux territoires et aux services de l'Etat", a plaidé par ailleurs le président d'une communauté de communes de la Loire, qui vient d'adopter son PLUI. Un exercice au cours duquel l'intercommunalité a constaté un désaccord avec l'Etat. Ce dernier "partait sur une base qui était erronée de plus de 50%", a indiqué l'élu.

Plan de sobriété foncière

Pour Intercommunalités de France, la réussite du ZAN ne peut reposer que sur "l'intelligence territoriale" et la "logique contractuelle". Un scénario dans lequel les intercommunalités auraient la responsabilité d'élaborer des "conventions de sobriété foncière" avec leur région. Mais certains, comme le président de la CU de Dunkerque, estiment que l'Etat devrait être signataire de ces documents, afin de "passer des deals" avec les élus.

Intercommunalités de France entend aussi promouvoir des démarches qui facilitent "la différenciation territoriale", à l'image du plan de sobriété foncière que finalise actuellement le syndicat mixte du Scot du Val-de-Garonne. Au préalable, des études ont permis de recenser les friches et les terrains encore disponibles dans les zones d'activité du territoire, a témoigné le président du syndicat mixte. Elles ont été complétées par une analyse de la demande des entreprises et de leurs tendances. Le recueil des données a permis de définir une stratégie et de localiser précisément où des entreprises pourront à l'avenir être accueillies, et ce "de manière équilibrée" sur les quatre intercommunalités. Cette stratégie qui "sera intégrée au Scot" comportera des prescriptions – qui restent à définir – sur "les densités, les terrains et les activités accueillies par type de zone".

Conserver la maîtrise du foncier

Mais, outre les documents d'urbanisme, ce sont les pratiques en matière d'aménagement foncier qui devront sans doute évoluer pour s'adapter à la nouvelle donne. Pour la gestion des zones d'activité, les intercommunalités n'auraient-elles pas intérêt à conserver la propriété des terrains et à les proposer aux entreprises via un bail à location ou un bail emphytéotique ? C'est la question qu'a posée un intervenant. Patrice Vergriete n'a pas eu de doute, lui : la "question de la maîtrise foncière" est "indispensable" aux élus locaux, lorsqu'ils veulent "transformer rapidement" un territoire, a-t-il dit. A Dunkerque, la ville qu'il administre, des terrains dont des groupes industriels sont propriétaires, demeurent en friche, du fait du coût élevé des opérations de dépollution. La communauté urbaine en a tiré les conséquences : elle "bascule de plus en plus vers le maintien de la maîtrise foncière". La communauté de communes de Rumilly Terre de Savoie a elle aussi sauté le pas, et tire un bilan très positif. Son vice-président Roland Lombard a plaidé pour l'utilisation de ce type de solution pour la gestion du foncier dédié aux activités économiques, mais aussi pour celle de l'habitat. Il a fait la promotion du bail réel solidaire (BRS), une formule qui permet à des organismes fonciers solidaires de distinguer le foncier (dont ils restent propriétaires) du bâti et ainsi de céder des droits sur le bâti à des familles. Dans un département où la pression foncière est grande, la formule rencontre un franc succès. "Les programmes sont bouclés avant de commencer."

Les intercommunalités ne sont pas démunies pour faire progresser la sobriété foncière. Car au-delà des "outils classiques", tels que la reconquête des friches industrielles, d'autres leviers existent. Il s'agit par exemple de repenser l'utilisation des bâtiments et des espaces publics pour leur attribuer plusieurs fonctions, en lien avec "l'organisation des temps" de vie. Patrice Vergriete précise : une école primaire peut aussi accueillir des cours de musique en seconde partie de journée et une mairie peut aussi être le lieu de réunion des associations.

 

 

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